Féminisme socialiste et libération animale


Traduction d’un article de Lux pour Ballast | Série « Luttes animales, luttes sociales »

Sixième et der­nier volet de notre série « Luttes ani­males, luttes sociales ». Le champ ani­ma­liste inter­na­tio­nal est lar­ge­ment com­po­sé de femmes (entre 68 et 80 %) et une par­tie du mou­ve­ment fémi­niste a, his­to­ri­que­ment, inclus la cause ani­male au nombre de ses réflexions et com­bats. Le mépris dont elles ont sou­vent fait l’objet — « pitié de femme », lan­çait déjà Spino­za — s’est dou­blé, logi­que­ment, d’un éloge mas­cu­lin de la viande, de la chasse, de la force et de la pré­da­tion sous toutes ses formes. Dans ce texte que nous tra­dui­sons, paru dans le troi­sième numé­ro de la revue Lux (pour « Rosa Luxemburg »), Astra Taylor et Sunaura Taylor invitent le fémi­nisme socia­liste (autre­ment dit le fémi­nisme sou­cieux d’ins­ti­tuer une socié­té sans classes) à s’emparer plus vive­ment de la ques­tion ani­male. « Les autres espèces ne méritent pas seule­ment notre sym­pa­thie parce qu’elles souffrent, mais notre soli­da­ri­té parce qu’elles sont aus­si exploi­tées et dépos­sé­dées. »


[lire le cin­quième volet de notre série « Luttes ani­males, luttes sociales »]


[…] Lors d’une confé­rence de presse en 2019, le repré­sen­tant répu­bli­cain de l’Utah Rob Bishop s’at­taque au Green New Deal tout en cro­quant théâ­tra­le­ment dans un chee­se­bur­ger : « Si ça conti­nue, ça sera inter­dit. Je ne pour­rai plus man­ger ce genre de chose. » En réponse, les mili­tants du Green New Deal se sont empres­sés d’in­sis­ter que ce n’é­tait pas le cas, affir­mant le sacro-saint sta­tut de la viande rouge. Les conser­va­teurs sont ter­ri­fiés par l’i­dée qu’une socié­té puisse véri­ta­ble­ment valo­ri­ser la vie (non-fœtale) et faire en sorte qu’elle ne soit plus une mar­chan­dise : ils endossent ain­si l’i­mage de la mas­cu­li­ni­té car­ni­vore. Il semble mal­heu­reu­se­ment que nombre de socia­listes ne soient pas si dif­fé­rents. Les mili­tants de gauche s’in­té­ressent rare­ment aux innom­brables pro­blèmes de l’a­gri­cul­ture ani­male et affichent volon­tiers dédain et mépris envers ceux qui le font. En cela, leurs points de vue sont tout à fait mains­tream. Un récent épi­sode du popu­laire pod­cast de gauche « Citations Needed » com­mence par une ana­lyse des repré­sen­ta­tions des végé­ta­riens dans la culture popu­laire. Le résul­tat est peu flat­teur : en plus d’être sys­té­ma­ti­que­ment joués par des femmes, les per­son­nages ont ten­dance à être insupportables.

Ces sté­réo­types de genre ne sur­pren­draient pas les lec­teurs du livre de Carol J. Adams, La Politique sexuelle de la viande (1990), qui mêle aus­si bien des témoi­gnages du radi­ca­lisme au XIXe siècle qu’une ana­lyse des tech­niques mar­ke­ting propres au XXe siècle : une œuvre pion­nière de « théo­rique cri­tique végé­ta­rienne fémi­niste ». Après avoir lu Adams, vous ne ver­rez plus jamais une femme dire qu’elle s’est sen­tie trai­tée comme un « mor­ceau de viande » de la même manière. Aujourd’hui, on dit sou­vent que le mou­ve­ment pour le droit des ani­maux a vu le jour au début des années 1970, sous l’im­pul­sion du phi­lo­sophe blanc Peter Singer. Comme l’af­fir­mait l’ac­ti­viste et autrice Aph Ko dans une inter­view récente, « le pou­voir de la supré­ma­tie blanche tient à ce qu’on ima­gine que les Blancs ont tout inven­té. Les Blancs n’ont bien sûr pas inven­té le véga­nisme ». Dans le monde anglo­phone, de nom­breuses femmes abo­li­tion­nistes, suf­fra­gistes et paci­fistes, ont mili­té pour le végé­ta­risme et éta­bli des liens entre les mou­ve­ments et les causes bien avant que Singer n’entre en scène — notam­ment les cou­ra­geuses sœurs abo­li­tion­nistes Sarah et Angelina Grimké. Elles ont reje­té la viande en par­tie parce qu’elles pen­saient que cela accé­lè­re­rait « l’é­man­ci­pa­tion des femmes des cor­vées de cui­sine ». Singer a fait fi de ces anté­cé­dents intel­lec­tuels en dis­tin­guant ses argu­ments pré­ten­du­ment ration­nels de tous les plai­doyers émo­tion­nels — à conno­ta­tion fémi­nine — qui l’ont pré­cé­dé. Dans les années 1800, un diag­nos­tic, la « zoo­phil­psy­chose », était même émis pour dési­gner le fait de se pré­oc­cu­per exces­si­ve­ment des ani­maux, ce dont les femmes étaient sup­po­sées souf­frir de façon dis­pro­por­tion­née. […] Nous pen­sons que le rôle de la consom­ma­tion ani­male a été mal com­prise et qu’un regard fémi­niste peut nous aider à ins­crire les droits des ani­maux dans une cri­tique socia­liste élar­gie du capitalisme.

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« Un regard fémi­niste peut nous aider à ins­crire les droits des ani­maux dans une cri­tique socia­liste élar­gie du capitalisme. »

Le capi­ta­lisme trans­forme les corps en machines. Comme leurs pré­dé­ces­seurs sur les pre­mières chaînes de pro­duc­tion, les tra­vailleurs d’au­jourd’­hui sont contraints d’a­gir comme des robots, que ce soit pour embal­ler des mar­chan­dises dans les entre­pôts d’Amazon, ou pour conduire pour UPS ou Uber. Ce pro­ces­sus de méca­ni­sa­tion et de stan­dar­di­sa­tion n’af­fecte pas seule­ment les corps des tra­vailleurs humains, mais aus­si celui des femmes non sala­riées, des vaches, des pou­lets et des porcs. Si, aux quatre coins du monde, les capi­ta­listes sadiques peuvent contrô­ler les moindres mou­ve­ments d’un humain qui empile des boîtes, ima­gi­nez le contrôle qu’ils peuvent exer­cer sur une créa­ture pri­vée de droits qui sou­haite sim­ple­ment paître en paix.

Le clas­sique fémi­niste de Silvia Federici, Caliban et la sor­cière (2004), expose cette dyna­mique fon­da­men­tale. Son his­toire du mou­ve­ment des enclo­sures met l’ac­cent sur leurs dimen­sions gen­rées, décri­vant le pro­ces­sus par lequel le capi­ta­lisme a pro­gres­si­ve­ment trans­for­mé chaque femme en une « machine à pro­duire de nou­veaux tra­vailleurs ». La pri­va­ti­sa­tion de la terre par les riches s’est tra­duit par le fait que les pay­sans se sont retrou­vés pri­vés de ce qui était depuis long­temps une pra­tique habi­tuelle : les droits com­muns d’ac­cès aux champs et aux forêts pour assu­rer leur sub­sis­tance. Incapables de payer les loyers exor­bi­tants exi­gés par les pro­prié­taires ter­riens, les gens quit­tèrent la cam­pagne pour cher­cher un tra­vail sala­rié. Les hommes s’é­le­vant au rang de sala­riés et les autres membres de la famille deve­nant subor­don­nés comme per­sonnes à charge, les rela­tions fami­liales se sont restruc­tu­rées pour ser­vir les nou­veaux besoins du capi­tal. Les femmes qui résis­taient à leur assu­jet­tis­se­ment crois­sant et à leur ser­vi­tude étaient punies par des vio­lences sexuelles orga­ni­sées, tor­tu­rées comme héré­tiques et sor­cières, et contraintes à une sur­veillance et à une super­vi­sion accrues de leur sexua­li­té et de leurs choix repro­duc­tifs. En d’autres termes, le mou­ve­ment des enclo­sures ne visait pas seule­ment à contrô­ler la terre, mais aus­si les corps et leur capa­ci­té de repro­duc­tion — un pro­ces­sus qui, selon nous, s’é­tend aux ani­maux non-humains.

[Bob Thompson]

Prenez un cochon.

On peut voir la cen­tra­li­té de la repro­duc­tion au sein de la vie d’une ferme dans Gunda, un docu­men­taire sor­ti début 2021, du célèbre réa­li­sa­teur russe Viktor Kossakovsky et pro­duit par Joaquin Phoenix […]. Tourné en noir et blanc, sans voix ni musique, le film est sobre et porte à la contem­pla­tion. La scène d’ou­ver­ture montre une truie, Gunda, don­nant nais­sance à une por­tée de por­ce­lets dans une grange rem­plie de paille. On suit leur crois­sance tout en croi­sant d’autres ani­maux de la ferme — un trou­peau de vaches impa­tientes d’al­ler pâtu­rer, un groupe de pou­lets explo­rant la cour. On observe Gunda pen­dant qu’elle sur­veille sa pro­gé­ni­ture et on voit de com­bien d’ef­forts et de patience elle doit faire preuve pour les nour­rir et les éle­ver. Elle câline, renifle et allaite ses petits ; ils deviennent plus forts et plus joueurs. À l’ap­proche de la fin, l’i­né­vi­table se pro­duit : un camion arrive et ses bébés, char­gés dans une cage, dis­pa­raissent sou­dai­ne­ment. Nous ne voyons pas les humains ni ce qui arrive aux por­ce­lets. Au lieu de cela, nous pas­sons le reste du film avec Gunda, qui lutte pour sur­mon­ter sa perte. Alors qu’elle court autour de son enclos, les cher­chant encore et encore, nous voyons un ani­mal dépouillé de ce qui n’a jamais été vrai­ment à lui. Elle est une pro­prié­té, comme l’est sa pro­gé­ni­ture. Rien n’a été don­né ou pris, seule­ment pos­sé­dé et vendu.

Objectivement, Gunda a eu une belle vie pour un cochon — bien que le film montre que cela ne veut pas dire grand-chose. La plu­part des truies, dont le seul rôle dans la vie est de pro­duire un appro­vi­sion­ne­ment conti­nu de nou­veaux porcs, vivent dans un espace de la taille d’un réfri­gé­ra­teur, ce qui est d’au­tant plus inquié­tant quand on sait que cer­tains de ces porcs dépassent faci­le­ment les 220 kilos. Une truie passe la majeure par­tie de sa gros­sesse dans une cage de ges­ta­tion, trop petite pour elle pour faire plus de quelques pas à l’in­té­rieur. Elle est ensuite dépla­cée dans une cage de mise à bas, dont l’in­dus­trie fait cruel­le­ment l’é­loge pour son « confort » — une truie allai­tante dans une cage de mise bas ne peut que se tenir debout ou s’al­lon­ger, ses mamelles dépas­sant dans une zone sépa­rée où se trouvent ses por­ce­lets. Après cinq semaines, quand ses petits sont enle­vés sans ména­ge­ment, elle est arti­fi­ciel­le­ment insé­mi­née. Et le cycle recom­mence. En plus de la souf­france émo­tion­nelle qu’elle éprouve incon­tes­ta­ble­ment, elle souffre conti­nuel­le­ment d’in­fec­tions uri­naires et vagi­nales, elle est plus vul­né­rable aux mala­dies (d’où la pré­sence d’an­ti­bio­tiques dans son ali­men­ta­tion), et déve­loppe un han­di­cap phy­sique dû à son inac­ti­vi­té. Une truie, en d’autres termes, vit dans une sorte de dys­to­pie de vio­lence repro­duc­tive inva­li­dante, où sa capa­ci­té à gran­dir et à éle­ver ses petits sont réduites à des pro­ces­sus méca­niques et à de simples profits.

« Des mil­liers d’ou­vriers mal payés passent leurs jour­nées à insé­rer de force des objets dans les par­ties géni­tales d’a­ni­maux femelles pour les féconder. »

Ce pro­ces­sus est offi­ciel­le­ment appe­lé « pro­duc­tion d’a­ni­maux de consom­ma­tion ». « La conso­li­da­tion de marges tou­jours plus res­treintes a pous­sé l’in­dus­trie de la viande à trou­ver de nou­velles solu­tions effi­caces et des pro­fits inex­ploi­tés dans le corps des ani­maux d’é­le­vage », écrivent Gabriel N. Rosenberg et Jan Dutkiewicz dans un article pour le média New Republic en 2020. L’insémination arti­fi­cielle a été une avan­cée majeure et s’est dif­fu­sée lar­ge­ment après la Seconde Guerre mon­diale pour amé­lio­rer la pro­duc­ti­vi­té des vaches lai­tières. Aujourd’hui, des mil­liers d’ou­vriers mal payés passent leurs jour­nées à insé­rer de force des objets dans les par­ties géni­tales d’a­ni­maux femelles pour les fécon­der. Pour les bovins, le pro­ces­sus implique que des tech­ni­ciens insèrent un bras dans l’a­nus de la vache pour apla­nir manuel­le­ment le col de l’u­té­rus avant l’in­ser­tion d’un pis­to­let de fécon­da­tion. Cette pra­tique per­met aux éle­veurs « de garan­tir que les ani­maux se repro­duisent en sui­vant la cadence du mar­ché plu­tôt que selon leur propre cycle bio­lo­gique », expliquent Rosenberg et Dutkiewicz. La ges­ta­tion est déclen­chée de manière à ce que les ani­maux donnent nais­sance pen­dant les heures de tra­vail nor­males, ce qui signi­fient qu’ils tra­vaillent lit­té­ra­le­ment à l’heure. Dans le cadre du sys­tème de pro­duc­tion, les cycles œstraux peuvent être syn­chro­ni­sés à l’é­chelle d’é­tables entières selon un pro­ces­sus stan­dar­di­sé qui donne des résul­tats standardisés.

L’étude eth­no­gra­phique exhaus­tive et éprou­vante d’Alex Blanchette sur l’é­le­vage indus­triel moderne, Porkopolis: American Animality, Standardized Life, and the Factory Farm, docu­mente le tra­vail humain que l’in­sé­mi­na­tion arti­fi­cielle de masse néces­site, incluant la « sub­sti­tu­tion par imi­ta­tion de la pré­sence et du com­por­te­ment du ver­rat [porc mâle repro­duc­teur, ndlr] ». Les ges­tion­naires appellent ce pro­ces­sus « sti­mu­la­tion » tan­dis que cer­tains livres sur la pro­duc­tion de porcs parlent de cette exten­sion des contacts entre humains et ani­maux requis par l’in­dus­trie comme d’une « cour ». Dans La Politique sexuelle de la viande, Carol J. Adams ne s’embarrasse pas d’eu­phé­misme et qua­li­fie ce genre de ren­contre comme étant du « viol ». Alex Blanchette explore aus­si la dépen­dance de l’in­dus­trie à l’é­gard d’un com­po­sant phar­ma­ceu­tique connu sous le nom de gona­do­tro­phine cho­rio­nique équine, « un outil indis­pen­sable dans l’in­sé­mi­na­tion arti­fi­cielle des porcs dans les fermes indus­trielles nord-amé­ri­caines ». Des entre­prises placent dans des forêts pri­vées d’Amérique du Sud des mil­liers de che­vaux en semi-liber­té — appe­lés « géni­teurs » : une méthode d’é­le­vage ren­table qui ne néces­site ni nour­ri­ture ni soins vété­ri­naires. « Dans ces plan­ta­tions de sang et de bois, il y a seule­ment trois étapes d’in­ter­ven­tions humaines : la fécon­da­tion, les pré­lè­ve­ments san­guins heb­do­ma­daires pen­dant les pre­miers mois de gros­sesse et l’a­vor­te­ment », écrit Blanchette. De longs tuyaux bruns pompent les che­vaux déchar­nés. Un pro­ces­sus selon lequel seule­ment 70 % sur­vivent, d’a­près l’au­teur ; après quoi ils sont « ren­voyés dans les bois pour com­men­cer un nou­veau cycle ». Un sérum fait à par­tir de leur sang trans­for­mé, injec­té dans le cou des truies, sup­prime une par­tie de ce que l’industrie por­cine appelle les « jours impro­duc­tifs », accé­lé­rant la ges­ta­tion pour que les humains puissent se mettre au tra­vail en imi­tant les ver­rats et en vio­lant les truies selon un calen­drier étroi­te­ment contrôlé.

[Bob Thompson]

L’expression « ani­maux d’é­le­vage » est donc éton­nam­ment appro­priée quand on connaît l’ex­ploi­ta­tion sexuelle, repro­duc­tive et éco­no­mique que les ani­maux sont for­cés à endu­rer. Le mariage, après tout, est appa­ru à la fois comme un sys­tème patriar­cal et un moyen de trans­fé­rer des biens — terre, bétail, richesse et femmes. Un « mari » était un « maître » qui avait le droit de faire ce qu’il vou­lait de ses biens. Une dyna­mique de pou­voir qui existe tou­jours lorsque les par­te­naires et les pro­prié­tés d’un mari sont des êtres non consen­tants. Pourtant, d’une manière ou d’une autre, les consom­ma­teurs, toutes ten­dances poli­tiques confon­dues, conti­nuent de croire que les ani­maux nous « donnent » de la viande, du lait, des œufs, et que la rela­tion entre l’a­ni­mal domes­tique et l’é­le­veur est natu­relle. Qu’elle est jus­ti­fiée lors­qu’elle est fon­dée sur le soin et l’a­mour. Les nar­ra­tifs de l’at­ta­che­ment émo­tion­nel sont au cœur de nos mythes sur la consom­ma­tion de pro­duits ani­maux, comme ils le sont de nos mythes sur le mariage et le foyer. Les his­toires récon­for­tantes racon­tées aux enfants — aux­quelles s’at­tachent d’in­nom­brables adultes — sous-entendent que les ani­maux donnent sans dou­leur et ins­tinc­ti­ve­ment viande, lait, œufs aux éle­veurs en échange de soin et de pro­tec­tion, évo­quant un sem­blant d’é­change équi­table. S’il ne fait aucun doute que les éle­veurs prennent soin de leurs ani­maux, voire les aiment, l’a­mour n’est pas un sen­ti­ment apo­li­tique, sur­tout lorsque l’être aimé est une mar­chan­dise. Comme l’a fait remar­quer de façon sai­sis­sante la théo­ri­cienne poli­tique Claire Jean Kim : « Concernant les ani­maux, il est beau­coup trop facile pour nous de mélan­ger ce qui nous fait du bien sur le plan émo­tion­nel » (ou, pour­rions nous ajou­ter, ce qui nous pro­fite éco­no­mi­que­ment) pour hono­rer ou agir en accords avec leurs « besoins, dési­rs et inté­rêts ».

Comme Federici nous l’a confié, son tra­vail uni­ver­si­taire est né de son acti­visme, la théo­rie sui­vant la pra­tique. Dans les années 1970 — à l’é­poque où Peter Singer déve­lop­pait ses théo­ries sur les droits des ani­maux —, Federici fai­sait par­tie d’un mou­ve­ment appe­lé Wages for Housework in New York City. En pra­tique, c’é­tait une alliance inter­na­tio­nale de fémi­nistes qui, de diverses manières, deman­daient à être rému­né­rées pour leur tra­vail au foyer. Philosophiquement, elles cher­chaient à enri­chir le mar­xisme clas­sique en révé­lant la cen­tra­li­té du tra­vail gen­ré sous le capi­ta­lisme, en par­ti­cu­lier le tra­vail repro­duc­tif et le care, qui n’est géné­ra­le­ment pas valo­ri­sé ni payé. Le mar­xisme se foca­lise sur le tra­vail sala­rié, disaient-elles, igno­rant toutes les formes de tra­vail non payés qui font fonc­tion­ner notre socié­té et notre éco­no­mie. Oui, le tra­vailleur gagne un salaire puis achète des mar­chan­dises. Mais qui donne nais­sance et s’oc­cupe du tra­vailleur ? Qui cui­sine les den­rées ? Comme l’a révé­lé le mou­ve­ment Wages for Housework, les femmes et épouses ont long­temps été pri­vées de rému­né­ra­tion au motif que leur nature fémi­nine impli­quait un dévoue­ment dés­in­té­res­sé à l’é­gard des autres, et qu’elles tra­vaillaient soi-disant par amour. De même, on nous vend une image idéa­li­sée et asep­ti­sée de la vie à la ferme. Comme pour le tra­vail humain, les dimen­sions repro­duc­tives de la pro­duc­tion de viande, de lait et d’œufs sont trop sou­vent igno­rées — pro­ba­ble­ment parce que les tour­ments endu­rés par ces ani­maux contre­disent les images pai­sibles et buco­liques qui récon­fortent les consommateurs.

« Les nar­ra­tifs de l’at­ta­che­ment émo­tion­nel sont au cœur de nos mythes sur la consom­ma­tion de pro­duits animaux. »

Mais soyons hon­nêtes. Il est impos­sible d’a­voir un appro­vi­sion­ne­ment constant en viande fraîche, en lait ou en œufs sans que de nou­veaux ani­maux naissent constam­ment. Il y a bien plus de 20 mil­liards de vaches, cochons, mou­tons et pou­lets dans le monde aujourd’­hui, et cha­cun d’entre eux est sor­ti d’un œuf ou d’un vagin. L’importance des cycles repro­duc­tifs des femelles dans cette chaîne d’ap­pro­vi­sion­ne­ment sans fin d’êtres vivants est peut-être plus évi­dente dans l’in­dus­trie du lait et des œufs. Bien que l’emballage com­mer­cial sug­gère le contraire, les œufs et le lait ne sont pas sim­ple­ment pro­duits, ils sont des com­po­sants clés d’un pro­ces­sus repro­duc­tif, géné­ra­teur de vie, que Adams appelle « pro­téine fémi­ni­sée ». La pro­duc­tion d’œufs dépend bien sûr d’oi­seaux dotés d’o­vaires. Et les vaches femelles ne pro­duisent pas spon­ta­né­ment du lait — des bébés doivent naître pour ce faire. Lorsque les vaches ne peuvent plus don­ner nais­sance ou, dans le cas de poules, pondre un nombre assez ren­table d’œufs par jour, elles sont tuées. Tout cela est vrai, qu’il s’a­gisse de la petite ferme la plus « humai­ne­ment » gérée ou de l’é­norme ins­tal­la­tion indus­trielle qui détient des cen­taines de mil­liers d’a­ni­maux. Au moment où une vache lai­tière type est envoyée à l’a­bat­toir dans ce pays [États-Unis, ndlr], elle aura pro­duit en moyenne 26,6 litres de lait par jour — envi­ron 2,5 fois plus qu’il y a cin­quante ans. Ce lait sera aspi­ré des mamelles non pas par son bébé, qui n’au­rait besoin que d’une petite par­tie de la quan­ti­té pro­duite, mais par des machines. Une vache lai­tière pro­duit tant de lait qu’il y a des chances qu’elle se retrouve boi­teuse à cause de troubles osseux. Il est éga­le­ment très pro­bable qu’elle vive avec des épi­sodes de mas­tite [infec­tion mam­maire, ndlr] : une infec­tion dont qui­conque a déjà allai­té redoute les effroyables hor­reurs qu’elle cause.

Peu après leur arri­vée au monde, tous les ani­maux d’é­le­vage sont sexués. Dans les cou­voirs, les pous­sins sont triés par mil­liers par des tra­vailleurs qui sont par­mi les plus sus­cep­tibles de subir des lésions dues à un stress répé­té. Les femelles, valo­ri­sées pour les œufs qu’elles pondent au cours de leur cycle de repro­duc­tion, sont ensuite envoyées dans un centre de ponte pour y pas­ser une vie courte et dégra­dée dans un espace plus petit qu’un écran d’or­di­na­teur por­table. Les mâles, en revanche, sont tout sim­ple­ment consi­dé­rés comme des déchets et sont immé­dia­te­ment éli­mi­nés par suf­fo­ca­tion, élec­tro­cu­tion ou macé­ra­tion (en pas­sant dans un grand broyeur). Pour les vaches, la nais­sance de bébés mâles, jugée incom­mo­dante, a conduit à la créa­tion de l’in­dus­trie de la viande de veau — une façon pour les pro­duc­teurs de créer du pro­fit à par­tir d’une inépui­sable réserve de bébés ani­maux qui seraient autre­ment inutiles.

[Bob Thompson]

Qu’est-ce que cela signi­fie­rait de res­pec­ter et hono­rer les ani­maux comme Claire Jean Kim nous y invite ? Les fémi­nistes socia­listes se battent pour obte­nir un salaire lié aux tra­vaux ména­gers ; nous ne sou­te­nons évi­dem­ment pas que les ani­maux devraient être consi­dé­rés comme des tra­vailleurs méri­tant un salaire et des avan­tages, à l’ins­tar de leurs homo­logues humains. Il n’y a aucun moyen d’in­dem­ni­ser Gunda ou la vache dont on a appris à ne pas entendre les « cris d’an­goisse ». Au contraire, à la suite de Marx, nous pen­sons que toutes les créa­tures ont un être géné­rique [Gattungswesen1], un être que les modes de pro­duc­tion capi­ta­liste aliènent de dif­fé­rentes façons. Tout d’a­bord, res­pec­ter l’être géné­rique d’une vache, d’une truie ou d’une poule néces­site l’é­la­bo­ra­tion d’un régime éco­no­mique et juri­dique qui la recon­naisse comme une per­sonne vivante et non comme une chose.

Le fémi­nisme socia­liste offre à nos yeux un cadre pré­cieux — et jus­qu’à pré­sent insuf­fi­sam­ment uti­li­sé — pour com­prendre la nature cruelle et des­truc­trice des indus­tries ani­males. Ce n’est qu’en élar­gis­sant l’a­na­lyse socia­liste fémi­niste au-delà de l’hu­main que nous pou­vons plei­ne­ment sai­sir la dépen­dance du capi­ta­lisme à l’é­gard de l’en­fer­me­ment, le contrôle et la pri­va­ti­sa­tion des capa­ci­tés régé­né­ra­tives de la vie — et com­prendre pour­quoi les conser­va­teurs, et l’alt-right2 en par­ti­cu­lier, voient les véganes comme une menace exis­ten­tielle. En anglais, « milk » est à la fois un nom — « un fluide blanc opaque riche en graisses et en pro­téines, sécré­té par les mam­mi­fères femelles pour nour­rir leurs petits », d’a­près l’Oxford English Dictionary — et un verbe qui signi­fie « exploi­ter pour le pro­fit ». C’est en contrai­gnant et mar­chan­di­sant la repro­duc­tion des humains et des ani­maux non-humains que le capi­ta­lisme se repro­duit. Comme Federici l’a expli­qué, « la classe capi­ta­liste a tou­jours besoin d’une popu­la­tion sans droits, dans les colo­nies, dans la cui­sine, dans la plan­ta­tion », et, comme ces exemples l’in­diquent, dans la ferme et dans l’a­bat­toir. Ainsi que l’ont mon­tré les fémi­nistes socia­listes telles que Federici, le capi­ta­lisme s’est déve­lop­pé en encou­ra­geant et en contrai­gnant les femmes à accep­ter leur rôle de nour­rice dés­in­té­res­sée comme natu­rel, inévi­table et éter­nel. Au fil des siècles, les gens se sont sou­le­vés et ont reven­di­qué un ensemble de mesures et de pers­pec­tives pour les per­sonnes dési­gnées comme femmes — autre chose qu’une vie entière de vais­selle, de couches et de rap­ports sexuels sur demande. Les femmes ont exi­gé de contrô­ler si elles sou­haitent avoir des rela­tions sexuelles et, le cas échéant, com­ment et si elles sou­haitent être enceintes, avor­ter, accou­cher et allai­ter. Le capi­ta­lisme nous a cepen­dant per­sua­dés de revoir à la baisse les attentes que nous avons envers nos sem­blables. Une pers­pec­tive fémi­niste socia­liste nous pousse à nous deman­der de quelle manière nous en sommes venus à consi­dé­rer comme allant de soi la méca­ni­sa­tion vio­lente, le contrôle des uté­rus, des poi­trines et des capa­ci­tés repro­duc­tives des autres ani­maux pour le pro­fit — et les pro­fondes inéga­li­tés et la des­truc­tion qui en découlent.

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« Une pers­pec­tive fémi­niste socia­liste nous pousse à nous deman­der de quelle manière nous en sommes venus à consi­dé­rer comme allant de soi la méca­ni­sa­tion vio­lente, le contrôle des utérus. »

[…] En 1758, le natu­ra­liste sué­dois Carl Linné a intro­duit le mot « mam­ma­lia » dans la taxi­no­mie zoo­lo­gique : un terme signi­fiant lit­té­ra­le­ment « du sein ». Ce fai­sant, Linné rom­pait avec deux mille ans de tra­di­tion, aban­don­nant le mot cano­nique d’Aristote « qua­dru­pe­dia » et, plus radi­ca­le­ment encore, incluant les êtres humains dans la même caté­go­rie que les autres ani­maux. Ainsi que l’a pour­tant sug­gé­ré l’his­to­rien des sciences Londa Schiebinger, les humains n’ont été inté­grés à la famille ani­male que par le biais d’une par­tie du corps spé­ci­fi­que­ment sexuée, et à l’é­poque pro­fon­dé­ment racia­li­sée. Et comme le fait remar­quer Schiebinger, les mamelles pro­duc­trices de lait ne sont fonc­tion­nelles que chez la moi­tié des ani­maux de ce groupe, et d’autres dis­tinc­tions plus uni­ver­selles auraient pu être rete­nues (nous aurions tout aus­si bien pu être pilo­sa, les poi­lus, ou aure­ca­vi­ga, les oreilles creuses). Le sein était por­teur d’un pou­voir poli­tique et social par­ti­cu­lier, notam­ment par sa capa­ci­té à pro­duire du lait et nour­rir les petits : il était déjà consi­dé­ré comme ani­mal. En d’autres termes, c’é­tait une par­tie du corps qui pou­vait relier les humains et les ani­maux d’une manière accep­table tout en pré­ser­vant la supé­rio­ri­té masculine.

Les corps des hommes n’é­taient pas expli­ci­te­ment liés aux ani­maux ; en revanche, leur cer­veau était cen­sé nous dif­fé­ren­cier (le terme uti­li­sé par Linné pour notre propre espèce était « Homo sapiens », « homme de rai­son »). Suivant Schiebinger, le terme « mam­mi­fère » ne peut pas être appré­hen­dé sans une com­pré­hen­sion plus large des inquié­tudes liées à la volon­té des femmes de deve­nir des citoyennes à part entière et d’exer­cer un pou­voir en dehors du foyer — ce qui façon­nait la dyna­mique poli­tique et éco­no­mique de l’é­poque. Le terme « mam­mi­fère » rap­pe­lait à toutes les femmes la place qui était la leur dans la nature et dans la socié­té : celle de pro­duc­trices de lait. Le terme « mam­mi­fère » peut donc être vu comme un rap­pel de l’ordre capi­ta­liste, patriar­cal, raciste et spé­ciste qui place la mas­cu­li­ni­té blanche au-des­sus de tout — autant de concepts qui imprègnent le lait que les gens de droite boivent avec tant de fier­té. Mais en tant que fémi­nistes socia­listes, nous pou­vons éga­le­ment entendre dans ce mot un appel à la cama­ra­de­rie. Les autres espèces ne méritent pas seule­ment notre sym­pa­thie parce qu’elles souffrent, mais notre soli­da­ri­té parce qu’elles sont aus­si exploi­tées et dépos­sé­dées. Notre sta­tut de mam­mi­fère peut nous rap­pe­ler notre ani­ma­li­té par­ta­gée et le fait que notre éco­no­mie dépende de l’ex­ploi­ta­tion d’hu­mains et d’in­nom­brables autres espèces.

[Bob Thompson]

Comme le montre l’exemple de l’ex­trême droite, le spé­cisme nuit en fin de compte aux êtres humains car il imprègne for­cé­ment nos rela­tions mutuelles et jus­ti­fie l’op­pres­sion et l’ex­ploi­ta­tion (un peu comme il a été démon­tré que le racisme a des consé­quences dévas­ta­trices et même mor­telles pour les Blancs ou que la miso­gy­nie nuit aux hommes). D’après le théo­ri­milk­cien poli­tique Will Kymlika, au moins dix études de socio­lo­gie et de psy­cho­lo­gie revues par des pairs montre que la croyance en la hié­rar­chie des espèces est « sys­té­ma­ti­que­ment asso­cié à une plus grande déshu­ma­ni­sa­tion des groupes humaines défa­vo­ri­sés ou mar­gi­na­li­sés ». Cette consta­ta­tion se reflète direc­te­ment dans les répu­gnantes « milk par­ty3″, mais elle se mani­feste aus­si dans les pra­tiques quo­ti­diennes de l’a­gri­cul­ture ani­male indus­trielle et son trai­te­ment impi­toyable des êtres humains. Les com­mu­nau­tés pauvres noires, immi­grées et han­di­ca­pées subissent de manière dis­pro­por­tion­née les effets néga­tifs de la pro­duc­tion de viande sur la san­té et les abus notoires du sec­teur en matière de tra­vail. Bien que les trau­ma­tismes infli­gés aux gens et aux ani­maux par ces indus­tries ne soient pas les mêmes, ils sont étroi­te­ment liés. Nous sommes tous pris dans le même sys­tème capi­ta­liste raciste, sexiste, colo­nial et éco­lo­gi­que­ment catastrophique.

La célèbre autrice et mili­tante pour la libé­ra­tion des Noirs Angela Davis a fait une obser­va­tion simi­laire durant une conver­sa­tion publique avec Astra [Taylor], l’an­née pas­sée. « La hié­rar­chi­sa­tion des humains conduit éga­le­ment à des défi­ni­tions res­treintes de qui compte comme humains, et la bru­ta­li­sa­tion des ani­maux est liée à la bru­ta­li­sa­tion des ani­maux humains », disait-elle ain­si, pré­ci­sant que son véga­nisme est asso­cié à une vision radi­ca­le­ment démo­cra­tique de trans­for­ma­tion sociale, à la fois anti­ra­ciste, fémi­niste, anti­car­cé­rale et anti­ca­pi­ta­liste. « Si nous vou­lons nous enga­ger dans des luttes per­ma­nentes pour la liber­té et la démo­cra­tie, nous devons recon­naître que les ques­tions devien­dront de plus en plus vastes », conti­nuait-elle. « Je ne sous-entends pas que la tra­jec­toire de l’his­toire est auto­ma­tique. Mais nous avons été témoins d’une notion tou­jours plus éten­due de la nature de la démo­cra­tie. Et je ne vois pas com­ment nous pou­vons exclure nos com­pa­gnons non-humains avec qui nous par­ta­geons cette pla­nète ». Et Davis d’es­ti­mer que la ques­tion de la soli­da­ri­té inter-espèces « sera un ter­rain de lutte très impor­tant pour la période à venir ».

« La libé­ra­tion humaine et la libé­ra­tion ani­male sont donc imbri­quées. La bru­ta­li­sa­tion de tous les êtres, comme l’a affir­mé Davis, est liée. »

Un nombre crois­sant d’é­tudes exa­mi­nant les liens com­plexes entre les hié­rar­chies humaines basées sur la race, le sexe et le han­di­cap d’une part, et la déva­lo­ri­sa­tion des ani­maux d’autre part, étaie la vision radi­cal de Davis. Pour Syl Ko — autrice, aux côtés de sa sœur Aph Ko, de réflexions sur les inter­sec­tions entre le racisme anti-noir et le spé­cisme —, les concep­tions occi­den­tales d’« humain » et d’« ani­mal » sont en fait des « termes raciaux » : ce sont des idées façon­nées par la hié­rar­chie raciale pen­dant plus de cinq siècles. Les oppri­més ont long­temps été com­pa­rés à des ani­maux en oppo­si­tion à une image pri­vi­lé­giée et idéa­li­sée de la mas­cu­li­ni­té blanche, pré­sen­tée comme le som­met de l’hu­ma­ni­té. Selon les mots de Claire Jean Kim, « la race a été énon­cée en par­tie comme une mesure de l’a­ni­ma­li­té, un sys­tème de clas­si­fi­ca­tion qui ordonne les corps humains selon qu’ils soient de nature ani­male ou non, avec toutes les impli­ca­tions qui en découlent ». Ainsi, comme l’a indi­qué Aph Ko lors d’une récente inter­view, recon­naître une hié­rar­chie d’es­pèces ne consiste pas à ajou­ter une nou­velle oppres­sion à une longue liste d’i­né­ga­li­tés sociales, mais plu­tôt à recon­naître com­ment les caté­go­ries humaines de dif­fé­rence ont été façon­nées par les idées d’a­ni­ma­li­té — plus pré­ci­sé­ment par une ani­ma­li­té rabais­sée et mépri­sée. En rai­son de cette his­toire entre­mê­lée, les sœurs Ko affirment que les défen­seurs des ani­maux feraient bien de consi­dé­rer la jus­tice raciale comme un élé­ment cen­tral de leurs tra­vaux, et vice ver­sa. Une pers­pec­tive qu’elles appellent « Black vega­nism » — une phi­lo­so­phie en tous points oppo­sée à l’i­déo­lo­gie miso­gyne de ces supré­ma­cistes blancs avides de lait.

La libé­ra­tion humaine et la libé­ra­tion ani­male sont donc imbri­quées. La bru­ta­li­sa­tion de tous les êtres, comme l’a affir­mé Davis, est liée. Tout comme nous deman­dons à la gauche d’é­lar­gir le cercle de ses pré­oc­cu­pa­tions, les défen­seurs des ani­maux doivent adop­ter une ana­lyse glo­bale qui com­prenne les inter­con­nexions exis­tantes entre des ques­tions appa­rem­ment dis­tinctes, depuis les mau­vais trai­te­ments fla­grants infli­gés aux tra­vailleurs agri­coles sou­vent immi­grés qui pro­duisent notre nour­ri­ture jus­qu’au sys­tème raciste de sanc­tions pénales de ce pays qui empri­sonne des mil­lions de per­sonnes, en pas­sant par l’obs­cène concen­tra­tion de richesse et de pou­voir que notre éco­no­mie impé­ria­liste per­met. Alors que nous pen­sons qu’il est essen­tiel de man­ger davan­tage de végé­taux si nous vou­lons réduire les souf­frances et atté­nuer les pires effets du chan­ge­ment cli­ma­tique, nous savons éga­le­ment que chan­ger uni­que­ment le conte­nu de notre assiette demeure insuf­fi­sant. C’est pour­quoi le véga­nisme n’a jamais vrai­ment été uni­que­ment une ques­tion d’a­li­men­ta­tion. Les grandes entre­prises sont heu­reuses de nous vendre des pro­duits bio­lo­giques, de nou­veaux et per­fec­tion­nés bur­gers végé­ta­riens et des « laits » de noix sophis­ti­qués en même temps que les varié­tés tra­di­tion­nelles d’o­ri­gine natu­relle, tant qu’elles peuvent payer des salaires de misère, contrô­ler les chaînes d’ap­pro­vi­sion­ne­ment, déte­nir la pro­prié­té intel­lec­tuelle et récol­ter les pro­fits. Nous avons besoin de plus que de pro­duits végans à consom­mer : nous avons besoin d’un chan­ge­ment de paradigme.

[Bob Thompson]

*

Certains mili­tants de gauche aiment citer ce poème de Percy Shelley, « La mas­ca­rade de l’anarchie » :

Debout ! comme des lions
après le repos, en nombre invincible !
Secouez vos chaînes à terre, comme une rosée
Qui dans votre som­meil serait tom­bée sur vous !
Vous êtes beau­coup ; ils sont en petit nombre4.

Il est utile de rap­pe­ler que, comme un nombre éton­nant de radi­caux roman­tiques et de socia­listes uto­piques, les « nom­breux » Shelley ont expri­mé leur pré­oc­cu­pa­tion à l’en­droit des ani­maux. Shelley a écrit deux essais influents dénon­çant le car­ni­vo­risme, en com­men­çant par A Vindication of Natural Diet publié en 1813, sui­vi peu après par On the Vegetable System Diet (le mot « végé­ta­rien » ne sera inven­té que deux décen­nies plus tard). Bien que ses argu­ments s’ap­puient sur des sources grecques antiques et hin­doues, le titre du pre­mier trai­té fait néan­moins écho au célèbre A Vindication of the Rights of Women, rédi­gé par la fémi­niste Mary Wollstonecraft — la mère de la com­pagne de Percy, qui par­ta­geait des opi­nions simi­laires (le pro­ta­go­niste de son fameux roman Frankenstein refuse de man­ger de la chair). Les deux Shelley com­pre­naient que la consom­ma­tion de viande était reliée à une struc­ture de pou­voir qui cau­sait une souf­france immense et évi­table. Selon Shelley, la pro­duc­tion de viande contri­buait à la mau­vaise ges­tion des res­sources natu­relles, à la pénu­rie ali­men­taire (puisque les céréales qui pour­raient nour­rir les humains sont don­nées aux ani­maux) et à l’i­né­ga­li­té économique.

L’appétit pour les pro­duits ani­maux et pour le pro­fit sont effec­ti­ve­ment liés au capi­ta­lisme depuis son ori­gine). Au XVIe siècle, l’es­sor du com­merce de laine est à l’o­ri­gine du mou­ve­ment des enclo­sures. Avant que l’é­lite patri­cienne ne rem­plisse la cam­pagne de bovins et com­mence à pro­duire de la viande à grande échelle, elle a conver­ti des terres arables en pâtu­rages pour les mou­tons. Comme l’a dit le phi­lo­sophe du XVIe siècle Thomas Moore, « Les trou­peaux innom­brables de mou­tons qui couvrent aujourd’hui toute l’Angleterre. Ces bêtes, si douces, si sobres par­tout ailleurs, sont chez vous tel­le­ment voraces et féroces qu’elles mangent même les hommes, et dépeuplent les cam­pagnes, les mai­sons et les vil­lages.5″ Très vite, des chèvres, des porcs et du bétail ont été uti­li­sés pour dévo­rer et enfer­mer le soi-disant « nou­veau monde ». Dans Creatures of Empire: How Domestic Animals Transformed Early America, Virginia Anderson révèle com­ment les colons ont consciem­ment enrô­lé les créa­tures qu’ils nom­maient bétail dans la cause de l’ex­pan­sion colo­niale et de l’en­ceinte capi­ta­liste, les trans­por­tant à tra­vers l’Atlantique pour aider à « civi­li­ser » le conti­nent. Les ani­maux impor­tés étaient des pions dans l’ac­ca­pa­re­ment impé­ria­liste et la des­truc­tion des terres et des modes de vie autoch­tones. Les colons ont construit un sys­tème de pro­prié­té fon­cière qui pri­vi­lé­giait le mou­ve­ment de leurs ani­maux et les droits de pâtu­rage au détri­ment des reven­di­ca­tions ter­ri­to­riales et des droits de chasse autoch­tones. Le bœuf est deve­nu une icône de la culture amé­ri­caine et un sym­bole de la Destinée mani­feste, avec des com­mu­nau­tés assié­gées dépla­cées dans des réserves et des buffles chas­sés jus­qu’à l’ex­tinc­tion pour faire place au bétail. (La domes­ti­ca­tion des ani­maux était éga­le­ment à l’o­ri­gine des mala­dies zoo­no­tiques pro­pa­gées par les Européens, qui ont rava­gé les popu­la­tions autoch­tones dépour­vues d’immunité.)

« Non seule­ment l’a­gri­cul­ture indus­trielle est l’une des prin­ci­pales causes de la défo­res­ta­tion et des chan­ge­ments cli­ma­tiques, mais elle nous expose aus­si à un risque crois­sant de pandémies. »

« La vision de la nature qui s’est déve­lop­pée sous le régime de la pro­prié­té pri­vée et de l’argent est un mépris véri­table et une dégra­da­tion concrète de celle-ci », obser­vait Marx en 1843. Bien qu’il ne soit pas allé au bout de cette idée de façon sys­té­ma­tique, il a cité de manière appro­ba­trice Thomas Müntzer, prêtre alle­mand radi­cal du XVIe siècle : » Toutes les créa­tures ont été trans­for­mées en pro­prié­té, le pois­son dans l’eau, les oiseaux dans l’air, les plantes sur la terre — tous les êtres vivants doivent aus­si deve­nir libres. » Marx n’é­tait évi­dem­ment pas un par­ti­san de la cause ani­male. Ses des­crip­tions les plus célèbres de ce à quoi le com­mu­nisme res­sem­ble­rait — on pour­rait « chas­ser le matin, pêcher l’a­près-midi, éle­ver du bétail le soir, cri­ti­quer après le dîner » — ne décrit guère un para­dis végan. À l’ex­cep­tion notable de Cuba, les pays socia­listes se sont géné­ra­le­ment mon­trés vio­lents à l’é­gard des ani­maux et ont exploi­té la nature de la même manière que leurs concur­rents sou­mis au mar­ché. Nous pen­sons néan­moins que nos sem­blables ne seront jamais éman­ci­pés au sein du para­digme capi­ta­liste. Nous pen­sons qu’il en va de même pour les humains dans un modèle anthro­po­cen­trique et spéciste.

Deux siècles après que Shelley ait écrit ses mis­sives, les argu­ments en faveur de l’abs­ti­nence sont encore plus convain­cants. Entre l’a­gri­cul­ture, l’é­le­vage et les cultures four­ra­gères, l’in­dus­trie de l’é­le­vage dévore 40 % de la sur­face habi­table de la pla­nète. Non seule­ment l’a­gri­cul­ture indus­trielle est l’une des prin­ci­pales causes de la défo­res­ta­tion et des chan­ge­ments cli­ma­tiques (une étude récente pré­voit que les émis­sions de gaz à effet de serre des plus grandes entre­prise de viande et de pro­duits lai­tiers dépas­se­ront bien­tôt celles des plus grandes com­pa­gnies pétro­lières), mais elle nous expose aus­si à un risque crois­sant de pan­dé­mies ; de nou­velles zoo­noses et bac­té­ries résis­tantes aux anti­bio­tiques sont pro­duites dans les fermes indus­trielles sur­peu­plées — y com­pris des agents patho­gènes qui pour­raient un jour faire pas­ser le Covid-19 pour un simple rhume. […] Les indus­tries ani­males sont les prin­ci­paux moteurs de l’ex­tinc­tion de masse : jus­qu’à 150 espèces dis­pa­raissent chaque jour, alors que les humains et les ani­maux d’é­le­vage repré­sentent désor­mais plus de 96 % de la bio­masse mam­mi­fère de la pla­nète. Remplacer les ani­maux sau­vages avec des mil­liards d’être géné­ti­que­ment iden­tiques réduit radi­ca­le­ment la bio­di­ver­si­té tout en aug­men­tant notre vul­né­ra­bi­li­té, tout cela pour aug­men­ter le béné­fice des entre­prises. Le trai­te­ment et le sort des ani­maux domes­tiques sont indis­so­ciables de la sur­vie des ani­maux sau­vages et de la nôtre.

[Bob Thompson]

Ce sont des ques­tions urgentes qui devraient pré­oc­cu­per tous les mili­tants de gauche, en par­ti­cu­lier celles et ceux qui se consi­dèrent comme socia­listes et fémi­nistes. […] Les socia­listes prompts à remettre en ques­tion la pro­prié­té pri­vée inter­rogent rare­ment la pro­prié­té ani­male, ou n’at­tirent que peu l’at­ten­tion sur les consé­quences des­truc­trices des indus­tries ani­males. […] Malheureusement, le mou­ve­ment domi­nant de défense des ani­maux a contri­bué à iso­ler cette cause des autres mou­ve­ments de jus­tice sociale à gauche. La recru­des­cence de porte-paroles célèbres (y com­pris des per­son­na­li­tés bien inten­tion­nées comme Phoenix), les pitre­ries sou­vent offen­santes de PETA et la logique uti­li­ta­riste contro­ver­sée de Peter Singer ont toutes contri­bué à cet iso­le­ment. L’accent mis sur la san­té per­son­nelle peut éga­le­ment s’a­vé­rer être mau­vaise stra­té­gie poli­tique. En réflé­chis­sant à l’im­mense suc­cès de The Jungle, son roman expo­sant les hor­reurs de l’in­dus­trie de l’emballage de viande, l’é­cri­vain socia­liste Upton Sinclair a fait cette célèbre remarque : « J’ai visé le cœur du public et, par acci­dent, je l’ai tou­ché à l’es­to­mac. » Une remarque simi­laire s’ap­plique aux mili­tants contem­po­rains qui, déter­mi­nés à ne pas appa­raître comme des don­neurs de leçons, ont choi­si de sou­li­gner les bien­faits phy­siques du végé­ta­risme dans l’es­poir que cibler l’es­to­mac pour­rait offrir un moyen détour­né d’ou­vrir l’es­prit. En offrant lit­té­ra­le­ment une carotte (idéa­le­ment bio­lo­gique et joli­ment spi­ra­lée) au lieu d’un bâton dans leur quête pour conver­tir les gens à un régime à base de plantes, les réfor­mistes sou­cieux d’ins­pi­rer la soli­da­ri­té entre les espèces ont sim­ple­ment fait appel à la vani­té des gens — ce qui n’est pas vrai­ment une base stable pour un mou­ve­ment poli­tique puis­sant ou durable.

Cette tac­tique a éga­le­ment contri­bué à l’i­mage du véga­nisme comme un domaine de Blancs pri­vi­lé­giés qui ne sont pas confron­tés à des menaces plus urgentes pour leur sur­vie (en réa­li­té, la grande majo­ri­té des végé­ta­riens du monde ne sont pas blancs et, en Amérique du Nord, les Blancs sont un peu moins nom­breux à adop­ter le végé­ta­risme que les autres groupes). Comme l’a expo­sé l’au­teur et spé­cia­liste de l’a­li­men­ta­tion A. Breeze Harper dans son brillant Sistah Vegan: Black Women Speak on Food, Identity, Health and Society, les livres et maga­zines végé­ta­liens popu­laires grand public véhi­culent sans relâche des repré­sen­ta­tions racistes, hété­ro­nor­ma­tives et capa­ci­tistes de ce à quoi devrait res­sem­bler un man­geur éthique. Un végé­ta­lien, dans le lan­gage de la gamme de livres de régime à suc­cès, devrait être une « connasse maigre » — blanche, aisée et mince. L’association du véga­nisme avec la beau­té et le bien-être a éga­le­ment por­té atteinte à sa répu­ta­tion en ren­for­çant l’i­dée que ce que nous man­geons n’est qu’une ques­tion de pré­fé­rence per­son­nelle. « Devenir végé­ta­lien » est consi­dé­ré comme un mode de vie de plus, pro­po­sé sur un mar­ché déjà saturé.

« De nom­breux mili­tants de gauche res­tent atta­chés à l’i­dée de domi­ner la nature au nom du pro­grès social. Ils feraient bien de réflé­chir à la men­ta­li­té colo­niale dont est issu cet anta­go­nisme destructeur. »

Néanmoins, le fait que cer­tains végé­ta­liens puissent être ennuyeux, mal­avi­sés — ou pire — n’est pas une rai­son pour que les gens de gauche rejettent la ques­tion de la libé­ra­tion ani­male ou accordent un blanc-seing à cer­taines des plus grandes entre­prises du monde. (Si être ennuyeux était le test déci­sif pour être de gauche, nous serions effec­ti­ve­ment une petite cohorte.) En plus de cri­ti­quer et de com­battre sans relâche les pra­tiques com­mer­ciales répré­hen­sibles, nous pen­sons que les fémi­nistes et les anti­ca­pi­ta­listes ont le devoir de poser une ques­tion plus pro­fonde : qu’est-ce qui fonde le droit de notre espèce à mar­chan­di­ser et à dépos­sé­der d’autres êtres sen­sibles ? Qu’est-ce qui donne à notre espèce le droit d’ex­ploi­ter vio­lem­ment les capa­ci­tés sexuelles et repro­duc­tives d’un autre ani­mal au ser­vice du capi­tal ? Dans une lettre de 1875, Friedrich Engels se deman­dait si la lutte de la classe ouvrière pour­rait être favo­ri­sée par une notion élar­gie de la soli­da­ri­té. Elle pour­rait « gran­dir jus­qu’à embras­ser toute l’hu­ma­ni­té et l’op­po­ser, comme une socié­té fra­ter­nelle vivant dans la soli­da­ri­té, au reste du monde — le monde des miné­raux, des plantes et des ani­maux ». Aujourd’hui, de nom­breux mili­tants de gauche res­tent atta­chés à l’i­dée de domi­ner la nature au nom du pro­grès social. Ils feraient bien de réflé­chir à la men­ta­li­té colo­niale dont est issu cet anta­go­nisme des­truc­teur. Les socié­tés indi­gènes et les phi­lo­so­phies poli­tiques ont long­temps sui­vi une approche dif­fé­rente : la terre n’est pas une res­source à épui­ser mais quelque chose dont les humains font par­tie et avec laquelle ils sont en rela­tion. Dans de nom­breuses com­mu­nau­tés autoch­tones, les éco­lo­gies et les espèces locales sont consi­dé­rées comme des nations avec des droits envers les­quels les humains ont des responsabilités.

Alors que les visions du monde autoch­tones et les pré­ceptes végans occi­den­taux peuvent par­fois se trou­ver en ten­sion, tous deux remettent en ques­tion l’i­dée que la nature — et les ani­maux — ne sont que des biens. Ils pour­raient dès lors deve­nir de puis­sants alliés contre l’a­gri­cul­ture ani­male indus­trielle. Les ten­ta­tives anthro­po­cen­triques de conquête de la terre nous ont conduits à une situa­tion d’ur­gence cli­ma­tique et à la sixième extinc­tion ; elles ont inten­si­fié la concen­tra­tion des richesses et expo­sé tout le monde au risque de nou­velles pan­dé­mies viru­lentes. Il nous est impos­sible d’être soli­daires contre la pla­nète si nous sou­hai­tons conti­nuer de vivre en son sein.

Comme Carol Adams, nous voyons le véga­nisme comme « un acte d’i­ma­gi­na­tion », un début et non une fin en soi. C’est une caté­go­rie ambi­tieuse. Une recon­nais­sance de valeurs qui ne peuvent pas s’ex­pri­mer com­plè­te­ment dans le monde tel qu’il existe actuel­le­ment. Refuser de consom­mer des pro­duits d’o­ri­gine ani­male n’est pas un acte de renon­cia­tion mais un enga­ge­ment volon­ta­riste afin d’œu­vrer à l’a­vè­ne­ment d’une socié­té plus éman­ci­pa­trice, éga­li­taire et éco­lo­gi­que­ment durable. Ce pro­ces­sus de trans­for­ma­tion struc­tu­relle peut être faci­li­té par un chan­ge­ment dans la com­pré­hen­sion de soi : s’i­den­ti­fier à d’autres créa­tures — recon­naître Gunda et ses por­ce­lets comme des congé­nères et non comme des mar­chan­dises — tout en hono­rant nos innom­brables dif­fé­rences, c’est une façon de défier la poli­tique per­pé­tuelle de divi­sion et de conquête du capitalisme.


Traduit de l’anglais par la rédac­tion de Ballast | Astra & Sunaura Taylor, « The Socialist Feminist Case for Animal Liberation », Lux, n° 3. 
Illustrations de ban­nière et de vignette : Bob Thompson


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  1. « La divi­sion du tra­vail est l’ex­pres­sion éco­no­mique du carac­tère social du tra­vail dans le cadre de l’a­lié­na­tion. Ou bien, comme le tra­vail n’est qu’une expres­sion de l’ac­ti­vi­té de l’homme dans le cadre de l’a­lié­na­tion, l’ex­pres­sion de la mani­fes­ta­tion de la vie comme alié­na­tion de la vie, la divi­sion du tra­vail n’est elle-même pas autre chose que le fait de poser, d’une manière deve­nue étran­gère, alié­née, l’ac­ti­vi­té humaine comme une acti­vi­té géné­rique réelle, ou comme l’ac­ti­vi­té de l’homme en tant qu’être géné­rique. […] Mais l’homme n’est pas seule­ment un être natu­rel, il est aus­si un être natu­rel humain ; c’est-à-dire un être exis­tant pour soi, donc un être géné­rique, qui doit se confir­mer et se mani­fester en tant que tel dans son être et dans son savoir. » Manuscrits de 1844[]
  2. De alter­na­tive right : par­tie de la droite éta­su­nienne qui rejette le conser­va­tisme clas­sique du par­ti répu­bli­cain et milite, entre autres, pour le supré­ma­cisme blanc [ndlr].[]
  3. Une « milk par­ty » (fête du lait) est une fête pour laquelle les invi­tés sont tenus d’ar­ri­ver avec un gal­lon de lait à offrir à l’hôte. Les invi­tés ignorent géné­ra­le­ment à quoi ser­vi­ra ce lait, l’hôte révé­lant ce qu’il en fera durant la fête [ndlr].[]
  4. Traduction de Félix Rabbe.[]
  5. Traduction de Victor Stouvenel.[]

REBONDS

☰ Lire les bonnes feuilles « Élisée Reclus : les ani­maux, ces autres exploi­tés », Roméo Bondon, décembre 2020
☰ Lire notre entre­tien avec Jean-Marc Gancille : « Sixième extinc­tion de masse et inéga­li­tés sociales sont liées », novembre 2020
☰ Lire notre entre­tien avec Jérôme Segal : « Qui sont les ani­maux ? », avril 2020
☰ Lire notre entre­tien avec Dalila Awada : « Si la jus­tice exclut les ani­maux, elle demeure par­tielle », décembre 2019
☰ Lire notre article « Féminisme et cause ani­male », Christiane Bailey et Axelle Playoust-Braure, jan­vier 2019
☰ Lire notre entre­tien : « Zoopolis — Penser une socié­té sans exploi­ta­tion ani­male », octobre 2018


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Astra Taylor

Cinéaste, écrivaine et animatrice politique. Elle a réalisé plusieurs documentaires, dont What Is Democracy? (2018) et a notamment écrit Remake the World: Essays, Reflections, Rebellions (Haymarket, 2021).

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Sunaura Taylor

Artiste, écrivaine et professeure assistante à l'université de Californie, Berkeley. Elle a notamment écrit Beasts of Burden : Animal and Disability Liberation (The New Press, 2017).

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