En Allemagne, une criminalisation « inconditionnelle » du soutien à la Palestine

16 février 2024


Texte inédit | Ballast

Le 26 jan­vier der­nier, la Cour inter­na­tio­nale de jus­tice évo­quait un « risque plau­sible de géno­cide » à Gaza. Le mas­sacre est tel que cer­tains des plus fer­vents par­ti­sans du pou­voir israé­lien — Biden ou Macron — appellent désor­mais Netanyahu à lever le pied. Mais les col­lec­tifs de sou­tien au peuple pales­ti­nien conti­nuent d’être visés par plu­sieurs gou­ver­ne­ments euro­péens : si, en France, trois asso­cia­tions sont mon­trées du doigt par le pou­voir, c’est en Allemagne que la répres­sion est la plus franche. Après l’interdiction du port du kef­fieh ou de tout signe de sou­tien à la cause pales­ti­nienne dans les éta­blis­se­ments sco­laires, des acti­vistes se voient inquié­tés pour leurs prises de parole. Cet étouf­fe­ment s’ac­com­pagne d’une cam­pagne de déni­gre­ment raciste et isla­mo­phobe envers les popu­la­tions migrantes, augu­rant de nou­velles mesures d’ex­clu­sion : une volon­té poli­tique fon­dée sur l’argument d’un « anti­sé­mi­tisme impor­té ». Une idée pour­tant bat­tue en brèche par les sta­tis­tiques offi­cielles, qui attri­buent aux supré­ma­cistes blancs 84 % des agres­sions anti­sé­mites dans ce pays. Un repor­tage à Berlin d’Ann Sansaor.


« L’Allemagne a mon­tré son vrai visage aux Palestiniens et aux Arabes, ain­si qu’aux défen­seurs de la cause pales­ti­nienne. Désormais, le pays est n’est plus seule­ment consi­dé­ré comme un simple sou­tien à l’oc­cu­pa­tion [israé­lienne], mais comme un par­ti­ci­pant actif. » Zaid Abdulnasser, ancien coor­di­na­teur de la struc­ture de sou­tien aux pri­son­niers pales­ti­niens Samidoun, inter­dite en novembre 2023 en Allemagne, enrage. Comme nombre de ses cama­rades, ce Palestinien de 28 ans né en Syrie fait face depuis plu­sieurs semaines à une cam­pagne de dif­fa­ma­tion en bonne et due forme — il est accu­sé d’« extré­misme poli­tique » —, ain­si qu’à une pres­sion poli­cière per­ma­nente. Un phé­no­mène qui n’a rien de nou­veau : dès cet été, il se voyait mena­cé de perdre son per­mis de séjour et son sta­tut de réfu­gié en Allemagne du fait de ses enga­ge­ments politiques.

La pres­sion s’est lar­ge­ment accen­tuée depuis le 7 octobre der­nier : alors qu’aux mas­sacres per­pé­trés par le Hamas l’État d’Israël répon­dait par une opé­ra­tion mili­taire d’une indi­cible bru­ta­li­té — au point que de nom­breux experts disent craindre un « géno­cide » —, le cycle de mani­fes­ta­tions qui s’est enra­ci­né en Allemagne en sou­tien au peuple pales­ti­nien inquiète les pou­voirs publics. Car, comme la majo­ri­té des gou­ver­ne­ments euro­péens ain­si que l’Union euro­péenne, l’Allemagne reven­dique un sou­tien « incon­di­tion­nel » à l’État israé­lien dans son offen­sive contre la popu­la­tion pales­ti­nienne. Les voix dis­cor­dantes sont source de malaise au plus haut som­met de l’État. Les auto­ri­tés ne lésinent pas sur la rhé­to­rique, allant jusqu’à uti­li­ser « une ter­mi­no­lo­gie pro­fon­dé­ment raciste », comme l’explique Shir Hever, coor­di­na­teur de la cam­pagne d’embargo mili­taire pour le mou­ve­ment Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS). « Il faut être clair, l’État alle­mand consi­dère que les Arabes sont vio­lents par nature et qu’ils deviennent par consé­quent une menace pour l’ordre public. »

« Il faut être clair, l’État alle­mand consi­dère que les Arabes sont vio­lents par nature et qu’ils deviennent par consé­quent une menace pour l’ordre public. »

À grand ren­fort de rac­cour­cis, les médias et les hommes poli­tiques alle­mands semblent s’être enga­gés corps et âme dans une dyna­mique de dia­bo­li­sa­tion, toute mani­fes­ta­tion pro-pales­ti­nienne deve­nant en sub­stance pro-Hamas et vec­trice de poten­tielles vio­lences anti­sé­mites. Un argu­men­taire qui, in fine, jus­ti­fie une pré­sence poli­cière mas­sive lors des mani­fes­ta­tions de sou­tien, quand ce n’est pas leur inter­dic­tion pure et simple. Cette pos­ture poli­tique trouve par ailleurs un écho très favo­rable dans les médias. Ainsi, le 11 octobre, l’ARD, le consor­tium de la radio­dif­fu­sion publique alle­mande, envoyait un glos­saire inti­tu­lé « Reportage sur le conflit au Moyen-Orient à usage interne à par­tir du 18 octobre 2023 », dont le voca­bu­laire témoigne d’une posi­tion clai­re­ment pro-israé­lienne. En ligne de mire, notam­ment, le slo­gan « De la rivière à la mer, la Palestine sera libre », qui, selon l’interprétation de l’ARD, défen­drait l’anéantissement défi­ni­tif d’Israël, et dont l’u­sage consti­tue à pré­sent une infrac­tion pénale. La rai­son appelle néan­moins à un peu plus de pru­dence. Cette for­mule his­to­rique, qui a accom­pa­gné tous les mou­ve­ments de libé­ra­tion pales­ti­niens depuis 1948, se voit incon­tes­ta­ble­ment dépous­sié­rée par le contexte actuel : alors qu’une par­tie impor­tante de la classe poli­tique israé­lienne prône ouver­te­ment un « grand Israël » du fleuve à la mer, préa­la­ble­ment débar­ras­sé des Palestiniens, ce slo­gan a une réso­nance toute par­ti­cu­lière dans les esprits, en Allemagne comme ailleurs.

Preuve de l’hystérisation de ces ques­tions : le 10 novembre der­nier, la police a arrê­té et incul­pé une mani­fes­tante pour inci­ta­tion à la haine après avoir por­té une pan­carte sur laquelle on pou­vait lire « De la rivière à la mer, nous exi­geons l’é­ga­li­té ». Dans un billet publié sur X — ancien­ne­ment Twitter —, le jour­na­liste Tarek Baé, spé­cia­liste de la cou­ver­ture média­tique à pro­pos des musul­mans, s’indigne : « Le lan­gage crée la poli­tique. En réa­li­té, le jour­na­lisme devrait être un puis­sant outil de liber­té d’expression qui ana­lyse la poli­tique de manière cri­tique. Ce que nous vivons actuel­le­ment est un échec du jour­na­lisme : où sont le cou­rage, l’expérience et la décence ? »

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De leur côté, les poli­ti­ciens alle­mands concentrent leurs attaques sur l’idée d’un « anti­sé­mi­tisme impor­té » par la popu­la­tion immi­grée, favo­rable aux droits des Palestiniens. Début novembre, le pré­sident alle­mand Frank-Walter Steinmeier et la ministre de l’Intérieur Nancy Faeser ont appe­lé les Allemands de confes­sion musul­mane et d’origine arabe à prendre publi­que­ment leurs dis­tances avec le Hamas et l’antisémitisme. « Les membres de la com­mu­nau­té doivent prendre clai­re­ment posi­tion contre la ter­reur », décla­rait ain­si Frank-Walter Steinmeier.

Si quelques voix cri­tiques s’élèvent cepen­dant au niveau poli­tique, elles res­tent très iso­lées. « La classe poli­tique, qu’il s’agisse du gou­ver­ne­ment, des par­tis ou des médias, com­met une erreur fon­da­men­tale. Elle réduit l’attaque contre Israël et la flam­bée de vio­lence à la res­pon­sa­bi­li­té d’une seule orga­ni­sa­tion, le Hamas », explique Norman Paech, ancien pro­fes­seur de droit inter­na­tio­nal et membre du par­ti alle­mand Die Linke. « Le droit inter­na­tio­nal et les droits de l’homme ne jouent aucun rôle dans ce conflit depuis long­temps. Ils ont été constam­ment igno­rés et vio­lés à l’encontre du peuple pales­ti­nien depuis la créa­tion de l’État israé­lien. » Shir Hever pointe pour sa part que « les hommes poli­tiques alle­mands s’expriment comme s’ils s’identifiaient plei­ne­ment aux crimes israé­liens. Le membre du Parti social-démo­crate d’Allemagne (SPD) Michael Roth a dit très clai­re­ment que l’Allemagne devrait sou­te­nir l’assassinat de Palestiniens par les forces israé­liennes. »

Marginaliser et exclure les Palestiniens

« La police alle­mande a effec­tué des des­centes dans plus d’une cin­quan­taine de domi­ciles à tra­vers l’Allemagne, ciblant les com­mu­nau­tés musul­manes et palestiniennes. »

Depuis le 7 octobre, la police alle­mande a effec­tué des des­centes dans plus d’une cin­quan­taine de domi­ciles à tra­vers l’Allemagne contre ce que Nancy Faeser appelle une « pro­pa­gande anti-israé­lienne », ciblant de manière signi­fi­ca­tive les com­mu­nau­tés musul­manes et pales­ti­niennes. C’est dans ce cadre que des per­qui­si­tions ont eu lieu chez des per­sonnes sus­pec­tées de liens avec le Hamas, ou même avec Samidoun. Le Centre isla­mique de Hambourg — l’une des plus anciennes orga­ni­sa­tions musul­manes du pays — a quant à lui fait l’objet d’une enquête pour des liens pré­su­més avec le groupe chiite liba­nais par­rai­né par l’Iran, le Hezbollah. Dans son com­mu­ni­qué de presse, Nancy Faeser jus­ti­fiait ces opé­ra­tions en affir­mant de manière mar­tiale que « les isla­mistes et les anti­sé­mites ne doivent se sen­tir en sécu­ri­té nulle part ».

L’obsession alle­mande semble sans limites, au point que, récem­ment, la police a per­qui­si­tion­né le domi­cile de Piter Minnemann, un sur­vi­vant de l’attentat ter­ro­riste de Hanau en 2019, au cours duquel un néo­na­zi avait tué neuf per­sonnes, pour la plu­part d’origine immi­grée. Minnemann a été accu­sé d’incitation à la haine pour une sto­ry par­ta­gée sur Instagram, dans laquelle il com­pa­rait les sol­dats israé­liens aux nazis avec la légende : « L’ironie de deve­nir ce que vous avez autre­fois détes­té. » Ce n’est pas tout : il y a quelques semaines, l’Allemagne a mis un terme à un sou­tien éco­no­mique qu’elle appor­tait à une ONG égyp­tienne pre­nant en charge des femmes vic­times de tra­fic humain (CEWLA), après que cette der­nière, avec plus un grand nombre d’or­ga­ni­sa­tions arabes, a pris posi­tion contre « le géno­cide de la popu­la­tion pales­ti­nienne de la bande de Gaza ».

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Alice Garcia, char­gée de plai­doyer et de com­mu­ni­ca­tion au Centre euro­péen de sou­tien juri­dique, pré­dit qu’une « énorme et vio­lente vague de racisme anti-pales­ti­nien » se pro­file à l’horizon. « Nous avons tous et toutes été témoins de vio­lences poli­cières et d’arrestations pour avoir mani­fes­té notre soli­da­ri­té avec la Palestine. C’est une vio­lence incroyable qui conduit à l’effacement du peuple pales­ti­nien, tout cela faci­li­té par une décen­nie de poli­tiques res­tric­tives mises en œuvre en Europe. » « Toutes ces mesures ne rendent pas pour autant invi­sibles les Palestiniens en Europe, répond Norman Peach. Mais en effet elles conduisent à nour­rir la haine contre eux, à les mar­gi­na­li­ser et à les exclure. »

Phénomène par­ti­cu­liè­re­ment spec­ta­cu­laire, y com­pris dans les milieux anti­fas­cistes, la ques­tion pales­ti­nienne, déjà cli­vante en Allemagne, devient élec­trique. Le mou­ve­ment anti­deutsch, impor­tant au sein de l’antifascisme alle­mand, affiche son sou­tien incon­di­tion­nel à l’État d’Israël, qu’il consi­dère comme seul garant de la sécu­ri­té du peuple juif, allant jusqu’à prendre posi­tion contre les Juifs anti­sio­nistes1. Depuis le 7 octobre, ses membres les plus radi­caux sont par­ti­cu­liè­re­ment actifs : publi­ca­tions sur Internet appe­lant à des actions mili­tantes contre des per­sonnes ou des lieux — comme celle contre La Casa, à Leipzig, qui affiche son sou­tien à la Palestine —, à l’an­nu­la­tion de confé­rences et d’événements, accu­sa­tions por­tée contre des migrants (taxés de pen­ser de manière rétro­grade), etc.

Menacés d’expulsion

« La répres­sion est pire que jamais. La police est très vio­lente ; il est inter­dit de crier Palestine libre dans les rues ou de por­ter des dra­peaux ou des auto­col­lants. »

En 2008, l’Allemagne a clas­sé la sécu­ri­té natio­nale d’Israël comme « rai­son d’État ». Depuis, le pays a adop­té des posi­tions extrêmes contre les acti­vi­tés pro-pales­ti­niennes, comme cette réso­lu­tion du Bundestag de 2019 décri­vant le mou­ve­ment Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) comme intrin­sè­que­ment anti­sé­mite. Ces déci­sions poli­tiques s’appuient sur des textes de l’Alliance inter­na­tio­nale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA), une orga­ni­sa­tion inter­gou­ver­ne­men­tale fon­dée en 1998 visant à pro­mou­voir l’éducation, la recherche et la mémoire du géno­cide des Juifs pen­dant la Seconde Guerre mon­diale, qui tendent à assi­mi­ler toute cri­tique de l’État d’Israël à de l’antisémitisme. « Il n’est plus pos­sible de condam­ner les crimes de guerre qu’Israël com­met à Gaza ou en Cisjordanie et qui durent depuis plus de 75 ans », se lamente sous cou­vert d’anonymat une res­pon­sable de The Palästina Kampagne, une orga­ni­sa­tion qui ras­semble dif­fé­rents groupes œuvrant pour la libé­ra­tion de la Palestine et contre la répres­sion exer­cée par l’État alle­mand. « La répres­sion est pire que jamais. La police est très vio­lente ; il est inter­dit de crier Palestine libre dans les rues ou de por­ter des dra­peaux ou des auto­col­lants, pour­suit l’activiste. Depuis le début des attaques [sur Gaza], la police inonde les rues, en par­ti­cu­lier à Neukölln, un quar­tier à majo­ri­té arabe, où elle agresse les gens et fait régner un sen­ti­ment d’insécurité. »

Depuis quelques années, les auto­ri­tés alle­mandes mettent les bou­chées doubles afin de dis­sua­der les acti­vistes pro-pales­ti­niens d’élever la voix : pour les per­sonnes d’origine étran­gère, il est désor­mais pos­sible d’être déchu du sta­tut de réfu­gié ou de perdre la citoyen­ne­té alle­mande pour des posi­tions poli­tiques. C’est le cas de Zaid Abdulnasser mais éga­le­ment de deux autres anciens membres de l’organisation Samidoun, aujourd’hui sous la menace. « Beaucoup de par­ti­ci­pants aux mani­fes­ta­tions [pro-pales­ti­niennes] sont des réfu­giés, et c’est pour cela qu’ils font pres­sion sur nous avec les papiers », affirme Zaid Abdulnasser. Cependant, ce der­nier, comme ses autres com­pa­gnons, béné­fi­cie d’un sta­tut de séjour « tolé­ré » — Duldung en alle­mand — qui lui per­met de res­ter tem­po­rai­re­ment en Allemagne : son pays de rési­dence d’origine, la Syrie, n’étant pas consi­dé­ré comme « un pays sûr », l’État alle­mand, ne peut, jusqu’à nou­vel ordre, l’expulser. Une situa­tion qui ne dure­ra pas éter­nel­le­ment et qui menace en outre beau­coup de mili­tants en Allemagne, par­ti­cu­liè­re­ment au sein de la nom­breuse et active com­mu­nau­té kurde, mena­cée de per­sé­cu­tion en cas de retour en Turquie.

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Cette obses­sion pour le mili­tan­tisme des per­sonnes immi­grées pour­rait bien avoir éga­le­ment des consé­quences sur les lois qui régissent l’immigration. Ainsi, il y a quelques mois, Bjan Djir-Sarai, dépu­té du Parti libé­ral-démo­crate (FDP), décla­rait que, désor­mais, pour obte­nir la natio­na­li­té alle­mande, il fau­drait véri­fier que les deman­deurs n’aient pas d’ « atti­tude de haine envers l’État d’Israël ». Selon des infor­ma­tions rap­por­tées par le média Deutsche Welle (DW), le ser­vice inter­na­tio­nal de dif­fu­sion alle­mand, l’État de Saxe-Anhalt exi­ge­ra que les per­sonnes cher­chant à obte­nir une natu­ra­li­sa­tion confirment par écrit « qu’ils recon­naissent le droit d’Israël à exis­ter et condamnent toute ten­ta­tive diri­gée contre l’existence de l’État d’Israël ». La ministre de l’Intérieur, Nancy Faeser, a pré­co­ni­sé de modi­fier la loi sur le séjour et l’intégration afin de pou­voir « expul­ser les par­ti­sans du Hamas ».

C’est dans ce contexte que le 10 novembre der­nier le chan­ce­lier alle­mand Olaf Scholz a ren­con­tré les repré­sen­tants des seize États fédé­raux que compte le pays pour mener des dis­cus­sions sur la poli­tique migra­toire. Un pro­jet de loi visant à réduire les pres­ta­tions sociales pour les réfu­giés et à faci­li­ter les expul­sions a été pré­sen­té. D’autres hommes poli­tiques, comme le secré­taire géné­ral de l’Union chré­tienne-démo­crate d’Allemagne (CDU), Carsten Linnemann, estiment que le pour­cen­tage d’immigrants dans les écoles devrait être limi­té à 35 %. Wolfgang Kubicki, vice-pré­sident du FDP, a décla­ré qu’il sou­hai­tait « intro­duire une limite maxi­male de migrants dans les dis­tricts urbains ».

Continuer à lutter pour la liberté d’expression

« Ces mesures crée­ront des pré­cé­dents, des mani­fes­ta­tions pour­ront être inter­dites sim­ple­ment parce que des par­ti­ci­pants tiennent des pro­pos qui ne plaisent pas aux auto­ri­tés. »

Alors que l’armée israé­lienne conti­nue de mener sa poli­tique de la terre brû­lée dans la bande de Gaza — plus de 24 000 morts après 100 jours de com­bats en jan­vier 2024 et, selon l’ONU, 1,9 mil­lion de dépla­cés fin 2023 — et que la vio­lence des colons contre les Palestiniens de Cisjordanie atteint des niveaux inédits, l’Allemagne pour­suit inlas­sa­ble­ment sa poli­tique d’invisibilisation du sou­tien à la cause pales­ti­nienne2. Depuis le 7 octobre, de nom­breux artistes ont vu leurs per­for­mances ou expo­si­tions annu­lées. Ainsi, la roman­cière et essayiste d’o­ri­gine pales­ti­nienne Adania Shibli, qui devait rece­voir le 20 octobre le LiBeraturpreis 2023, un prix annuel décer­né par la Foire du livre de Francfort, a vu l’événement mys­té­rieu­se­ment annu­lé ; le 6 novembre, le Sénat de Berlin a annon­cé des mesures visant à fer­mer le centre cultu­rel Oyoun, un pro­jet artis­tique et cultu­rel aux pers­pec­tives déco­lo­niales, fémi­nistes queer et migrantes.

À cela s’ajoutent les cen­taines d’arrestations sur­ve­nues ces der­niers mois lors des mani­fes­ta­tions. Le 21 décembre der­nier, 170 poli­ciers ont pro­cé­dé à des per­qui­si­tions contre huit mili­tantes de l’or­ga­ni­sa­tion fémi­niste ZORA, suite à des publi­ca­tions sur Instagram dans les­quelles elles se posi­tion­naient en faveur de « forces pro­gres­sistes » pales­ti­niennes. Dans une décla­ra­tion publiée sur leur pro­fil Instagram, elles expliquent com­ment, lors de l’o­pé­ra­tion de police, elles ont été « vio­lem­ment menot­tées ». Leurs appar­te­ments ont éga­le­ment été « mis sens des­sus des­sous ». Le même jour, des per­qui­si­tions étaient éga­le­ment menées à l’Interbüro Wedding, une pla­te­forme regrou­pant diverses orga­ni­sa­tions et groupes de gauche, ain­si qu’au Café Karanfil, un lieu de ren­contre et d’or­ga­ni­sa­tion d’é­vé­ne­ments dans le quar­tier de Neukölln. Dans son com­mu­ni­qué de presse, Hussein Jebali, membre d’Interbüro Wedding, poin­tait du doigt que « les lieux d’au­to-orga­ni­sa­tion des migrants sont déli­bé­ré­ment cri­mi­na­li­sés ». Alex Schneider, membre de Rote Hilfe — une orga­ni­sa­tion de sou­tien aux per­sonnes vic­times de répres­sion — conclut : « Les récentes inter­dic­tions indiquent une ten­dance dan­ge­reuse qui affec­te­ra à long terme tous les mou­ve­ments sociaux de gauche. Jusqu’à pré­sent, ce sont prin­ci­pa­le­ment les groupes pales­ti­niens, turcs et kurdes qui ont été tou­chés par des res­tric­tions aus­si dras­tiques du droit fon­da­men­tal à la liber­té de réunion. Il ne faut cepen­dant pas oublier que ces mesures crée­ront des pré­cé­dents, puisque des mani­fes­ta­tions pour­ront être inter­dites sim­ple­ment parce que des par­ti­ci­pants tiennent des pro­pos qui ne plaisent pas aux auto­ri­tés. »


Article tra­duit par Laurent Perpigna-Iban
Photographies de ban­nière et de vignette : www.montecruzfoto.org


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  1. Né dans les années 1990 de l’op­po­si­tion à l’u­ni­fi­ca­tion alle­mande et de la crainte d’une résur­gence du nazisme, le mou­ve­ment anti­deutsch a déve­lop­pé, après le 11 sep­tembre 2001 et la seconde Intifada (2000–2005), une idéo­lo­gie réso­lu­ment isla­mo­phobe. Leur sou­tien aux États-Unis et à Israël les a éga­le­ment ame­nés à consi­dé­rer cer­taines formes d’an­ti­ca­pi­ta­lisme et d’an­ti-impé­ria­lisme comme régres­sives. Il est inté­res­sant de noter que de nom­breuses per­son­na­li­tés anti­deutsch ont fait de brillantes car­rières dans les médias alle­mands, notam­ment dans le quo­ti­dien conser­va­teur Welt ou en tant que membres du par­ti libé­ral-démo­crate (FDP), réso­lu­ment néo­li­bé­ral. Ils ont même tis­sé des liens avec le par­ti d’ex­trême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) en invi­tant Thomas Maul, qui se décrit lui-même comme « haïs­sant l’is­lam », à don­ner une confé­rence sur « l’an­ti­sé­mi­tisme isla­mique » au club Conne Island à Leipzig.[]
  2. En paral­lèle, l’Allemagne joue un grand rôle dans l’approvisionnement en armes d’Israël : rien que depuis début novembre, le pays a ven­du pour quelque 303 mil­lions d’eu­ros de maté­riel de guerre à Israël.[]

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