En Espagne, une mine qu'on refuse

3 septembre 2022


Texte inédit pour le site de Ballast

C’est au sud-ouest de l’Espagne et c’est une mul­ti­na­tio­nale aus­tra­lienne : elle entend bien extraire le lithium pré­sent dans la région d’Estrémadure. L’extraction du char­bon s’est peu a peu éteinte depuis l’adhé­sion du pays à l’Union euro­péenne, en 1986 : les anciennes mines se sont recon­ver­ties et de nou­veaux mine­rais ont atti­ré les inves­tis­seurs. En Aragon, on prend de l’ar­gile à ciel ouvert dans une mon­tagne lais­sée intacte jus­qu’a­lors ; dans les Asturies, on cherche de l’or depuis la fin des années 1990 ; en Estrémadure, c’est donc du lithium qu’on convoite. Le métal est uti­li­sé pour la fabri­ca­tion des piles et des bat­te­ries. Mais une par­tie de la popu­la­tion locale s’op­pose à ce que l’en­tre­prise Infinity lithium — créée en 2010, cotée en bourse et sou­cieuse, selon ses propres mots, de « faci­li­ter la tran­si­tion éner­gé­tique » — s’en vienne creu­ser la terre. « No a la mina », peut-on lire sur les ponts, dans la rue ou à la fenêtre d’un appar­te­ment. Reportage. ☰ Par Thibaut Gautier


À Aldea Moret, en Estrémadure, les mai­sons de mineurs, les immeubles, le prix du café, l’urbanisation qui suit les dif­fé­rents puits et les anciennes usines de trai­te­ment du phos­phate, tous ces ves­tiges urbains et sociaux rap­pellent la mine fer­mée en 1973. Dans ce quar­tier de Cáceres, un musée lui est dédié. La longue his­toire de l’ex­trac­tion minière y est pas­sée en revue, c’est-à-dire l’his­toire de l’ap­pé­tit des puis­sances de l’époque pour ces terres du sud-ouest de la pénin­sule et leur rôle dans le déve­lop­pe­ment de cette indus­trie. Les ves­tiges phé­ni­ciens et romains issus des mines antiques côtoient les pho­tos des trains à vapeur rem­plis de phos­phate en par­tance pour l’Angleterre colo­niale du XIXe siècle. La fin de la mine est racon­tée selon le grand récit de la dés­in­dus­tria­li­sa­tion des années 1970, tan­dis que le contexte espa­gnol et sa spé­ci­fi­ci­té durant la période fran­quiste, eux, ne sont pas évo­qués. Pas de pho­to de grèves ou de syn­di­cats. Au mitan des années 1970, l’extraction minière du phos­phate1 près de Cáceres n’était plus jugée rentable.

Il en va de l’é­tain2 comme du phos­phate : l’autre mine de Cáceres, Valdeflórez, n’a même pas connu le pres­tige de la classe ouvrière. Petite mine exploi­tée par une com­pa­gnie bri­tan­nique à la fin du XIXe siècle, elle res­te­ra en acti­vi­té jusqu’après la Seconde Guerre mon­diale, sous pavillon espa­gnol, certes, mais sous tutelle du régime de Franco, l’étain étant consi­dé­ré comme un mine­rai d’intérêt mili­taire. D’une taille bien plus modeste qu’Aldea Moret, elle était sur­tout connue des habi­tants de Cáceres — los Cacereños — comme un lieu-dit ren­con­tré lors de leurs balades dans la mon­tagne qui jouxte la ville, à l’est. Les appé­tits des com­pa­gnies étran­gères, le fran­quisme, la mine : tout semble comme dis­pa­ru der­rière les plantes qui enva­hissent l’ancien puits de Valdeflórez ou sous les garages auto­mo­biles qui recouvrent Aldea Moret. La mine, c’est du passé.

Un projet secret : une mine à ciel ouvert

« Cette nou­velle mine, per­sonne ne peut encore la voir et les membres de la pla­te­forme Salvemos la Montaña de Cáceres aime­raient bien qu’il en soit tou­jours ainsi. »

Cáceres vit actuel­le­ment de sa situa­tion de capi­tale pro­vin­ciale3, de son uni­ver­si­té et de son hôpi­tal. Elle vit aus­si de son tou­risme : la vieille ville médié­vale est clas­sée patri­moine mon­dial de l’humanité par l’Unesco. De la mine, par contre, elle ne vit plus ; le visi­teur indo­lent n’en ver­ra aucune trace. À moins qu’au détour d’une vitrine ou à la fenêtre d’un appar­te­ment, il remarque les nom­breuses affiches au slo­gan simple : « No a la mina ».

Cette nou­velle mine, per­sonne ne peut encore la voir et les membres de la pla­te­forme Salvemos la Montaña de Cáceres, à l’origine de ces pan­cartes qui pul­lulent dans la ville, aime­raient bien qu’il en soit tou­jours ain­si. C’est que depuis quelques années, si le phos­phate ou l’étain ne sont plus ren­tables, le lithium4, lui, l’est deve­nu. Grâce aux don­nées col­lec­tées tout au long de l’exploitation et par l’entremise d’une joint-ven­ture [asso­cia­tion d’en­tre­prises sur un pro­jet com­mun, ndlr] avec l’entreprise espa­gnole Valoriza Mineria, Infinity Lithium, entre­prise cotée à la bourse aus­tra­lienne, a eu accès aux rele­vés miniers de Valdeflórez. Elle s’en frotte les mains : il y a du lithium.

[Salvemos la Montaña de Cáceres | DR]

Fin 2016, Infinity Lithium com­mence par deman­der des per­mis d’exploration à la Junta, le gou­ver­ne­ment de la com­mu­nau­té auto­nome de l’Estrémadure dont dépend la pro­vince de Cáceres. Elle les obtient. Mais l’entreprise ne les publie pas dans les jour­naux et ne res­pecte pas les trente jours de délai entre le per­mis et sa mise en œuvre, obli­ga­tion légale qui laisse le temps à chaque citoyen de contes­ter le per­mis auprès de la Junta. Les pre­miers rele­vés géo­lo­giques sur le ter­rain ne per­mettent pas à l’entreprise de se cacher plus long­temps : les pré­lè­ve­ments de sur­face confirment des traces de lithium. Des machines pour son­der sont envoyées sur le ter­rain. Après avoir créé des pistes de manière illé­gale pour l’acheminement de ces engins (l’entreprise sera condam­née en 2019 pour cela), les son­dages débutent à l’hiver 2016–2017. Les habi­tants des cha­lets et les pro­prié­taires des terres alen­tour com­mencent à mener l’enquête. Le pro­jet ne peut plus être dis­si­mu­lé : une mine de lithium risque d’ouvrir dans la Sierra de la Mosca, où se trouve Valdeflórez, à quelques kilo­mètres du centre-ville et au pied du sanc­tuaire de la Virgen de la Montaña, patronne de Cáceres. En juillet 2017, une pre­mière réunion publique d’information orga­ni­sée par Cáceres Tú, une for­ma­tion poli­tique proche de Podemos, réunit repré­sen­tants d’associations de voi­si­nage et de défense de la nature. Cette réunion est le début de la struc­tu­ra­tion d’un groupe d’opposants à la mine : la pla­te­forme Salvemos la Montaña de Cáceres (qui se défi­ni­ra assez vite comme une pla­te­forme citoyenne sans affi­lia­tion à un par­ti politique).

En 2017, l’une des pre­mières images que la pla­te­forme publie, après avoir étu­dié les docu­ments bour­siers de l’entreprise, est effrayante. La com­pa­gnie Infinity Lithium pro­jette l’exploitation d’une mine à ciel ouvert construite à l’image des mines aus­tra­liennes. La terre serait pré­le­vée au fur et à mesure, for­mant à la longue un trou béant, pour être ensuite « raf­fi­née » dans une usine de trai­te­ment où l’on sépare le peu de lithium des autres mine­rais (pro­cé­dé sur lequel nous revien­drons plus tard). La terre dite « sté­rile » est ensuite reje­tée plus loin sur le site. Cette uni­té de pro­duc­tion cou­vri­rait 412 hec­tares. En image, cela donne en lieu et place de la mon­tagne un immense cra­tère. Moyennant donc la des­truc­tion pure et simple du bio­tope de la sier­ra, l’ex­trac­tion de lithium était en 2016 jugée rentable.

Mobilisation citoyenne

« Le code minier espa­gnol, héri­té du fran­quisme, per­met à l’autorité publique l’expropriation des pro­prié­taires des terres pour en faire don à l’entreprise minière. »

Si les huppes fas­ciées, les milans, les hip­po­laïs poly­glottes, tous oiseaux de la sier­ra, ain­si que la flore médi­ter­ra­néenne ont du sou­ci à se faire, les habi­tants aus­si. Le code minier espa­gnol, héri­té du fran­quisme, per­met à l’autorité publique l’expropriation des pro­prié­taires des terres pour en faire don à l’entreprise minière si le per­mis d’exploitation lui est déli­vré. Pour lut­ter contre cet acca­pa­re­ment à grande échelle, Salvemos la Montaña de Cáceres attaque en jus­tice Infinity Lithium sur ses irré­gu­la­ri­tés dans la publi­ca­tion des per­mis. Elle gagne à plu­sieurs reprises. Il est ordon­né à chaque fois à l’entreprise de refaire la demande de per­mis en toute trans­pa­rence. Les trente jours lais­sés aux citoyens pour faire des allé­ga­tions sont mis à pro­fit par la pla­te­forme. Dans un cas elle en dépo­se­ra plus de 30 000, ralen­tis­sant consi­dé­ra­ble­ment le projet.

Au fil de ses déboires admi­nis­tra­tifs et judi­ciaires, Infinity Lithium tente de soi­gner son image. Elle lance des cam­pagnes publi­ci­taires, com­mande des son­dages pour fabri­quer une opi­nion publique en sa faveur et mène une poli­tique de lob­bying intense. Celle-ci s’apparente à du pan­tou­flage en règle quand en 2019 l’entreprise débauche un poli­ti­cien local, Gayetano Polo, ancien membre du par­ti libé­ral Ciudadanos, ancien conseiller muni­ci­pal de Cáceres et ancien élu à la Junta juste avant sa prise de fonc­tion. Gayetano Polo prend la charge des rela­tions avec les ins­ti­tu­tions. On appré­cie l’eu­phé­misme. L’homme n’est rien de plus qu’un lobbyiste.

[Salvemos la Montaña de Cáceres | hoy.es

Cette pro­pa­gande en faveur de la mine, Salvemos la Montaña la com­bat en orga­ni­sant des cam­pagnes d’informations sur les dan­gers qu’elle repré­sente, ain­si que des ran­don­nées pour faire connaître le site et mani­fes­ta­tions. À par­tir de 2018, ces der­nières ras­semblent sou­vent plu­sieurs mil­liers de per­sonnes. La contre-offen­sive réus­sit. En mars 2021, après quatre ans de conflits, la pla­te­forme orga­nise une marche de Cáceres jusqu’à Merida, la capi­tale d’Estrémadure où siège la Junta. Le but : deman­der une audience auprès de cette der­nière. Les années de mobi­li­sa­tion et la pres­sion popu­laire paient. La Junta, jusque-là peu dis­po­sée à prendre par­ti, les reçoit à leur arri­vée. À la suite de cette réunion, l’un des per­mis est refu­sé à Infinity Lithium. Son cours à la bourse aus­tra­lienne dévisse, obli­geant même l’entreprise à sus­pendre sa cota­tion. Le poli­ti­cien Gayetano Polo, lui, est ren­voyé dans la fou­lée. Le pro­jet semble avoir du plomb dans l’aile. À moins que ce ne soit une vic­toire à la Pyrrhus.

Rentabilité et greenwashing : le projet de mine souterraine

Quand nous inter­ro­geons Santiago Márquez, porte-parole de la pla­te­forme Salvemos la Montaña, il nous explique com­ment un pro­jet minier de cette enver­gure est jugé ren­table. Le prix du mine­rai d’abord : le cours du lithium a bon­di de 6 430 euros la tonne en 2016 à 45 000 euros début 2022. À ce prix-là et sous l’effet d’une demande tou­jours crois­sante, l’extraction du lithium demeure ren­table mal­gré les obs­tacles. Toutefois, des pro­jets aus­si pha­rao­niques ne peuvent pas voir le jour sans aides publiques. Parmi celles-ci, le Pacte vert pour l’Europe5 lan­cé en 2019 pré­voit des sub­ven­tions de l’Union euro­péenne pour les pro­jets qui per­met­traient de décar­bo­ner nos sources d’énergie, de quoi aigui­ser les appé­tits. Enfin, der­nier point impor­tant pour le porte-parole, un pro­jet comme celui-ci doit aus­si être vu com­pris comme une opé­ra­tion bour­sière, avec sa marge de spé­cu­la­tion. Si 2021 a mar­qué un coup d’arrêt, les pers­pec­tives de ren­ta­bi­li­té du site res­tent très attrac­tives sous l’effet du prix du lithium et dans le contexte géo­po­li­tique euro­péen. Prenant acte, Infinity Lithium va donc pro­po­ser à ses inves­tis­seurs une solu­tion pour vaincre les résis­tances et conti­nuer d’attirer les inves­tis­seurs : une mine souterraine.

« Notre image des mines sou­ter­raines héri­tées du char­bon, avec ses gale­ries étroites étayées de madriers en bois appar­tient au folklore. »

Santiago Márquez nous met en garde : notre image des mines sou­ter­raines héri­tées du char­bon, avec ses gale­ries étroites étayées de madriers en bois, appar­tient au folk­lore. Actuellement, les pro­grès des tech­niques minières et la spé­ci­fi­ci­té de l’extraction de terres dites rares (où toute la terre doit être extraite afin d’en pré­le­ver les quelques pour­cents ren­tables) ont fait chan­ger de dimen­sion l’extraction minière sou­ter­raine. Les roues des camions uti­li­sés pour le trans­port de la terre extraite sont plus hautes qu’une per­sonne se tenant debout. Les tun­nels prin­ci­paux qui per­mettent la des­serte des camions vers les cavi­tés extrac­trices sont plus larges qu’un tun­nel d’autoroute. Ce nou­veau pro­jet est à l’image de la frac­ture idéo­lo­gique qu’engendre la pres­sion éco­lo­gique. Le pro­jet devient sou­dain accep­table car il main­tient le pay­sage en sur­face, celui-ci par­ti­ci­pant d’un cadre de vie qu’on sou­haite immuable, non pas dans une logique éco­lo­gique (qui pense le milieu dans son ensemble) mais dans une logique conser­va­trice (qui fait du pay­sage une carte pos­tale, une image de marque). La pré­oc­cu­pa­tion pour le pay­sage est un thème ambi­gu (et, en ce sens, par­fois uti­li­sé par les poli­tiques de droite). Infinity lithium est prête à un com­pro­mis sur ce point. L’esthétique rejoint sou­vent des ques­tions immo­bi­lières. Le cadre de vie devient une rente. Peu de per­sonnes à Cáceres n’ont inté­rêt à ris­quer de désta­bi­li­ser le mar­ché immo­bi­lier à cause d’une mine à ciel ouvert à moins de deux kilo­mètres du centre-ville. Mais ce com­pro­mis est éga­le­ment accep­table parce qu’il n’of­fri­rait pas au regard des oppo­sants la vision rebu­tante d’une mine a ciel ouvert, cra­tère lunaire tom­bé dans la Sierra de la Mosca. Il est réa­li­sable parce que la tonne de lithium s’é­lève à plus de 40 000 euros. Enfin, il est envi­sa­geable par Infinity Lithium car il conti­nue de nier les pro­blèmes sociaux et éco­lo­giques réels d’une telle entre­prise. L’histoire récente de l’exploitation minière en Espagne n’est pour­tant pas avare en exemples à même d’illus­trer ces pro­blèmes. Dans l’ouvrage col­lec­tif Minería y Extractivismos6, les auteurs relèvent ain­si qu’au début des années 2020, au moins vingt-et-un pro­jets miniers en Espagne étaient contes­tés et avaient impli­qué la consti­tu­tion de groupes s’y oppo­sant. Les res­sources convoi­tées sont tou­jours les mêmes : ura­nium, hydro­car­bures, or, tungs­tène et, bien sûr, lithium.

Des pro­jets simi­laires à celui de Infinity Lithium, l’Estrémadure n’en manque pas. Le porte-parole de la pla­te­forme nous explique celui de la mine de La Parilla, situé lui aus­si dans la pro­vince de Cáceres. Vendue comme la pre­mière réserve euro­péenne de tungs­tène7 par la com­pa­gnie bri­tan­nique W Resources qui l’exploite, la mine a été ouverte en 2019. Trois ans plus tard, elle est à l’arrêt pour manque de liqui­di­tés après l’envolée des coûts du gaz néces­saire à son fonc­tion­ne­ment. Elle n’a pas payé ses 130 employés depuis mars 2022, et cela mal­gré le prix du tungs­tène qui ne cesse d’augmenter depuis deux ans, ain­si qu’une sub­ven­tion de 5,3 mil­lions d’euros de la part la Junta en 2018. Si les ins­ti­tu­tions peuvent don­ner, elle peuvent aus­si par­fois reprendre. Elle lui a ain­si infli­gé une amende de 65 000 euros en juillet pour non-res­pect des normes envi­ron­ne­men­tales. Alors, quand Infinity Lithium pré­voit pour sa nou­velle mine plus de 1 000 emplois directs et indi­rects, Santiago Marquez ne cache pas ses inquié­tudes quant aux risques sociaux que fait peser un pro­jet aus­si spé­cu­la­tif. Même si la mine venait à ouvrir, rien ne garan­tit sa via­bi­li­té à court terme.

[Salvemos la Montaña de Cáceres | ctxt.es

Paysage ou écologie

Malgré l’o­pé­ra­tion de green­wa­shing d’Infinity Lithium, le pro­jet sou­lève tou­jours autant de risques éco­lo­giques. Le lithium n’est pré­sent qu’en une infime pro­por­tion — 1 % selon les don­nées com­mu­ni­quées par de l’entreprise. Il n’est jamais pré­sent sur terre sous forme pure : il a besoin d’être sépa­ré de la terre « sté­rile » et des autres maté­riaux afin d’obtenir un alliage qui pour­ra, ensuite, être ven­du. Ce trai­te­ment se fait via des sol­vants chi­miques puis par fil­tra­tion. Ce pro­ces­sus est très gour­mand en eau : plus de 2 mil­lions de litres d’eau sont néces­saires pour pro­duire une tonne de lithium. Heureusement pour la com­pa­gnie minière, Cáceres s’est édi­fiée sur l’aquifère8 « el Calizero ». Comme l’écrit la jour­na­liste Marta Santafé, c’est cette masse d’eau sou­ter­raine qui a per­mis l’installation humaine dans cette région. Elle s’a­vère essen­tielle pour le main­tien de la végé­ta­tion et des cultures locales. Or cet aqui­fère est relié géo­lo­gi­que­ment au fleuve Tage. Mais la Confederación hidro­grá­fi­ca del tajo, l’administration réfé­rente, ne lui recon­naît pas d’existence légale. La demande de Salvemos la Montaña et de soixante-dix autres asso­cia­tions — avec l’appui de la mai­rie de faire recon­naitre l’aquifère — n’a pas abou­ti cette année. Une aubaine pour les entre­pre­neurs aus­tra­liens : les volumes de cette masse d’eau ne sont pas contrô­lés et elle peut être uti­li­sée sans res­tric­tion par l’entreprise. Mais le trai­te­ment du lithium par des solu­tions chi­miques ne se fait pas sans un risque de pol­lu­tion de l’eau. Alors que les épi­sodes de séche­resse s’accentuent, l’exploitation de l’aquifère à un niveau indus­triel pour­rait avoir des consé­quences dra­ma­tiques sur le milieu natu­rel. Le green­wa­shing de l’entreprise repose sur une image super­fi­cielle de l’impact d’une mine sou­ter­raine et ali­mente une confu­sion entre pay­sage et milieu natu­rel. Vous voyez bien que la mine n’affecte pas ce der­nier : preuve en est que le pay­sage reste le même, paraît dire l’entreprise.

L’histoire de la mine à Cáceres ne s’est pas éteinte avec la fer­me­ture des exploi­ta­tions de phos­phate et d’é­tain dans les années 1970. Aujourd’hui encore, elle conti­nue à se jouer. Et il n’est pas cer­tain que les pro­chaines élec­tions pour les dépu­tés de la Junta en 2023 ou que l’interdiction de la pro­duc­tion de moteurs ther­miques d’ici 2035 déci­dée par l’Union euro­péenne relèguent la mine au pas­sé. Si l’image buco­lique de la Sierra de la Mosca semble prise en compte, les traces que pour­raient lais­ser cette mine, tant au niveau social qu’écologique, pour­raient être pro­fondes à l’heure où le chan­ge­ment cli­ma­tique se révèle un agent his­to­rique bien plus fon­da­men­tal qu’un taux de ren­ta­bi­li­té à cinq ou dix ans.


Photographie de ban­nière : Stefano Nicoli | ethic.es


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  1. Roche sédi­men­taire dont la trans­for­ma­tion per­met de pro­duire du phos­phore qui, avec l’a­zote et le potas­sium, entre dans la com­po­si­tion de la plu­part des engrais chi­miques.[]
  2. Métal uti­li­sé en alliage avec le cuivre pour pro­duire le bronze, ou employé seul contre l’oxy­da­tion et pour réa­li­ser des sou­dures.[]
  3. L’Espagne compte dix-sept com­mu­nau­tés auto­nomes. Soumises au pou­voir cen­tral de Madrid, cha­cune a néan­moins des pou­voirs exé­cu­tifs et légis­la­tifs. L’Estrémadure, l’une d’elle, se divise en deux pro­vinces : Badajoz au sud, dont Mérida est la capi­tale ain­si que celle de la com­mu­nau­té auto­nome et Cáceres au nord, avec sa capi­tale épo­nyme.[]
  4. Métal extrait de dif­fé­rents types de roches uti­li­sé dans la fabri­ca­tion des piles et des bat­te­ries, dans l’in­dus­trie du verre et de la céra­mique, ain­si que dans le nucléaire civil et mili­taire.[]
  5. Aussi appe­lé Green deal, le Pacte vert pour l’Europe est un ensemble de direc­tives for­mant la feuille de route envi­ron­ne­men­tale de la Commission euro­péenne. Son but prin­ci­pal est la neu­tra­li­té cli­ma­tique à l’é­chelle de l’Union euro­péenne d’i­ci 2050, c’est-à-dire le fait que l’en­semble des émis­sions pol­luantes pro­duites puissent être cap­tées par les sols, les forêts et les océans.[]
  6. Luis Sánchez Vázquez, chia­ra Olivieri, Helios Escalante Moreno, Mariela Velázquez Pérez (dir.), Minería y Extractivismos, diá­lo­go entre la Acdemia y los movi­mien­tos sociales, Editorial Universidad de Granada, 2022.[]
  7. Métal extrait de dif­fé­rents mine­rais, uti­li­sé en élec­tri­ci­té et sous forme d’al­liage ou de com­po­sé pour fabri­quer des outils néces­si­té une grande dure­té.[]
  8. Sol ou roche poreuse ou fis­su­rée conte­nant une nappe d’eau sou­ter­raine.[]

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