Emma : « Faire péter le patriarcat en même temps que le capitalisme »


Entretien inédit pour le site de Ballast

Un bis­trot bon­dé de la capi­tale, un midi enso­leillé. Nous retrou­vons la des­si­na­trice Emma, auteure de deux albums parus aux édi­tions Massot, non loin de Tolbiac. Les portes claquent, les com­mandes sont trans­mises en cui­sine. Il faut sans doute se tenir loin des réseaux sociaux pour avoir man­qué sa bande des­si­née fémi­niste consa­crée à la désor­mais fameuse « charge men­tale ». L’analyse et la théo­rie poli­tiques, com­bien pré­cieuses, par­viennent dif­fi­ci­le­ment à sor­tir des cercles consa­crés ; Emma entend donc faire de ses planches « un outil pour les gens qui galèrent », un sup­port à même de tou­cher celles et ceux que la poli­tique ne mobi­lise pas for­cé­ment au quotidien.


Comment en vient-on un jour à par­ler poli­tique en dessin ?

À la base, je suis ingé­nieure en infor­ma­tique. Je n’ai jamais été très poli­ti­sée ; c’est récent. J’ai gran­di avec des parents profs, un peu « gauche molle », puis j’ai évo­lué dans un milieu plu­tôt de droite durant mes études. J’ai d’ailleurs eu quelques dif­fi­cul­tés avant de prendre cette direc­tion : ma for­ma­tion ini­tiale de BTS infor­ma­tique n’é­tait pas cen­sée débou­cher sur des études d’in­gé­nieure. Lorsque j’ai obte­nu mon diplôme, j’avais vrai­ment l’impression d’avoir méri­té ma place, de m’être construite toute seule. J’en étais assez fière. J’avais bien inté­gré le dis­cours selon lequel « Quand on veut on peut », celui qui dit que si les gens sont en dif­fi­cul­té, c’est qu’ils n’ont pas assez tra­vaillé… Lorsque j’ai pris des res­pon­sa­bi­li­tés pro­fes­sion­nelles, dans un envi­ron­ne­ment très toxique, je me suis retrou­vée en dif­fi­cul­té mal­gré tous les efforts que je four­nis­sais : je fai­sais des horaires de malade, je me don­nais tout le mal du monde et m’organisais avec mon fils sur les bras. Malgré tout ça, je ne m’en sor­tais pas. Comme j’étais tou­jours convain­cue que « Quand on veut, on peut », je me disais que je n’avais pas fait assez d’efforts, que je n’étais pas capable. Je m’en vou­lais. C’est à cette époque que j’ai ren­con­tré des ami·e·s politisé·e·s qui m’ont aidée à ana­ly­ser la situa­tion et à réa­li­ser que si je ren­con­trais autant de dif­fi­cul­tés, c’est d’a­bord parce que j’é­tais une femme. C’est moi qui m’occupais prin­ci­pa­le­ment de mon fils, qui inter­agis­sais avec la nou­nou, qui gérais le néces­saire. Mon congé mater­ni­té, mal vécu, m’a­vait aus­si lais­sé des fai­blesses sur les­quelles je n’avais pas encore mis de mots : un manque de confiance, une fatigue chro­nique. Je côtoyais des col­lègues qui ne m’auraient jamais lais­sé ma chance en tant que femme ; j’ai com­pris que la socié­té n’ouvrait pas la voie aux per­sonnes comme moi. J’ai alors com­men­cé à beau­coup lire sur le fémi­nisme, sur­tout sur Internet, et, peu à peu, j’ai sai­si que j’avais eu des bâtons dans les roues… mais aus­si des pri­vi­lèges ! Et que d’autres per­sonnes avaient encore plus de dif­fi­cul­tés que moi à s’en sor­tir. Je suis blanche, hété­ro­sexuelle, fille de profs : j’ai galé­ré à l’école mais j’avais aus­si un bagage cultu­rel qui me per­met­tait de gra­vir des éche­lons, qui pas­sait bien auprès des ensei­gnants, les­quels avaient sur moi un a prio­ri positif.

« Je me suis dit que c’é­tait ça qu’il fal­lait faire, racon­ter des his­toires vraies pour per­mettre aux per­sonnes qui n’ont pas vécu les mêmes choses que moi de com­prendre l’in­té­rêt de la politique. »

J’ai déve­lop­pé un nou­veau sché­ma de com­pré­hen­sion du monde — ça m’a paru insup­por­table que les autres ne le voient pas comme moi… Alors j’ai essayé de m’adresser à eux, de leur dire : « Regarde ! » Je leur met­tais le nez dedans, leur disais : « Ça, c’est sexiste » ou « Ça, c’est raciste ». Mais je les aga­çais rapi­de­ment car ils n’avaient pas fait tout le che­mi­ne­ment qui venait d’être le mien. J’étais asso­ciée à ce cli­ché des fémi­nistes « reloues », qui parlent de ça tout le temps… De façon légi­time, car c’était aus­si bru­tal pour eux que ça l’a­vait été pour moi. J’ai alors essayé autre chose : j’ai réa­li­sé un blog qui conte­nait des fiches péda­go­giques sur le fémi­nisme. Mais c’était très sco­laire, avec des puces, des listes. Je les dis­tri­buais aux entrées de métro avant d’aller bos­ser ! Et je voyais bien que les gens ne les lisaient pas, qu’ils les jetaient ensuite… J’étais frus­trée. Début 2016, au moment du pro­jet de la loi Travail, j’ai com­men­cé à faire des petits des­sins sur Valls. On m’a sug­gé­ré de créer une page publique ; au début, on était 10 des­sus ! J’ai alors enten­du sur France Culture l’histoire de Mohammed Elshikh, cet homme qui vivait à Saint-Denis et sur qui la police avait tiré pen­dant l’as­saut contre les ter­ro­ristes en 2016. Il a été tou­ché au bras et en a per­du l’u­sage. Interrogé pen­dant quatre jours, menot­té à son lit, il a reçu à la sor­tie une obli­ga­tion de quit­ter le ter­ri­toire fran­çais ! Ça m’a tel­le­ment révol­tée que je me suis dit : « Je ne peux pas faire seule­ment un petit des­sin, je vais faire une BD pour racon­ter son his­toire. » J’ai des­si­né une quin­zaine d’images.

Et les gens l’ont lue !

On s’est d’un coup retrou­vés à 6 000 sur la page ! Je me suis dit que c’é­tait ça qu’il fal­lait faire, racon­ter des his­toires vraies pour per­mettre aux per­sonnes qui n’ont pas vécu les mêmes choses que moi de com­prendre l’in­té­rêt de la poli­tique, les consé­quences sur les vies des gens. Si j’a­vais pu com­prendre ça du fait d’une expé­rience per­son­nelle, d’autres per­sonnes pou­vaient peut-être le com­prendre en lisant des récits de vie, des témoi­gnages… Mais en res­tant dans une approche trop sco­laire, per­sonne ne com­prend. Cela parait ennuyeux, vain, pure­ment théorique.

Avez-vous été ou êtes-vous proche de cer­taines orga­ni­sa­tions politiques ?

Je me sens proche du NPA, comme pas mal de mes ami·e·s, parce que je suis d’extrême gauche et révo­lu­tion­naire. C’est l’organisation à laquelle je par­ti­cipe le plus. J’ai essayé de rejoindre des col­lec­tifs mais, mal­heu­reu­se­ment, des rap­ports de pou­voir s’y exercent — y com­pris dans des col­lec­tifs non-mixtes. Ces expé­riences m’ont beau­coup aidée à avoir davan­tage confiance en moi, à prendre la parole, mais j’y ai quand même ren­con­tré des per­sonnes qui ont inté­gré les codes mas­cu­lins de notre socié­té, qui cherchent à s’imposer en par­lant plus fort. Je n’arrive pas du tout à m’adapter dans ces cir­cons­tances. Parmi les col­lec­tifs fémi­nistes, j’ai mili­té à Stop har­cè­le­ment de rue, mais il faut pas­ser beau­coup de temps à essayer de faire entendre sa voix et ce n’est pas adap­té à tous les carac­tères. Ils font des trucs géniaux, ils ont beau­coup fait avan­cer les choses et j’y ai ren­con­tré des per­sonnes for­mi­dables, mais j’avais le sen­ti­ment de ne pas avoir mon uti­li­té car j’étais trop effa­cée. Je pré­fère bos­ser seule de mon côté pour le col­lec­tif, plu­tôt que de bos­ser col­lec­ti­ve­ment pour fina­le­ment me mettre en retrait…

Vous met­tez en scène des per­son­nages « réa­listes » dans des scènes du quo­ti­dien. Est-ce très struc­tu­ré en amont ou lais­sez-vous place à une cer­taine spon­ta­néi­té, au fil de la plume ?

Ce n’est pas spon­ta­né du tout. Mon objec­tif n’est pas théo­rique (on en trouve sur d’autres sites qui le font bien mieux que moi), mais j’es­saie de créer des conte­nus digestes pour des per­sonnes qui ne sont pas poli­ti­sées. Je ne dis pas ça de façon condes­cen­dante : je réflé­chis à la façon dont il y a 10 ans je me serais arrê­tée sur un mes­sage, quelle forme et quel conte­nu il aurait fal­lu. Ma grande dif­fi­cul­té, c’est d’i­den­ti­fier com­ment les gens peuvent avoir envie d’al­ler lire cette théo­rie, pour­quoi c’est impor­tant. Trouver la bonne approche, appor­ter la touche de sen­si­bi­li­té qui don­ne­ra envie de s’y inté­res­ser. Pour le des­sin, en revanche, je fais vrai­ment à l’ar­rache ! Le des­sin n’est abso­lu­ment pas une fina­li­té ; il rend le conte­nu plus « humain » et acces­sible. Moi-même, lorsque je vois des articles pas­ser, je me dis par­fois « Ah, génial ! », je les ouvre et au bout de 30 lignes je com­mence à décro­cher… C’est éga­le­ment une consé­quence des réseaux sociaux : l’at­ten­tion se dis­perse rapi­de­ment. Des per­sonnes qui sont avant tout sur Facebook pour regar­der les pho­tos de mariage de leur cou­sine ne vont pro­ba­ble­ment pas lire un article de 300 lignes sur les luttes sociales !

La sim­pli­ci­té de vos des­sins côtoie des textes par­fois denses, qui uti­lisent l’é­cri­ture inclu­sive. Ce par­ti-pris n’est-il pas un frein pour tou­cher le lec­to­rat peu sen­si­bi­li­sé aux ques­tions que vous soulevez ?

C’est un vrai tra­vail d’é­qui­li­briste ! Rester acces­sible tout en conser­vant la radi­ca­li­té du pro­pos. L’écriture inclu­sive est un très bon exemple car c’est un aspect sur lequel je ne lâche­rai pas. Les gens me font rire : je reçois beau­coup de mails qui me disent « J’aurais bien aimé lire ta BD mais je ne l’ai pas lue à cause de l’é­cri­ture inclu­sive ». Et je suis sûre qu’ils l’ont lue ! Tous ces gens qui râlent, qui m’en­voient des insultes en masse, je m’en fous. Parce qu’ils lisent. Même ceux qui disent le contraire. Mon conte­nu est suf­fi­sam­ment attrac­tif pour arri­ver à faire pas­ser l’é­cri­ture inclu­sive. Donc je ne lâche pas. Mais je m’é­tais posé la ques­tion d’abandonner, au début, car ça me soû­lait d’a­voir davan­tage de réac­tions là-des­sus que sur le fond du mes­sage… C’est ma page, je peux la pré­sen­ter comme je veux.

Votre tra­vail porte à la fois sur les luttes sociales — comme celle des che­mi­nots — et les ques­tions fémi­nistes. Vous avez tou­te­fois publié une BD sur l’ho­méo­pa­thie, qui a sus­ci­té de très vives réac­tions de la part de votre lec­to­rat, par­fois sur­pris de votre posi­tion. Les dif­fé­rents publics qui vous lisent par­viennent-ils à suivre cette oscillation ?

« On nous reproche par­fois de ne pas avoir d’humour ou de ne pas pas­ser par le dia­logue, mais qu’est-ce qu’on doit faire quand per­sonne ne nous écoute ? »

Cette alter­nance est tout à fait volon­taire. J’essaie de faire conver­ger les luttes. Mais ce n’est pas seule­ment fait « exprès » : tous les sujets m’intéressent. Je parle à des publics dif­fé­rents et ne fais pas un for­mat adap­té pour cha­cun. Le public fémi­niste est com­po­sé de femmes, à 90 %, mais aus­si de quelques hommes qui viennent en sup­port pour par­ler aux autres hommes — ce que je trouve génial. Sur les sujets qui parlent de luttes sociales, il y a en revanche beau­coup d’hommes et très peu de femmes. L’homéopathie a atti­ré un autre public, celui des ama­teurs de zété­tique, des car­té­siens dont je fais par­tie mais qui ont par­fois beau­coup de mal avec des approches fémi­nistes ou anti­ra­cistes. Sur ces sujets, comme on ne dis­pose pas tou­jours de chiffres, on se base sou­vent sur le vécu. Lorsque je dis « Les femmes ont ten­dance à se mettre moins en colère », je n’ai pas for­cé­ment de chiffre pour le dire, mais c’est un constat mas­sif. Mon approche consiste dans ce cas à mettre en avant un fait non scien­ti­fi­que­ment prou­vé. Mais si 200 000 femmes affirment que c’est vrai, c’est que ça l’est. Ça n’est pas du tout rigou­reux comme méthode, et les zété­ti­ciens ont beau­coup de mal avec ça. Lorsque je me suis posi­tion­née contre les vio­lences médi­cales, mon conte­nu a beau­coup été par­ta­gé dans des réseaux sen­sibles aux méde­cines dites « alter­na­tives ». Ce milieu a mal com­pris que je me posi­tionne par la suite contre l’homéopathie. Comme je suis assez proche de mon lec­to­rat, cer­taines lec­trices jouent sur la fibre affec­tive et me font connaître leur décep­tion lorsqu’elles ne sont pas d’accord avec mon point de vue sur l’homéopathie, le voile, les ques­tions anti­ra­cistes, etc. J’explique alors que je ne tra­vaille pas seule, que je me ren­seigne auprès de gens soi­gneu­se­ment sélec­tion­nés. J’écoute ensuite les retours mais je n’ai pas de rap­port sen­ti­men­tal avec mon lec­to­rat. Si les gens sont déçus, ce n’est pas mon pro­blème. Il y a 300 000 per­sonnes sur la page, c’est nor­mal qu’elles ne soient pas toutes d’accord entre elles !

On pour­rait rap­pro­cher votre pro­duc­tion du des­sin de presse, pour­tant majo­ri­tai­re­ment axé sur la cari­ca­ture et l’hu­mour. Quel regard por­tez-vous sur cet espace d’expression ?

Il y a beau­coup à dire. Déjà, c’est un monde qui a été pos­sé­dé par les hommes blancs, depuis tou­jours, et ça se res­sent énor­mé­ment dans les orien­ta­tions qui sont prises. Même dans les sup­ports de gauche, ça n’est jamais anti­ra­ciste ni fémi­niste. Il y a donc une place à prendre pour nous, pour redres­ser la barre. Je réflé­chis de plus en plus aux moyens d’avoir un pou­voir d’action plus fort sur ces ques­tions. On nous reproche par­fois de ne pas avoir d’humour ou de ne pas pas­ser par le dia­logue, mais qu’est-ce qu’on doit faire quand per­sonne ne nous écoute ? Ce que je remarque en tout cas, c’est que les des­sins attirent les gens. J’aime beau­coup la Revue des­si­née par exemple ; je crois qu’il y a encore un espace dont les médias peuvent s’emparer avec la BD. On pour­rait déve­lop­per davan­tage de des­sins dans la presse, et créer plus de conte­nu accessible.

La bande des­si­née inves­tit jus­te­ment la ques­tion fémi­niste — de Pénélope Bagieu à Diglee en pas­sant par l’al­bum Le fémi­nisme d’Anne-Charlotte Husson et de Thomas Mathieu. Que pen­ser de l’émergence de ces autrices, dont cer­taines n’étaient pas iden­ti­fiées comme fémi­nistes jus­qu’à récemment ?

Je les lis, et elles m’ont pas mal ins­pi­rée. Leurs BD sont à tort consi­dé­rées comme « gir­ly » car elles portent en elles les condi­tion­ne­ments fémi­nins : l’accent est mis sur les atti­tudes et les expres­sions faciales des per­son­nages, mais c’est quelque chose que les femmes sont condi­tion­nées à sai­sir, décryp­ter et inter­pré­ter très tôt. C’est quelque chose qu’on retrouve beau­coup dans le tra­vail de Margaux Motin ou de Pénélope Bagieu, avec leurs décors très simples et une grande atten­tion por­tée aux atti­tudes et aux per­son­nages. C’est un trai­te­ment en vogue. Il peut y avoir en réac­tion une levée de bou­cliers de la part de cer­tains des­si­na­teurs, habi­tués des décors très tra­vaillés, car ils n’ont pas l’habitude que d’autres artistes — femmes, qui plus est — ren­contrent du suc­cès auprès du public avec ce style de des­sin. Mon des­sin, simple et pas très joli, a pu déclen­cher des réac­tions éner­vées (on m’a dit que Bastien Vivès ou d’autres avaient cri­ti­qué mon tra­vail, mais je ne reven­dique pas du tout le fait de bien des­si­ner, donc ça ne me touche pas). Ça me touche davan­tage lorsqu’on me dit que je n’aborde pas les choses de la bonne façon.

Comment appré­hen­dez-vous la mul­ti­pli­ca­tion et la rapi­di­té des réac­tions, liées à la vitesse de pro­pa­ga­tion de l’in­for­ma­tion sur les réseaux sociaux ?

« Mais ce qui me fatigue le plus, c’est le nombre d’hommes qui viennent m’ap­prendre com­ment mili­ter, qui m’é­crivent des pavés immenses. »

Je le vis plus ou moins bien. En un sens, j’ap­pré­cie. C’est valo­ri­sant de pos­ter quelque chose et d’a­voir des réac­tions immé­dia­te­ment, davan­tage que de pré­pa­rer un livre pen­dant un an et de n’a­voir le résul­tat que bien plus tard. J’aime ce contact avec les gens et c’est ce que je vou­lais : pou­voir échan­ger autour d’un sup­port. Ça change tout. Par contre, dans les retours que j’ai, il y a dif­fé­rents types de réac­tions. Il y a des insultes, certes, mais ça ne m’affecte pas. Je reçois des pho­tos obs­cènes, et ça, fran­che­ment, je le vis vrai­ment comme une vio­lence. Mais ce qui me fatigue le plus, c’est le nombre d’hommes qui viennent m’ap­prendre com­ment mili­ter, qui m’é­crivent des pavés immenses. Généralement, quand j’ouvre un mail et que je vois qu’il y a plus de 50 lignes, je me dis que ça va être un mec-cis-hété­ro-machin qui vient m’ex­pli­quer com­ment faire mon tra­vail alors qu’il n’est pas mili­tant, bien sûr. Mais il croit qu’il a les 10 bonnes façons de mieux faire, ou qu’il peut chan­ger ma façon de faire. Des chan­ge­ments qui incluent évi­dem­ment de le bros­ser dans le sens du poil, d’ar­rê­ter de « dire du mal des hommes », d’ar­rê­ter bien enten­du l’é­cri­ture inclu­sive… Et puis d’être « plus objec­tive » ! Il fau­drait que je pré­sente le point de vue des che­mi­nots mais aus­si le point de vue du gou­ver­ne­ment… Ça m’a­gace pro­di­gieu­se­ment. J’ai chaque fois très envie de répondre face à une telle impo­li­tesse, une telle pédan­te­rie. J’ai envie de les édu­quer ! (rires) Parfois, j’é­cris quelques lignes : « Je vais t’ex­pli­quer pour­quoi ton atti­tude est incor­recte et pour­quoi tu ne l’au­rais pas si j’é­tais un homme. » Mais je laisse rapi­de­ment tom­ber car je m’a­per­çois que je perds mon temps. Pour ne pas dépen­ser trop d’éner­gie, je me suis impo­sé comme prin­cipe d’ou­blier ces inter­ven­tions aus­si vite que j’en ai lu les trois pre­mières lignes. Je pré­cise sur mon site que si le com­men­taire est pater­na­liste, je modère. Beaucoup de blo­gueuses fémi­nistes m’é­crivent en me deman­dant com­ment je fais, en me disant que de leur côté elles dépriment… Ce sont des dif­fi­cul­tés qui ne sont pas tou­jours très visibles. Certaines semaines, je n’en peux plus.

Le mili­tan­tisme en ligne ali­mente un cer­tain nombre de fan­tasmes. Ressentez-vous le besoin de jon­gler entre le sup­port papier et le sup­port web ?

Dans l’é­di­tion, le mili­tan­tisme est assez limi­té car il est dif­fi­cile de col­ler à des sujets d’actualité. Il y a bien sûr des bou­quins mili­tants qui sont des clas­siques, mais les deux approches sont à mes yeux com­plé­men­taires. C’est inté­res­sant d’avoir lu cer­tains livres, mais je ne sais pas si c’est vrai­ment utile pour convaincre des gens au pre­mier abord… Les réseaux sociaux viennent en com­plé­ment, avec des choses beau­coup plus acces­sibles et rapides à lire. Derrière, cer­tains lec­teurs me demandent ce qu’ils pour­raient lire comme livres, et là je donne des pistes, même si je n’ai pas un gros bagage mili­tant (je n’ai pas lu Marx, par exemple, même si j’aimerais le faire un jour). Ce que je trouve dom­mage, c’est d’ailleurs que les gens qui tra­vaillent en bout de chaîne, comme moi, ont fina­le­ment plus de retours posi­tifs que ceux qui ont fait un gros tra­vail de recherche. J’ai eu quelques retours de bâton à ce niveau, de la part de socio­logues. Un bon nombre trouve génial qu’un large public puisse décou­vrir leur tra­vail grâce à moi, mais d’autres me disent « Ça n’est pas nor­mal que ton bou­quin soit ven­du au même prix que le mien alors que j’ai bos­sé vache­ment plus que toi, que j’ai fait vache­ment plus d’études que toi ». C’est un truc un peu clas­siste, « J’ai le savoir, je devrais être payé plus ». Ce sont des pro­blèmes qui pour­raient d’ailleurs être réso­lus avec le salaire à vie !

Certaines per­sonnes se déclarent « militant·e·s en ligne », sur des réseaux sociaux comme Twitter ou Facebook. Que pen­ser de ces militant·e·s dont la pré­sence sur le web consti­tue un enga­ge­ment en tant que tel ?

Je n’ai pas de pro­blème avec ça. Il y a plein de lec­trices qui ont com­men­cé à se sen­si­bi­li­ser sur des groupes fémi­nistes Facebook, et qui der­rière viennent à des confé­rences, vont en manif’, dis­cutent avec leur famille, affrontent le monde exté­rieur. Le seul truc que je ne consi­dère pas comme étant du mili­tan­tisme, ce sont les groupes Facebook entre per­sonnes aver­ties, où tu te prends 30 com­men­taires sur la tronche si tu n’emploies pas les bons termes, où on déve­loppe un purisme mili­tant en poin­tant constam­ment le voca­bu­laire à ne pas uti­li­ser. Autant j’utilise l’écriture inclu­sive par prin­cipe, autant je n’ai pas envie de me cou­per de tous mes outils lin­guis­tiques du jour au len­de­main. Ce sont des groupes à « bons points », avec une cer­taine atti­tude à avoir, des groupes qui affirment défendre des pro­jets col­lec­tifs et une socié­té bien­veillante mais avec des méthodes hyper nocives. Créer ce genre d’espaces, c’est uni­que­ment amé­na­ger des endroits dans les­quels tu repro­duis les rap­ports de pou­voir que tu n’as pas à l’extérieur. Et je peux com­prendre pour­quoi : en tant que femme plu­tôt effa­cée, au bou­lot et dans la vie, on ne m’a jamais trop lais­sée par­ler. Lorsque je me suis fait une place sur les groupes Facebook, je pou­vais par­ler et j’avais une supé­rio­ri­té écrite : j’écrivais vite, sans faire trop de fautes, mes idées se met­taient en place rapi­de­ment et j’ai pu uti­li­ser ça, au début, pour écra­ser les autres car je n’avais pas l’occasion de le faire à l’extérieur… C’est toxique ! C’est clas­siste et ça n’est pas du mili­tan­tisme. Je pré­fère par­ler avec les gens, même si par­fois je m’énerve. Les gens qui font des blogs, des des­sins, des péti­tions, oui, ils militent, même s’il faut aller plus loin que ça.

Votre tra­vail rebon­dit géné­ra­le­ment sur des sujets d’ac­tua­li­té, garan­tie d’un écho rapide. Comment vous assu­rez-vous de vous baser sur des infor­ma­tions solides et valables sur le long terme ?

« Le seul truc que je ne consi­dère pas comme étant du mili­tan­tisme, ce sont les groupes Facebook entre per­sonnes aver­ties, où tu te prends 30 com­men­taires sur la tronche si tu n’emploies pas les bons termes. »

C’est ma grosse dif­fi­cul­té du moment : j’ai envie de réagir rapi­de­ment, mais je sais que si je réagis vite, ce sera mal fait. Du coup je choi­sis mes sujets. Pour mener mes enquêtes, au début, je me basais sur des témoi­gnages enten­dus à la radio. Puis lorsque l’audience a aug­men­té, que mes livres ont été édi­tés, la simple cita­tion de sources m’est appa­rue insuf­fi­sante — d’autant que je ne vou­lais pas avoir la sen­sa­tion de m’approprier le tra­vail de quelqu’un d’autre. Maintenant, je fais tout moi-même, je cherche les contacts, je ren­contre les gens, je dis­cute et je raconte. Je lis aus­si énor­mé­ment pour la par­tie théo­rique. Là, je viens de faire la SNCF ; j’ai reçu beau­coup d’autres demandes par la suite, sur les infir­mières, les EHPAD, les profs. Je m’octroie aus­si le droit de trai­ter de sujets de fond sans lien avec l’actualité. La SNCF, ça m’a pris 15 jours, le temps de ren­con­trer des gens, de télé­pho­ner, de lire des conte­nus. Certains copains du NPA tra­vaillent sur des topos très car­rés, très clairs, dans les­quels je me plonge, puis je fais ma BD sur trois ou quatre jours.

Comment conju­guer cette démarche mili­tante et la réa­li­té plus pro­saïque du tra­vail rému­né­ré, sans tra­hir ses exi­gences et ses principes ?

Si j’acceptais de faire des BD pour une entre­prise et pour ser­vir de cam­pagne de pub, ça me rap­por­te­rait pro­ba­ble­ment beau­coup d’argent, mais j’aurais l’impression de trom­per les lec­teurs, donc je dis non. Je col­la­bore par­fois avec des ser­vices publics, mais je sélec­tionne, je m’arrête au niveau local, aux mai­ries. Plus com­pli­qué, le cas des ONG : cer­taines ne sont pas très claires. J’ai été contac­tée récem­ment par l’une d’elles, qui vou­lait faire la pro­mo­tion de l’humanitaire à l’étranger et abor­der la pré­ven­tion des vio­lences sexuelles en temps de guerre. Lorsque j’ai deman­dé s’il serait aus­si ques­tion de trai­ter les vio­lences com­mises par des mili­taires ou les per­son­nels huma­ni­taires, je n’ai plus jamais eu de nou­velles. Bien sûr, j’accepte aus­si de faire des des­sins pour des causes asso­cia­tives ou mili­tantes qui me tiennent à cœur. Mais les gens estiment sou­vent qu’à par­tir du moment où tu es militant·e, tu n’as pas besoin d’argent… Et ils te demandent beau­coup de tra­vailler gra­tui­te­ment ! Un type a récem­ment repos­té l’intégralité de mes des­sins sur son propre blog ; lorsque je lui ai signa­lé que ce n’était pas cor­rect, il s’est éton­né en disant « Désolé, je pen­sais que c’était mili­tant ». Or j’ai besoin de me baser sur ma com­mu­nau­té, d’avoir des visites sur mon blog : c’est là que se trouve le lien sur lequel ache­ter mes livres. C’est ce qui me per­met de vivre et de pro­duire plus de conte­nu gra­tuit. Les des­si­na­teurs et les des­si­na­trices sont sou­vent très mal consi­dé­ré·e·s ; on leur demande beau­coup de tra­vailler sans être payé·e·s (pen­dant les séances de dédi­caces, par exemple). On m’invite aus­si à des tables rondes et lorsque je pose la ques­tion de la rému­né­ra­tion, les gens disent « On ne com­prend pas, per­sonne n’a jamais deman­dé à être rému­né­ré », sans réa­li­ser qu’une pré­sen­ta­tion repré­sente du temps et du tra­vail. Les auteurs et autrices se sont rebel­lé·e·s récem­ment au Salon du livre car tout le monde était payé, sauf eux. Il faut mettre fin à ça de manière soli­daire. Pour toutes ces rai­sons, je ne suis pas sûre que je pour­rais arri­ver à vivre de mon acti­vi­té. J’envisage de reprendre éven­tuel­le­ment un bou­lot d’ingénieur à mi-temps pour ne pas avoir à me poser ces questions.

Parmi les BD publiées en ligne jusqu’à main­te­nant, les­quelles ont été les plus lues ?

D’abord, celle sur la charge men­tale. Elle m’a per­mis de sor­tir du cercle poli­ti­sé et de tou­cher des femmes pas du tout fémi­nistes. Ensuite, celle sur la SNCF, car c’est un sujet d’actualité. Je la vois par­tout, sur les forums ensei­gnants, étu­diants… Dès que quelqu’un uti­lise l’expression « pris en otage », il y a tou­jours un autre qui répond « Regarde cette BD » : c’est exac­te­ment ce que je vou­lais. Que ce soit un outil pour les gens qui galèrent. Mais, suite à la paru­tion sur la charge men­tale, beau­coup de gens attendent quelque chose de dépo­li­ti­sé, de léger, sur la vie de couple, ce qu’on peut voir sur des pages humo­ris­tiques qui jouent sur les cli­chés « Les femmes sont comme-ci, les hommes sont comme ça ». Quand je dis que je ne donne pas de conseils per­son­nels, que ça passe par l’action poli­tique, cer­taines femmes me disent « Mais on pré­fère quand tu ne fais pas de poli­tique »… Ce à quoi je réponds « Mais j’ai tou­jours fait de la poli­tique ! ». C’est un tra­vail qu’il me reste à faire, mon­trer ce lien entre le pri­vé et le poli­tique. J’essaie de mon­trer des pistes, comme le congé pater­ni­té. Je ne suis pas du tout bran­chée sur l’aide indi­vi­duelle — tant mieux si mon tra­vail peut aider dans la sphère pri­vée, mais si rien ne se passe au niveau de la socié­té, ça ne m’intéresse pas vraiment.

Vous évo­quiez lors d’un entre­tien le fait que les conseils pro­di­gués à pro­pos de la charge men­tale s’a­dressent uni­que­ment aux femmes et sont relayées par des médias qui ciblent un lec­to­rat fémi­nin… Comment sor­tir de cette boucle ?

« Je ne suis pas du tout bran­chée sur l’aide indi­vi­duelle — tant mieux si mon tra­vail peut aider, mais si rien ne se passe au niveau de la socié­té, ça ne m’intéresse pas vraiment. »

Je ne pense pas que j’arriverai jamais à m’adresser aux hommes sur les ques­tions fémi­nistes. Ça vien­dra de nous. Quand les femmes déci­de­ront que c’est fini, ce sera fini. Ma cible, ce sont les femmes. Quand cer­tains hommes disent que mon tra­vail les touche, je suis contente mais ça n’est pas mon objec­tif pre­mier. Certaines fémi­nistes me disent que sans les hommes, on ne pour­ra pas y arri­ver. On est mal bar­rées dans ce cas ! Sur le congé pater­ni­té, par exemple, chaque fois que j’ai assis­té à des réunions, il n’y avait que des femmes. Tant qu’on est dans une socié­té de concur­rence, de loi du plus fort, de sur­vie, les hommes conser­ve­ront leurs pri­vi­lèges car ça leur per­met de mieux y vivre. Je ne vois pas quel homme aujourd’hui se dirait qu’il pré­fère res­ter à la mai­son s’occuper des enfants, prendre un congé paren­tal et avoir une retraite de merde. Qui a envie d’avoir le sta­tut des femmes aujourd’­hui ? Personne. Nous, on est dedans et on essaie d’en sor­tir. Je ne dis pas non plus qu’il faut accé­der au sta­tut des hommes, ni prendre leur posi­tion actuelle comme réfé­rence. Les valeurs des femmes sont impor­tantes — je ne dis pas ça dans une pers­pec­tive essen­tia­liste. Je parle des valeurs qu’on nous a trans­mises petites : l’attention por­tée aux autres, le soin, l’empathie. Lorsque les femmes s’organiseront, elles feront péter le patriar­cat en même temps que le capi­ta­lisme. Car cette socié­té ne nous per­met pas de vivre conve­na­ble­ment avec ces valeurs ; elle nous rend vul­né­rables, pauvres, expo­sées aux vio­lences. Il faut bien sûr qu’on accepte de se mettre plus sou­vent en colère, de s’affirmer, mais je ne crois pas qu’on doive essayer de se rap­pro­cher du rôle qu’ont les hommes aujourd’hui.

L’autrice du blog Crêpe Georgette avait dit consi­dé­rer comme pro­blé­ma­tique la foca­li­sa­tion sur le concept de charge men­tale car cela évi­te­rait de sou­li­gner expli­ci­te­ment le tra­vail gra­tuit effec­tué par les femmes : un tra­vail qui n’est pas seule­ment men­tal, mais bien phy­sique, maté­riel. Dans cette pers­pec­tive, cela pour­rait consti­tuer un effet per­vers : se conten­ter de par­ler de charge men­tale comme d’un far­deau psy­cho­lo­gique en omet­tant d’analyser ce que pro­duisent concrè­te­ment les femmes…

Je suis assez aga­cée par le fait d’être tou­jours invi­tée pour faire des confé­rences autour de la charge men­tale… Je suis « la fémi­niste qui a popu­la­ri­sé le concept de charge men­tale ». Qu’on pré­cise ça pour per­mettre aux gens de resi­tuer qui je suis, je com­prends tout à fait. Mais lorsque des médias m’invitent sur ce sujet puis m’appellent pour me dire « Finalement, on va évo­quer d’autres enjeux fémi­nistes donc vous ne pou­vez pas venir », là, ça me pose un pro­blème : je suis fémi­niste, je ne parle pas uni­que­ment de la charge men­tale ! Beaucoup de média­thèques, d’organismes publics et asso­cia­tifs orga­nisent des confé­rences sur la charge men­tale en tant que concept tota­le­ment dépo­li­ti­sé, tout en pen­sant faire une action mili­tante. Parmi les der­niers livres parus sur le sujet, l’un a été écrit par une psy­cho­logue qui a décla­ré à la télé­vi­sion « Moi, je ne suis pas fémi­niste »… Son livre s’intitule La Charge men­tale des femmes et des hommes ; elle en fait quelque chose de symé­trique ! C’est abso­lu­ment dépo­li­ti­sé, décor­ré­lé des rap­ports de genre, des rap­ports capi­ta­listes. C’est tou­jours comme ça : lorsqu’un concept a du suc­cès, il est récu­pé­ré par des approches qui le vident de sa sub­stance poli­tique. Il faut tou­jours que ça puisse s’in­té­grer dans une forme d’ordre éta­bli, que ce ne soit pas trop sub­ver­sif. Et le concept de charge men­tale peut être appré­hen­dé de cette façon, sous l’aspect « petit dys­fonc­tion­ne­ment de couple » qu’on pour­rait régler avec de la com­mu­ni­ca­tion et des post-it : l’es­sen­tiel étant que ça per­mette de vendre des livres, des coa­chings, du yoga ou n’im­porte quoi de par­fai­te­ment com­pa­tible avec le capitalisme.


Portraits d’Emma : Cyrille Choupas, pour Ballast


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