Aymeric Caron : « Je suis favorable à la désobéissance civile »


Entretien inédit pour le site de Ballast

Sortez dans la rue. Vous ne le savez peut-être pas encore mais le nou­veau régime — la République du vivant — paie désor­mais à éga­li­té un direc­teur com­mer­cial et un sou­deur, une chi­rur­gienne et une cais­sière. Le temps de tra­vail heb­do­ma­daire a été fixé à 15 heures, l’hé­ri­tage a été abo­li, toutes les grandes entre­prises ont été natio­na­li­sées et les pro­prié­taires de biens immo­bi­liers expro­priés. L’État sai­si­ra à pré­sent tous les reve­nus men­suels supé­rieurs à 10 000 euros et chaque élu sera révo­qué au moindre man­que­ment à ses devoirs. L’exploitation ani­male — ali­men­ta­tion car­née, chasse, pêche, abat­toirs — n’est plus qu’un loin­tain sou­ve­nir et les prêts rému­né­rés sont inter­dits, de même que la spé­cu­la­tion et les emplois liés à la finance… Le rêve fou d’un grou­pus­cule révo­lu­tion­naire ? Non point : c’est, à grands traits, le pro­jet de socié­té que pro­pose l’an­cien repor­ter et jour­na­liste Aymeric Caron, dési­reux, 500 ans après Thomas More, de réha­bi­li­ter l’u­to­pie auprès du grand public avec l’es­sai Utopia XXI. Mais une uto­pie qu’il entend être la plus réa­liste pos­sible. Connu pour sa par­ti­ci­pa­tion à quelque émis­sion de débat télé­vi­sé, il se réclame depuis de l’a­nar­chisme. Surpris, nous l’a­vons ren­con­tré afin d’en dis­cu­ter, de long en large.


Journaliste, ancien repor­ter, chro­ni­queur, essayiste ou mili­tant : quel mot pré­fé­rez-vous pour vous décrire ?

Il est dif­fi­cile d’être réduit à un seul mot. J’aime assez l’idée d’avoir plu­sieurs facettes et de pou­voir expri­mer mes envies de dif­fé­rentes manières. Tout ceci coha­bite ensemble. Celui qui me défi­nit le moins est « chro­ni­queur » : il a été uti­li­sé pour l’émission On n’est pas cou­ché et ne tra­dui­sait d’ailleurs pas le tra­vail que nous y fai­sions. « Journaliste », je ne le suis plus. Mais j’ai conser­vé la démarche jour­na­lis­tique dans mon approche de l’écriture. « Essayiste », c’est ce que, de fait, je suis aujourd’hui — mais le serai-je demain ? Avoir plu­sieurs vies est, quand on peut, l’un des inté­rêts de l’existence. S’il me faut tou­te­fois me décrire, je dirais que je suis un ter­rien qui tâche de pro­fi­ter au mieux de sa très courte pré­sence sur cette planète.

Vous mélan­gez, dans vos écrits, le ludique et le sérieux, les réfé­rences « mains­tream » et les études chif­frées. Un assem­blage plu­tôt anglo-saxon dans l’esprit…

C’est vrai. En France nous sommes assez coin­cés dans des modèles pré­con­çus. Qui entend défendre des idées doit revê­tir un cos­tume d’intellectuel, aus­tère jusque dans l’écriture. C’est une pos­ture qui m’agace pro­fon­dé­ment. La vie mêle le ludique et le sérieux ; nos vies sont iro­niques et comiques — c’est pour­quoi mes auteurs pré­fé­rés sont Kafka et Kundera. S’y croisent la phi­lo­so­phie, la socio­lo­gie, les sciences dures et les élé­ments, par­fois drôles, du quo­ti­dien. Ça me plaît de recou­rir à Hannah Arendt comme à Flashdance, de convo­quer à la fois Karl Marx et Donna Summer.

Vous ne venez pas du milieu uni­ver­si­taire. Vous n’avez donc pas à vous pré­oc­cu­per de la recon­nais­sance de vos « pairs ».

« Finkielkraut n’est plus un phi­lo­sophe ; il est deve­nu un mili­tant de ses propres peurs. Il oublie toute rigueur dans la pen­sée et habille son pro­pos de citations. »

En effet. Et je suis bien conscient du mépris avec lequel cer­tains espaces traitent mon livre. Il faut avoir mon­tré patte blanche — à des per­sonnes ou des ins­ti­tu­tions ; il faut se plier à cer­tains rites. Récemment, les deux « chro­ni­queurs » d’On n’est pas cou­ché m’ont vio­lem­ment atta­qué ; la semaine sui­vante, ils ont reçu Alain Finkielkraut et lui ont dérou­lé le tapis rouge. Ils m’ont dit que j’étais un type « dan­ge­reux » et ont fait savoir à Finkielkraut qu’il était for­mi­dable. Donc : un éco­lo anti­spé­ciste et anti­ra­ciste qui essaie de réflé­chir à une socié­té plus juste pose davan­tage pro­blème que ce mon­sieur. Sur Twitter, quelqu’un a écrit que je ne pou­vais pas me com­pa­rer à Finkielkraut car il est un phi­lo­sophe et que je ne le suis pas. C’est amu­sant. Finkielkraut n’est plus un phi­lo­sophe ; il est deve­nu un mili­tant de ses propres peurs. Il oublie toute rigueur dans la pen­sée et habille son pro­pos — celui, fina­le­ment banal et pauvre, d’un mili­tant FN lamb­da — de cita­tions : c’est un pro­fes­seur de phi­lo­so­phie qui a mal tour­né. Le sys­tème média­tique fonc­tionne, plus lar­ge­ment, de la même manière : au pré­texte que cer­tains pen­seurs sont auréo­lés de res­pec­ta­bi­li­té, acquise il y a 20 ou 30 ans, on regarde de haut ceux qui ne viennent pas du même milieu et aspirent à prendre part au débat d’idées. « Caron, c’est le mec de la télé » : c’est très fran­çais, cette logique de cases. J’avais débat­tu d’éthique ani­male avec la reven­di­quée phi­lo­sophe Chantal Delsol : elle avait ali­gné les trois tartes à la crème argu­men­ta­tives des grands vian­dards. J’avais bien sen­ti le mépris qu’elle me témoi­gnait du seul fait que je ne sois pas de son milieu. Arriver avec Utopia XXI, quand on a mon par­cours de jour­na­liste, paraît donc étrange. Mais c’est l’une des choses qui doit chan­ger — je croise sou­vent plus de bon sens, d’empathie et de visions chez des profs ou des infir­miers, des gens de la vie ordi­naire. Je viens des médias et peux donc affir­mer qu’ils sont sou­vent très pauvres intel­lec­tuel­le­ment. J’ai vu ce jeu de près et c’est pour ça que j’ai eu envie de prendre mes dis­tances — on invite d’abord ceux qui ont un « ton », ceux qui peuvent créer des polé­miques spec­ta­cu­laires et pro­duire des pro­pos assez sim­plistes. La nuance et la com­plexi­té sont trop chiantes pour la télé­vi­sion ou la radio.

Vous assu­mez vou­loir vous adres­ser au « grand public ». De quelle manière ceci inter­fère-t-il au moment de l’écriture ?

J’étais deve­nu grand repor­ter pour pou­voir tou­cher le plus grand nombre avec des sujets com­plexes. J’avais à cœur d’être le plus péda­gogue pos­sible. L’autre jour, je lisais un roman d’un jeune auteur, paru dans une col­lec­tion pres­ti­gieuse : deux ou trois mots par page m’étaient incon­nus. Il était évident qu’il avait recou­ru à un dic­tion­naire des syno­nymes dans le but de com­plexi­fier sa langue autant que faire se peut : je ne sup­porte pas ça. Il m’arrive d’employer cer­tains termes spé­ci­fiques lorsqu’il n’en existe pas d’autres mais j’essaie de rendre mon pro­pos acces­sible immédiatement.

Par Stéphane Burlot, pour Ballast

Un phi­lo­sophe amé­ri­cain avait écrit que Foucault lui avait confié qu’il impor­tait de pla­cer 10 % de pro­pos « incom­pré­hen­sibles » pour être « pris au sérieux », en France — ce à quoi Bourdieu avait ajou­té que c’était « 20 % qu’il faut ».

C’est fas­ci­nant ! Une écri­ture comme celle de Schopenhauer, lim­pide et sans esbroufe, me parle. On peut énon­cer de grandes idées de manière simple : c’est une évi­dence, mais c’est ce qui m’intéresse.

Dans votre livre Envoyé spé­cial à Bagdad pen­dant la guerre, paru en 2003, vous écri­viez que deve­nir repor­ter était « un rêve » qui a por­té toute votre ado­les­cence et votre vie d’étudiant. Comment aviez-vous fran­chi le pas ?

J’ai d’abord vou­lu être des­si­na­teur, peut-être de bande des­si­née ; en tout cas, j’avais dit très tôt à ma mère que je ne sou­hai­tais pas faire un métier répé­ti­tif, avec des horaires de bureau : je vou­lais de la sur­prise et du chan­ge­ment. C’était une intui­tion de gamin. J’aimais bien par­ler — déjà ! — et le métier de jour­na­liste m’est appa­ru lorsque j’ai vu, à la télé­vi­sion, un homme en duplex du Liban au jour­nal de 20 heures, durant la guerre. Depuis, j’ai su que je vou­lais faire ce métier. J’habitais à Boulogne-sur-Mer et venais d’une famille ni pauvre, ni riche…

… Classe moyenne ?

« J’ai pu me rendre sur les cinq conti­nents et voir des cultures très dif­fé­rentes. J’ai vu com­ment vivaient les autres pen­dant dix ans. Il y a des quan­ti­tés de choses que je n’ai tou­jours pas vues ni com­prises, mais je me suis nourri. »

Mon père est ensei­gnant et ma mère infir­mière. Je n’avais aucun contact. On était un peu cou­pés du reste du monde, à cette époque. J’ignorais com­ment deve­nir jour­na­liste. On m’a conseillé une école de jour­na­lisme, à Lille, mais elle était chère : je n’étais pas sûr que mes parents auraient les moyens de la payer. J’ai d’abord sui­vi un cur­sus clas­sique de lettres (Hypokhâgne-Khâgne, jusqu’au DEA), avant d’in­té­grer l’école en ques­tion (moins chère que d’autres, au final) et de bos­ser à côté pour payer une par­tie des frais.

Dans ce livre, vous par­liez avec admi­ra­tion des repor­ters comme Albert Londres et Joseph Kessel, qui étaient aus­si des écri­vains. Vous vou­liez d’abord racon­ter ou informer ?

J’aimais racon­ter et aller voir. Voir pour com­prendre. D’où ces modèles. En France, on meurt d’écouter tous ces gens qui parlent du monde sans le connaître — ou bien se baladent, comme BHL, et ont déjà expli­qué toute la situa­tion géo­po­li­tique d’un endroit avant d’y avoir mis les pieds. J’aime apprendre, tout le temps. Un jour, je serai daté et dépas­sé, je n’aurai plus rien à pro­duire d’intéressant : je n’aurai pas réus­si à prendre le wagon. On a tous un temps, comme ces grands artistes qui font deux albums brillants qu’ils n’égaleront plus jamais. Les plus doués par­viennent seule­ment à éti­rer ce temps d’exploration. Pardonnez-moi, j’adore les digres­sions. (rires) Je fais des recherches pen­dant que j’écris, donc j’écris en appre­nant. Reporter, c’était la pos­si­bi­li­té d’éviter l’ennui et d’aller à la ren­contre du monde : j’ai pu me rendre sur les cinq conti­nents et voir des cultures très dif­fé­rentes. J’ai vu com­ment vivaient les autres pen­dant dix ans. Il y a des quan­ti­tés de choses que je n’ai tou­jours pas vues ni com­prises, mais je me suis nour­ri. Assez pour avoir la légi­ti­mi­té de par­ler de cer­tains sujets. J’ai une peur panique de la répé­ti­tion : elle signe la fin de l’éveil, du vivant.

Vous avez cou­vert des pays aus­si dif­fé­rents que la Serbie, l’Afghanistan, l’Irak, la Tchétchénie ou le Congo. Vous vous infor­miez alors en amont ou sur place, en « direct » ?

Il y a les deux cas de figure. Quand on m’a envoyé en Côte d’Ivoire, c’était au pied levé — je pars avec quelques articles de presse et j’affine sur place. Mais, si l’on prend l’Irak, je m’y suis ren­du à plu­sieurs reprises et j’ai beau­coup lu sur le sujet. De même pour les Balkans, au début des années 2000. Durant sept ou huit ans, je n’ai lu que des livres de géo­po­li­tique. J’ai été très mar­qué par l’Afghanistan : dès que j’entends ce mot, des images me reviennent en tête.

Vous y aviez ren­con­tré le fils de Massoud

Je garde un sou­ve­nir fort de cette jour­née dans la val­lée du Pandjchir. Ce n’est d’ailleurs pas gran­di­lo­quent, ni dan­ge­reux, comme on pour­rait le croire. Je m’étais ren­du à Bâmiyân — les tali­bans avaient fait sau­ter les sta­tues des Bouddhas en mars 2001 : il fai­sait beau au petit matin, le soleil arri­vait, un soleil d’hiver. On s’avance devant cette falaise ; les deux grandes alcôves étaient vides. Je monte dans une des petites grottes et regarde Bâmiyân et ce beau soleil froid. J’ai pas­sé une demi-heure à regar­der cet hori­zon plat, assis, dans un endroit per­du, juste après le déclen­che­ment de la guerre. Vous voyez, ce n’est pas spec­ta­cu­laire, mais ça m’a mar­qué à vie. En Irak, j’étais très lié à une famille — un couple et trois enfants —, qui a depuis émi­gré en Belgique. Ça a joué un rôle impor­tant dans ma com­pré­hen­sion du monde. Les Occidentaux ont bom­bar­dé des gens qui auraient pu être mes voi­sins ici. Je pense sou­vent à eux.

Par Stéphane Burlot, pour Ballast

Plus tard, deve­nu ce qu’on appelle « une figure média­tique », vos prises de posi­tion en faveur de la Palestine vous ont valu d’être mena­cé et pla­cé un temps sous pro­tec­tion poli­cière. Comment vit-on la vio­lence lorsqu’elle naît du simple débat d’idées ?

Très mal. J’étais sans doute naïf : j’ai décou­vert, avec cette émis­sion, la mal­hon­nê­te­té intel­lec­tuelle éri­gée comme une arme. Une part de mes illu­sions et de mon inno­cence s’est envo­lée au cours de cette époque « média­tique » de ma vie. J’y ai décou­vert la calom­nie. Mais tout ne peut pas venir seule­ment des autres : je me suis inter­ro­gé sur moi-même. Ai-je mal expri­mé cer­taines choses ? J’ai par­fois été trop fron­tal. Je me suis éga­le­ment inter­ro­gé sur le sys­tème. J’ai décou­vert qu’il trans­forme une simple dis­cus­sion en anta­go­nisme, en buzz. J’accepte la cri­tique lorsqu’elle cor­res­pond à des posi­tions que je défends réel­le­ment — que l’on m’attaque sur le végé­ta­risme ou le véga­nisme, très bien. Mais ne plus être maître et pro­prié­taire de ses pro­pos est une expé­rience trou­blante. Je ne joue cepen­dant pas aux vic­times : j’ai eu la chance incroyable, en tant que citoyen, d’avoir eu cet espace d’expression.

Le cuir s’est tan­né, depuis ?

« Les humains sont par nature des êtres d’organisation, de répar­ti­tion des tâches, de prises de déci­sion et de coopé­ra­tion. Et toute coopé­ra­tion sup­pose d’instaurer des instances. »

Oui. Et j’ai appris à mieux com­prendre la manière dont la parole est uti­li­sée, déviée, dans les médias ; j’ai su com­ment l’anticiper, contour­ner ces pièges. Je ne pro­nonce plus un mot si je sais que le sys­tème média­tique, l’isolant, le sor­tant du contexte, rend inau­dible le pro­pos qu’il vou­lait ser­vir — j’utiliserai ce mot seule­ment à l’écrit. Je ne regrette pas une seconde ces années à On n’est pas cou­ché, mais elles ont eu pour défaut de m’enfermer dans la case du type qui allait « embê­ter » les invi­tés : le côté tatillon, rentre-dedans… C’est d’ailleurs l’une des rai­sons qui m’a pous­sé à publier des livres non-consen­suels : il était à mes yeux impos­sible d’être réduit à l’image publique du cri­tique d’autrui, de n’être qu’un ins­pec­teur des tra­vaux finis. Il m’importait beau­coup de pro­po­ser mes propres écrits pour qu’ils soient cri­ti­qués par les autres. Pour tout vous dire, je n’étais pas sûr d’être à la hau­teur quand on m’a sol­li­ci­té pour On n’est pas cou­ché. J’étais per­sua­dé qu’on allait me sor­tir dès les toutes pre­mières émis­sions — je me trouve, rétros­pec­ti­ve­ment, plu­tôt mau­vais dans la pre­mière sai­son. On doit être per­cu­tants en quelques minutes, trou­ver un angle, avoir du répon­dant : c’est un tra­vail très par­ti­cu­lier. J’avais de plus en plus de mal avec le temps court de la télé, qui oblige à se posi­tion­ner sur tous les sujets. On doit avoir un avis sur tout. Mais le mien n’a pas d’importance sur tout ! La noto­rié­té implique une res­pon­sa­bi­li­té. Mon ancienne col­lègue Natacha Polony est dans le « Je sais » per­ma­nent. Sur tout. Ce n’est pas du tout ma démarche : je potasse avant d’affirmer, je fais des recherches. J’avais conçu depuis le début cette émis­sion comme un pas­sage, une phase transitoire.

Dans Autoportrait d’un repor­ter, l’écrivain-journaliste polo­nais Ryszard Kapuściński écrit que « nous n’avons pas les moyens — et nous ne sommes pas prêts de les avoir — de vaincre » l’inégalité du monde. Votre der­nier livre, Utopia XXI, paraît le contredire !

Nous avons les moyens de la vaincre, mais nous n’aurons jamais les moyens d’abolir la cruau­té du monde. Dissocions déjà l’inégalité de l’injustice : la pre­mière est natu­relle et par­ti­cipe de la richesse des groupes humains ; la second relève de l’organisation poli­tique et sociale, donc d’un com­bat à mener. J’ai tou­jours construit ma vie per­son­nelle sur la notion d’utopie. J’avais été très mar­qué par le titre d’un livre de l’écologiste René Dumont, L’Utopie ou la mort. Nous devons accep­ter l’utopie ou nous nous condam­nons à mou­rir, puisque la pla­nète court à sa perte. L’abolition de l’esclavage a été une uto­pie, comme l’a été la citoyen­ne­té pleine et entière des femmes. On ne pou­vait pas y croire, jusqu’à une période très récente : et pour­tant… L’antispécisme relève de la même logique. L’utopie est une pré­hen­sion bien plus forte du réel que la pen­sée clas­sique domi­nante. La pen­sée domi­nante est en retard sur le réel, que l’utopie per­met de mieux sai­sir. Les man­geurs de viande et les exploi­teurs d’animaux sont dans le déni de la réa­li­té : celle de qui sont les ani­maux, celle des dégâts envi­ron­ne­men­taux que la viande pro­voque, etc. De même que les par­ti­sans de la crois­sance comme cri­tère fon­da­teur d’une socié­té sont dans le déni.

En avril der­nier, vous vous êtes expli­ci­te­ment reven­di­qué « anar­chiste ». Mais vous main­te­nez, dans votre pro­jet de socié­té future, les struc­tures éta­tiques et gou­ver­ne­men­tales. Chose plu­tôt rare, dans le champ liber­taire. Quel genre d’anarchiste êtes-vous ?

Il existe des anar­chistes favo­rables à l’État. L’anarchie — prise dans son sens poli­tique et non com­mun — ne refuse pas néces­sai­re­ment, du moins pas tou­jours, des struc­tures orga­ni­sa­trices de la socié­té. J’entends l’anarchie comme le refus d’une force supé­rieure qui décide du des­tin des citoyens. Mais je ne par­viens pas à ima­gi­ner une orga­ni­sa­tion humaine sans struc­tures : les humains sont par nature des êtres d’organisation, de répar­ti­tion des tâches, de prises de déci­sion et de coopé­ra­tion. Et toute coopé­ra­tion sup­pose d’instaurer des instances.

Un cou­rant signi­fi­ca­tif du mou­ve­ment liber­taire pro­pose une fédé­ra­tion non-éta­tique de com­munes autogérées.

Bien sûr. Mais qu’est-ce qu’un État sinon la pos­si­bi­li­té logis­tique de ce prin­cipe fédératif ?

Par Stéphane Burlot, pour Ballast

La lit­té­ra­ture radi­cale contem­po­raine, qu’elle soit dans la cri­tique — son­geons au Comité invi­sible — ou l’anticipation — son­geons à Damasio, au récent Voyage en misar­chie de Dockès ou aux Premières mesures révo­lu­tion­naires de Hazan et Kamo —, ima­gine volon­tiers la dis­pa­ri­tion de l’État pour favo­ri­ser l’avènement d’une socié­té plus juste.

Le pro­blème vient peut-être du mot « État ». Il est en effet char­gé de conno­ta­tions poli­tiques et his­to­riques très lourdes. C’est d’ailleurs pour ça que je l’utilise très peu et pré­fère par­ler d’un « gou­ver­ne­ment » — mais l’État n’en reste pas moins la coquille au sein de laquelle celui-ci repose et œuvre… L’État per­met seule­ment d’organiser la vie col­lec­tive à une échelle don­née. Je conçois une imbri­ca­tion sur le modèle fédé­ral : quar­tier-ville-région-pays-conti­nent-monde. En lisant du Proudhon, du Reclus ou du Bakounine, j’ai rele­vé, au fil du temps, une com­mu­nau­té de pen­sée et des notions qui m’intéressent énor­mé­ment. Mais je ne crois pas que l’anarchie doive res­tée figée, blo­quée dans le XIXe siècle. Je ne suis pas pour une révo­lu­tion vio­lente et je crois à l’ordre. J’aspire à conci­lier la liber­té indi­vi­duelle pous­sée à son maxi­mum et l’extrême orga­ni­sa­tion du cadre col­lec­tif. L’un des défauts de la tra­di­tion anar­chiste est pro­ba­ble­ment sa vision de l’Homme : il pour­rait s’organiser gen­ti­ment en petits groupes soli­daires. Je n’y sous­cris pas. À choi­sir entre Hobbes et Rousseau, je prends le pre­mier. L’Homme, pris dans sa majo­ri­té, est envieux, nar­cis­sique, avide de pou­voir et de biens maté­riels ; l’Homme, par nature, acca­pare, entasse, vit pour lui et manque d’empathie : il nous importe donc de pen­ser le contrôle de ces pas­sions mau­vaises (que l’organisation sociale favo­rise, bien évidemment).

D’où le main­tien, dans votre socié­té future, des forces de police ?

« Notre socié­té est fon­dée sur l’exploitation et la domi­na­tion patro­nale, sur le sala­riat et le pro­lé­ta­riat : ce sont les mêmes res­sorts que la domi­na­tion des humains sur les espèces sans capa­ci­tés de défense — au nom du pro­fit et de l’hédonisme. »

C’est amu­sant : je suis pas­sé, dans On n’est pas cou­ché, pour un « bobo » ou un « gau­chiste » du fait de mes posi­tions cri­tiques sur la ques­tion sécu­ri­taire. Un livre vient de sor­tir, La Part d’ange en nous, écrit par le pro­fes­seur de psy­cho­lo­gie Steven Pinker : il rap­pelle clai­re­ment que nous vivons dans l’ère la moins vio­lente de l’histoire de l’espèce humaine. Ce que j’ai mar­te­lé durant trois ans, face aux dis­cours de la droite ou du FN. Il n’en demeure pas moins que cette socié­té « uto­pique » main­tien­dra la police. Nous sommes trop mani­chéens sur ce sujet : il fau­drait choi­sir entre le tout-sécu­ri­taire et le « méga cool ». Une socié­té juste se doit de contrô­ler les indi­vi­dus qui, à la pre­mière occa­sion, vont essayer d’attenter à la digni­té d’autrui ou de jouir de béné­fices pour eux seuls. Ce qui est d’ailleurs la défi­ni­tion du capi­ta­lisme : c’est une idéo­lo­gie de voyous. Quand je parle de ren­for­ce­ment des moyens de la police, c’est uni­que­ment pour signi­fier que nous ne pou­vons pas tolé­rer les com­por­te­ments inci­viques et les vio­lences phy­siques au quo­ti­dien. Je suis pour la recherche de solu­tions alter­na­tives à la pri­son, de même que je suis pour la sanc­tion immé­diate dès lors qu’un indi­vi­du nuit à autrui. La ques­tion qui m’obsède véri­ta­ble­ment, et se connecte à celle de l’antispécisme, est celle-ci : que faire pour que notre pré­sence sur Terre soit la plus indo­lore pos­sible pour les autres et pour l’environnement ? Nous devons créer un cadre qui puisse per­mettre de mini­mi­ser le plus pos­sible les consé­quences néga­tives de nos actes. Manger de la viande, c’est tenir pour nor­mal le sacri­fice inutile de vies — en man­ger sera donc interdit.

Dans Antispéciste, vous par­liez d’une « conti­nui­té » entre le socia­lisme et la cause ani­male. Le lien, pour qui connaît peu ces enjeux, n’est pas tou­jours évident !

Je n’invente rien. Darwin avait remis sur le devant de la scène le conti­nuum qui existe entre l’Homme et l’animal — il n’existe aucune sépa­ra­tion nette. L’Homme est l’une des espèces ani­males. Nous sommes des ani­maux, et tout le monde ne l’a pas encore inté­gré : ce n’est pas une opi­nion mais un fait, éta­bli par les neu­ros­ciences et la paléoan­thro­po­lo­gie. Beaucoup res­tent atta­chés à la tra­di­tion chré­tienne et car­té­sienne de l’Homme qui domine le reste du vivant. Nous fai­sons par­tie de la famille des grands singes, sommes cou­sins des poules et liés géné­ti­que­ment aux éponges de mer. Ce lien nous oblige. Qu’est-ce que le socia­lisme, au sens large ? Le com­bat pour l’abolition de l’exploitation. Notre socié­té est fon­dée sur l’exploitation et la domi­na­tion patro­nale, sur le sala­riat et le pro­lé­ta­riat : ce sont les mêmes res­sorts que la domi­na­tion des humains sur les espèces sans capa­ci­tés de défense — au nom du pro­fit et de l’hédonisme. Je parle avant tout des grands groupes, qui s’en mettent plein les poches en exploi­tant les ani­maux, et non des petits pay­sans qui sur­vivent : 70 mil­liards d’animaux ter­restres et 1 000 mil­liards d’animaux marins tués, chaque année, à des fins mar­chandes. Autant d’individus qui res­sentent des émo­tions propres. N’importe quelle per­sonne au contact d’animaux, « domes­tiques » ou non, sait qu’ils vivent avec leurs humeurs, leurs envies, leurs joies et leurs peines. L’antispécisme pro­longe le socia­lisme en ce qu’il veut sup­pri­mer la pos­si­bi­li­té, pour une mino­ri­té, d’œuvrer à ses propres inté­rêts au détri­ment du grand nombre, humain ou non-humain. C’est ce que j’appelle l’augmentation de la sphère de consi­dé­ra­tion morale.

Par Stéphane Burlot, pour Ballast

Vous décri­vez notre pré­sent capi­ta­liste et « tota­li­taire soft » et bros­sez la socié­té à construire, socia­liste et éco­lo­giste. Mais com­ment passe-t-on du point A au point C si vous déniez au suf­frage uni­ver­sel sa légi­ti­mi­té — en tant qu’abs­ten­tion­niste reven­di­qué — et condam­nez par avance toute révo­lu­tion vio­lente de type léni­niste ? Vous n’en par­lez pas dans votre livre…

Notre démo­cra­tie ne fonc­tionne pas et n’en est pas une. Mais je ne conçois pas de bou­le­ver­se­ment majeur hors d’une dyna­mique réel­le­ment démo­cra­tique. J’y reviens : je ne sup­porte pas la vio­lence. Elle est la néga­tion même de l’humanité à laquelle j’aspire. Devenir humain, c’est trou­ver d’autres moda­li­tés pour régler un conflit ou un désac­cord que l’élimination phy­sique de nos adver­saires. En l’état, je ne vois donc pas d’autres solu­tions que de pas­ser par les sys­tèmes his­to­ri­que­ment mis en place par les humains — sys­tèmes que pour autant je dénonce — pour faire adve­nir une socié­té plus juste. Je suis favo­rable à des résis­tances non-vio­lentes et aux méthodes que Gandhi a employées pour faire plier les Anglais. Je suis favo­rable à la déso­béis­sance civile et à la leçon de Thoreau : arrê­tons mas­si­ve­ment de payer, soyons 5 mil­lions à ne plus payer nos impôts — ça bou­ge­ra. On peut éga­le­ment ima­gi­ner le blo­cage d’une ville. Les idées que je porte sont mino­ri­taires, mais si nous par­ve­nons à les dif­fu­ser, à les faire émer­ger et à les rendre majo­ri­taires — et les mobi­li­sa­tions allant gros­so modo dans le même sens sont nom­breuses, à divers endroits de la socié­té —, ce serait le pre­mier pas vers une victoire.

Imaginons que ce bou­le­ver­se­ment — vous par­lez de « révolte » mais il a des allures de « révo­lu­tion » ! — se pro­duise. Le nou­veau régime a abo­li l’héritage, inter­dit les spé­cu­la­tions et la pro­prié­té fon­cière, natio­na­li­sé à tour de bras, enca­dré l’ensemble des entre­prises de plus de dix sala­riés, inter­dit la consom­ma­tion d’a­ni­maux et paie à éga­li­té un avo­cat et un maçon. Vous ne par­lez jamais de la réac­tion bour­geoise, des milices qui se for­me­ront sans doute, des ten­ta­tives de désta­bi­li­sa­tion ou de putschs — aux­quels un Allende, dont le pro­jet était pour­tant moins radi­cal, dut faire face !

« Je suis favo­rable à la déso­béis­sance civile et à la leçon de Thoreau : arrê­tons mas­si­ve­ment de payer, soyons 5 mil­lions à ne plus payer nos impôts — ça bougera. »

Vous avez rai­son. Certaines idées du livre me parais­saient rapi­de­ment appli­cables et ne sou­lè­ve­ront pas de viru­lence par­ti­cu­lière (la réforme du mode de scru­tin, par exemple) ; d’autres, en effet, comme le fait de tou­cher à la pro­prié­té pri­vée et aux reve­nus, pour­raient entraî­ner des réac­tions extrê­me­ment vio­lentes. Les pos­sé­dants ne se laissent pas dépos­sé­der. Je pour­rais d’ores et déjà vous répondre que si ses mesures sont mises en place, par la voie démo­cra­tique non-vio­lente et majo­ri­taire, les pos­sé­dants seront bien obli­gés de jouer le jeu de la démo­cra­tie. Et s’ils n’y consentent pas, s’ils ne plient pas, s’ils forment une résis­tance armée, l’État — appe­lons-le ain­si — pour­ra inter­ve­nir par la force mili­taire ou poli­cière puisqu’ils seront des hors-la-loi, des mafieux. Je suis un non-violent mais je n’entends pas me lais­ser écra­ser si on nous attaque. Les pos­sé­dants repré­sentent entre 1 et 10 % de la popu­la­tion : d’un point de vue démo­cra­tique, la répar­ti­tion des richesses pour­rait se faire très faci­le­ment. S’ils attaquent par les armes, nous répon­drons par les armes — si tous les moyens diplo­ma­tiques ont échoué. Un affron­te­ment violent est un échec, mais si nos vies sont en jeu, nous n’aurons pas d’autre choix.

Vous mobi­li­sez le socio­logue Bernard Friot mais ne le sui­vez pas tota­le­ment, notam­ment sur la ques­tion de la pro­prié­té d’usage, c’est-à-dire de la pos­si­bi­li­té d’être pro­prié­taire de son logement.

Je cite­rai Rousseau, cette fois : l’injustice a com­men­cé le jour où un humain a posé une bar­rière pour dire qu’il était ici chez lui. Mon refus de la pro­prié­té fon­cière découle, pro­fon­dé­ment, de mon ADN éco­lo­giste — nous ne devons pas être pro­prié­taire d’une terre. L’herbe, les arbres et les ani­maux qui y passent ne sont pas à nous. Rien, sur Terre, n’appartient aux espèces qui la peuplent. Nous pou­vons faire usage du vivant mais au nom de quoi devrait-on décré­ter qu’une par­celle du vivant nous appar­tient, et n’appartient qu’à nous ? Si l’on étu­die l’histoire de la pro­prié­té pri­vée, on constate qu’elle n’existe que par la vio­lence : des chefs de clans, des sei­gneurs de guerre ou des rois ont pris pos­ses­sion du vivant par la force. L’acte de pro­prié­té, aujourd’hui, découle de cette vio­lence his­to­rique. Comment un bien est-il entré dans une famille ? D’où pro­vient l’argent uti­li­sé pour acqué­rir un bien immo­bi­lier ? Du pro­ces­sus d’exploitation et de domi­na­tion. Le vivant n’appartient qu’à lui-même — c’est aus­si pour cela que je suis anar­chiste. À quoi j’ajoute ceci : com­ment lut­ter contre les inéga­li­tés si on auto­rise cer­tains à offrir en héri­tage à leurs enfants des biens que d’autres n’auront pas ? Friot, dans son sys­tème, le per­met. Deux hommes ne naî­tront jamais « libres et égaux » tant que l’un des deux naî­tra dans une mai­son (quand ce n’est pas plu­sieurs) qu’il aura un jour et que l’autre n’héritera de rien, et ver­ra en prime ses parents galé­rer pour payer un loyer. L’héritage crée une inéga­li­té de fait. Chacun connaît l’argument lamb­da : « J’ai tri­mé toute ma vie, c’est nor­mal que mes gamins héritent de ma mai­son. » Non. En quoi est-ce nor­mal ? Nous vivons encore sous la men­ta­li­té monar­chiste : l’aristocratie existe toujours.

Par Stéphane Burlot, pour Ballast

Vous main­te­nez le sys­tème loca­tif. Pourquoi ne pas ima­gi­ner, comme à Cuba un temps, qu’un toit soit un bien essen­tiel au même titre que l’air ou l’eau, et qu’il soit garan­ti gra­tui­te­ment par cet État ?

C’est une ques­tion dis­cu­table, oui. J’imagine chaque bien immo­bi­lier sous la forme d’une loca­tion éta­tique car je tiens à main­te­nir — ce n’est pas un régime tota­li­taire — la liber­té de choix. D’où le main­tien de l’argent, éga­le­ment. L’argent, mal­gré toutes les cri­tiques que je for­mule, peut être un moyen de liber­té. Thomas More, dans Utopia, l’abolissait…

… Certains bol­che­viks avaient réflé­chi à le sup­pri­mer au moment de la Révolution russe.

Des anar­chistes aus­si. Mais l’argent, en tant que moyen d’échange et uni­té de valeur, per­met le choix indi­vi­duel. L’abolition de l’argent aurait pour consé­quence d’encourager énor­mé­ment de per­sonnes à ne plus tra­vailler du tout pour l’intérêt commun.

Pas dans les socié­tés tri­bales, où cha­cun tra­vaille la terre et, dans le cadre d’une éco­no­mie de sub­sis­tance, vit sans argent.

« Les pos­sé­dants repré­sentent entre 1 et 10 % de la popu­la­tion : d’un point de vue démo­cra­tique, la répar­ti­tion des richesses pour­rait se faire très faci­le­ment. S’ils attaquent par les armes, nous répon­drons par les armes — si tous les moyens diplo­ma­tiques ont échoué. »

La socié­té éco­lo­giste à laquelle j’aspire a besoin du pro­grès et de l’innovation tech­nique : trou­ver de nou­veaux moyens d’énergie, créer des pro­duits moins pol­luants, etc. Je n’appelle pas à un retour à la par­celle de terre que cha­cun culti­ve­rait. Et puis l’argent a des ver­tus aux­quelles on ne pense jamais : il per­met de limi­ter la consom­ma­tion et peut, s’il est bien dis­tri­bué, garan­tir l’égalité entre les hommes. Je m’explique : si vous n’avez que 2 000 euros par mois, et que vous devez payer tous les biens que vous consom­mez, for­cé­ment, vous serez obli­gé de vous limi­ter — Thomas More, je le rap­pelle, consi­dé­rait que cha­cun pou­vait se ser­vir gra­tui­te­ment. Si vous ne devez pas payer pour vos vacances dans un hôtel confor­table avec mas­sages à volon­té, tout le monde va vou­loir pas­ser ses jour­nées à se faire dor­lo­ter : qui tien­dra l’hôtel et fera les mes­sages ? On ne peut pas, aujourd’hui, ban­nir l’argent. Il faut en revanche repen­ser sa créa­tion et sa dis­tri­bu­tion, et l’envisager comme un moyen de garan­tir l’égalité entre tous. En pla­fon­nant les reve­nus, on tra­vaille à la répar­ti­tion des richesses tout en per­met­tant à cha­cun d’utiliser le pro­duit de son tra­vail comme il l’entend.

Noam Chomsky avait esquis­sé l’idée d’un rou­le­ment de tous les citoyens, pour les tâches ingrates liées à la collectivité.

Je pro­pose jus­te­ment des postes de quatre ans maxi­mum, pour les métiers les plus pénibles. D’autant que l’automatisation nous y aide­ra. Des machines sans chauf­feur se char­ge­ront des pou­belles dans un ave­nir proche, c’est cer­tain. Une socié­té a besoin d’une grande quan­ti­té de tra­vailleurs pour fonc­tion­ner à tous les niveaux : un reve­nu uni­ver­sel décon­nec­té de tout tra­vail, quand bien même ne per­met­trait-il que de vivo­ter, blo­que­rait tout. Qui a envie d’aller bos­ser s’il est payé en res­tant chez lui ?

Le Che pro­mou­vait le tra­vail volon­taire pour le bien de la Révolution !

Oui, mais on sait tous que seule une mino­ri­té, très volon­ta­riste, veut s’investir de la sorte. Calculons plu­tôt la quan­ti­té de tra­vail néces­saire à l’ensemble d’une col­lec­ti­vi­té et répar­tis­sons le tra­vail entre tous. J’ai esti­mé, à la louche, que nous arri­ve­rions sans doute à une quan­ti­té de tra­vail limi­tée à 15 heures par semaine par per­sonne. C’est peut-être un peu plus ou un peu moins ; il fau­drait deman­der à des éco­no­mistes de faire une esti­ma­tion pré­cise. On ne peut pas obli­ger, comme aujourd’hui, les gens à tra­vailler si le tra­vail n’existe pas — dans la socié­té telle que je l’imagine, la ques­tion ne se pose­ra plus ainsi.

Par Stéphane Burlot, pour Ballast

Un élé­ment peut sur­prendre : vous par­lez d’une coopé­ra­tion entre tra­vailleurs et patrons, mais jamais d’autogestion ni d’abolition de la fonc­tion patronale.

C’est vrai. J’aborde tel­le­ment de sujets que je n’ai sin­cè­re­ment pas la pré­ten­tion de pou­voir tout cou­vrir ni de pro­po­ser la solu­tion miracle pour cha­cun d’entre eux. Je me contente par­fois de pistes et votre réflexion est per­ti­nente. Utopia est un livre casse-gueule. Le défaut que je lui trouve, c’est, para­doxa­le­ment, sa taille [plus de 500 pages, ndlr]. Je le dis sans rire : il m’aurait fal­lu 20 ans de tra­vail des­sus, comme Marx — auquel je ne me com­pare évi­dem­ment pas — l’a fait avec Le Capital. Mais je n’avais pas cette pré­ten­tion et j’étais tenu par un sen­ti­ment d’urgence. Je vou­lais poser ces pistes dans le débat public. L’autogestion pose tou­te­fois ce pro­blème : tout le monde ne sou­haite pas être ges­tion­naire ni acteur au sein d’une entre­prise ou d’un col­lec­tif. Et je le res­pecte. Tout le monde ne désire pas prendre part aux affaires publiques ni s’intéresser à la poli­tique. Une socié­té de 15 heures de tra­vail heb­do­ma­daire per­met­tra de déve­lop­per le désir d’autonomie et de conscien­ti­sa­tion de cha­cun, mais il res­te­ra des gens qui ne vou­dront pas s’embêter avec les prises de déci­sion. Une entre­prise, si l’on ima­gine des salaires uniques (cha­cun par­ti­cipe à la même socié­té, cha­cun est, à son poste, pareille­ment utile à tous, qu’il soit méde­cin ou ouvrier : si per­sonne ne fabrique les routes, aucune ambu­lance ne pour­ra les emprun­ter pour ame­ner le citoyen bles­sé auprès d’un chi­rur­gien), peut fonc­tion­ner sur un prin­cipe coopé­ra­tif tout en main­te­nant une cer­taine ver­ti­ca­li­té. Si le patron n’est plus moti­vé par l’appât du gain, comme il l’est aujourd’hui, puisque le gain est par­ta­gé, tout chan­ge­ra. Tous les points que j’aborde doivent être pris ensemble, et non indé­pen­dam­ment. C’est parce qu’on aura du temps libre qu’on aura le cou­rage, ren­tré chez soi, de s’intéresser à l’actualité — après une jour­née de fou, per­sonne ne lit Le Monde diplo quand il doit déjà faire le ménage et pré­pa­rer le dîner pour ses enfants. On veut regar­der la télé pour se vider la tête. Mais si on reçoit un salaire décent pour un tra­vail dans lequel on est recon­nu, si on a du temps libre, on peut deve­nir un citoyen impli­qué. Si le vote devient enfin un moyen de peser dans les déci­sions qui sont prises dans le pays, alors les gens auront envie de voter.

Ce n’est donc pas tant le suf­frage uni­ver­sel en tant que tel que vous cri­ti­quez que la façon dont il est mis en œuvre aujourd’hui ?

« Macron, comme Aristote, consi­dère qu’il y a des gens qui sont faits pour réus­sir et d’autres non. Macron estime qu’il y a des gens qui sont faits, comme disait Bertrand Russell, pour bou­ger de la matière et d’autres qui les commandent. »

Absolument. Je rejette le sys­tème élec­to­ral actuel, qui ne m’apparaît que faus­se­ment démo­cra­tique, mais je suis extrê­me­ment favo­rable au prin­cipe du vote et sou­haite l’implication du plus grand nombre dans les déci­sions col­lec­tives. Je pro­pose jus­te­ment dif­fé­rentes manières pour per­mettre à cha­cun d’être véri­ta­ble­ment citoyen — ce que nous ne sommes pas vrai­ment aujourd’hui. Prenez de nos jours des sujets comme le nucléaire, la cor­ri­da et la chasse : au regard des son­dages, la grande majo­ri­té des Français se pro­nonce pour l’abolition de la cor­ri­da et aspire à une réforme de la chasse. Nous sommes dans un déni de démo­cra­tie. Le nucléaire n’est jamais dis­cu­té par les gou­ver­ne­ments : ils se contentent de déci­der pour les citoyens. Pourquoi, sur le dos­sier de Notre-Dame-des-Landes, doit-on accep­ter que des tech­no­crates décident à notre place ? Pourquoi un mec comme Emmanuel Macron — élu dans des cir­cons­tances hasar­deuses — doit-il être le seul à tran­cher ? L’injonction néo­li­bé­rale des années 1980 et l’effondrement du com­mu­nisme ont balayé l’utopie. C’est amu­sant de voir que cette notion, née il y a exac­te­ment 500 ans, est reve­nue pen­dant que je pré­pa­rais ce livre via un débat à pro­pos de la « gauche uto­pique », celle de Hamon, et de la « gauche réa­liste », celle de Valls. 40 ans de néo­li­bé­ra­lisme, c’est une phase extrê­me­ment courte de l’histoire de l’espèce humaine : nous ne sommes pas arri­vés au temps de son effon­dre­ment ; il s’accroche et crée les condi­tions de sa sur­vie. D’où l’accélération de la concen­tra­tion des richesses et de l’augmentation des inéga­li­tés. Nous vivons encore dans une socié­té de maîtres et d’esclaves. Le cadre a chan­gé, il est seule­ment deve­nu plus soyeux. La liber­té — le contraire de la ser­vi­tude, donc — passe par le fait de choi­sir sa vie : qui le peut vrai­ment ? Combien d’entre nous doivent encore répondre à des ordres stu­pides qu’ils réprouvent ? Combien jouissent de capa­ci­tés de déci­sion et de déve­lop­pe­ment qui leur sont propres ? Macron, comme Aristote, consi­dère qu’il y a des gens qui sont faits pour « réus­sir » et d’autres non. Macron estime qu’il y a des gens qui sont faits, comme disait Bertrand Russell, pour « bou­ger de la matière » et d’autres qui les commandent.

Vous par­lez d’effondrement : le capi­ta­lisme pour­rait donc disparaître ?

J’en suis sûr. J’ignore seule­ment com­ment les choses se pas­se­ront. L’humanité a tou­jours fonc­tion­né par crises — l’atrocité de la Seconde Guerre mon­diale a débou­ché sur le CNR et une période de déve­lop­pe­ment inédite. J’ignore l’événement qui condui­ra à la pro­chaine ère de déve­lop­pe­ment moral : j’ai du mal à croire que l’humain soit assez sage pour créer les condi­tions d’une tran­si­tion douce. Je peux me trom­per, mais je suis très pes­si­miste. Je redoute une ou plu­sieurs crises majeures et conco­mi­tantes, qui pro­dui­ront un bou­le­ver­se­ment civi­li­sa­tion­nel. Je ne crois pas, comme Onfray, qu’il faille pen­ser cette muta­tion en termes de démo­gra­phie et de mou­ve­ments de popu­la­tion : en gros, les musul­mans s’emparant, par le nombre, de l’Europe judéo-chré­tienne. C’est un rai­son­ne­ment très sim­pliste. Le réchauf­fe­ment cli­ma­tique va, dans les pro­chaines décen­nies, engen­drer une grande quan­ti­té de réfu­giés et la pol­lu­tion va s’accentuer de manière consi­dé­rable d’ici 50 ans. Nos réponses sont sous-dimen­sion­nées, alors que les scien­ti­fiques parlent d’une aug­men­ta­tion de 3 à 4 degrés Celsius d’ici la fin du siècle : mon­tée des eaux, séche­resse… Des phé­no­mènes extrê­me­ment des­truc­teurs. On peut éga­le­ment entre­voir de grandes crises sani­taires (un virus, comme la peste au XIVe siècle). De ces pics de bar­ba­rie naissent his­to­ri­que­ment l’amélioration des condi­tions de la coopé­ra­tion — malheureusement.

Par Stéphane Burlot, pour Ballast

Revenons sur votre pro­po­si­tion, qui a éton­né des com­men­ta­teurs publics autant que des per­sonnes de notre rédac­tion : le per­mis de voter ! Le phi­lo­sophe Jacques Rancière pense, lui, la démo­cra­tie comme « la recon­nais­sance du pou­voir de n’importe qui ».

Le per­mis de voter est déjà acté, pour­tant : per­sonne ne peut voter avant 18 ans, en France. La légis­la­tion consi­dère que le seul fait d’être un humain ne suf­fit pas à légi­ti­mer une prise de posi­tion citoyenne par le biais des urnes. L’âge, défi­ni ici de manière arbi­traire, est posé comme un cri­tère, celui de la matu­ri­té. Nous consi­dé­rons donc déjà que tous les citoyens ne peuvent pas voter et qu’il faut que ceux-ci aient un mini­mum de capa­ci­tés de juge­ment pour y être auto­ri­sés. Seulement, nous fai­sons fausse route en consi­dé­rant que c’est l’âge et lui seul qui doit être le cri­tère d’autorisation. Il y a en effet des hommes ou des femmes de 40 ans moins bien infor­més des enjeux poli­tiques que cer­tains jeunes de 14 ou 15 ans. Et le juge­ment de ces der­niers serait donc bien plus utile à la col­lec­ti­vi­té. Instaurer un per­mis de voter consis­te­rait à acter le fait que tout citoyen qui vote a une res­pon­sa­bi­li­té vis-à-vis de tous les autres, car sa voix va avoir une consé­quence sur leur vie. En ce sens, tout citoyen qui sou­haite prendre part à la vie col­lec­tive doit assu­mer cette res­pon­sa­bi­li­té en accep­tant de s’informer a mini­ma sur les acteurs et les enjeux des scru­tins aux­quels il par­ti­cipe. Imaginons un réfé­ren­dum sur le nucléaire. Si quelqu’un prend part au vote en igno­rant les consé­quences de la catas­trophe de Fukushima, s’il n’a jamais enten­du par­ler du coût réel du nucléaire en France en tenant compte des tra­vaux pour pro­lon­ger la vie des cen­trales ou pour les déman­te­ler, s’il ne connaît pas la pro­blé­ma­tique des déchets qu’on ne sait pas détruire et de leurs consé­quences sur la san­té humaine, alors son avis sera néfaste à l’intelligence du débat. Pire : il nui­ra aux citoyens qui auront fait l’effort de s’informer afin de prendre la meilleure déci­sion pour la col­lec­ti­vi­té. J’aimerais uni­que­ment que les citoyens dis­posent du maxi­mum d’éléments fac­tuels pour construire leur juge­ment avant d’aller voter et que tout un cha­cun sache, de manière rudi­men­taire, ce que sont les méca­nismes consti­tu­tion­nels qui orga­nisent leur quo­ti­dien. Il existe aujourd’hui une inéga­li­té de fait dans l’accession à l’information, donc à l’élaboration d’une opi­nion et c’est anti­dé­mo­cra­tique. Quand on gagne 800 euros par mois et qu’on vit dans un quar­tier où on risque de se faire agres­ser en sor­tant de chez soi, le rap­port au réel n’est pas le même que pour celui qui vit avec 5 000 euros dans une zone pavillon­naire tranquille.

Vous insis­tez beau­coup sur la néces­si­té d’apprendre, d’acquérir des connais­sances. Mais en quoi être culti­vé amé­liore-t-il l’Homme ? Personne ne peut démon­trer qu’il existe un lien quel­conque entre le savoir et la moralité !

« Si les Français n’étaient plus otages de ces poli­ti­ciens, qui tra­ves­tissent les faits pour mieux ser­vir leur pou­voir per­son­nel, et s’ils étaient au fait de toutes les don­nées réelles, le vote FN serait autre­ment plus bas. »

C’est une condi­tion néces­saire, mais pas suf­fi­sante. Vous me dites qu’on peut être un citoyen utile, sage, bien­veillant à l’endroit d’autrui tout en ayant des connais­sances très limi­tées — et vous avez rai­son. Ce citoyen — appe­lons-le « posi­tif » — éclaire par sa seule pré­sence le groupe. Il est por­teur de « bien », du fait de son com­por­te­ment quo­ti­dien et non de son savoir. Mais dès lors que ce citoyen est ame­né à se pro­non­cer entre plu­sieurs can­di­dats dans le cadre d’un pro­ces­sus élec­to­ral, que valent sa décence ordi­naire et sa sym­pa­thie spon­ta­née ? En quoi son avis importe-t-il à la col­lec­ti­vi­té s’il n’a pas pris la mesure des enjeux, des pro­grammes et des sujets sur les­quels il est ame­né à se pro­non­cer pour tous ?

Vous éta­blis­sez une cor­ré­la­tion entre « l’ignorance » et le vote FN : quand on dis­cute avec un élec­teur fron­tiste lamb­da, il sait pour­tant très bien pour­quoi il vote. Il sait ce qui lui parle, le porte, le mobi­lise — quand bien même il igno­re­rait tout des tra­di­tions idéologiques.

On a tous enten­du un jour un élec­teur FN par­ler d’« inva­sion », par exemple. Ce seul argu­ment ne résiste pour­tant pas à l’épreuve de l’analyse. Les études dis­po­nibles indiquent toutes que la France est le pays qui accepte le moins d’immigrés, en Europe, ou que l’immigration rap­porte plus qu’elle ne coûte.

Vous pen­sez qu’un élec­teur FN ayant lu ces rap­ports serait ame­né à chan­ger son vote ?

Absolument. Dans le sys­tème que je conçois, plus aucun poli­ti­cien pro­fes­sion­nel ne sera en place et per­sonne n’aura inté­rêt à se pré­sen­ter. Je vais pas­ser pour un popu­liste en vous disant ceci, qui relève pour­tant de l’évidence : n’importe quel poli­ti­cien est à l’heure qu’il est obsé­dé par sa fonc­tion. Si les Français n’étaient plus otages de ces poli­ti­ciens, qui tra­ves­tissent les faits pour mieux ser­vir leur pou­voir per­son­nel, et s’ils étaient au fait de toutes les don­nées réelles (notam­ment en matière d’immigration), le vote FN serait autre­ment plus bas.

Imaginons deux courbes. Celle du vote FN depuis les années 1980 et celle de l’accès à Internet dans les foyers fran­çais : le pre­mier n’a fait que grim­per, en même temps que le second. La démo­cra­ti­sa­tion du savoir n’est pas pro­por­tion­nelle, ici, avec l’émancipation politique.

L’extrême droite a mas­si­ve­ment inves­ti Internet, bien avant la gauche. Internet — que j’adore, comme outil — a au contraire per­mis de relayer quan­ti­té d’informations fausses : sou­ve­nez-vous des mon­tages autour de la pré­ten­due « théo­rie » du genre !

Par Stéphane Burlot, pour Ballast

Vous savez bien qu’avec une telle pro­po­si­tion — un per­mis de voter —, vous serez taxé d’être un aris­to­crate, fût-il socialiste !

C’est exac­te­ment le contraire. Tout un pan poli­tique, gauche com­prise, méprise le peuple en pos­tu­lant qu’il n’a pas les capa­ci­tés de réflé­chir. Voltaire ne disait pas autre chose. Pourtant, tout le monde peut réflé­chir et appor­ter un avis inté­res­sant au débat, voi­là ce que je dis. Il faut sim­ple­ment don­ner à tous les citoyens les mêmes capa­ci­tés de se pro­non­cer sur tel ou tel sujet. Je suis obsé­dé par l’idée de res­pon­sa­bi­li­té : tout indi­vi­du engage le col­lec­tif. On a tous, en tant que membres d’une com­mu­nau­té, un devoir à l’endroit des autres. Il faut étendre cette notion autant que faire se peut : être un citoyen nous oblige. On a des droits, et des devoirs. Ma voix a une influence sur la vie de tout un pays. La pro­po­si­tion que je for­mule per­met­trait de réha­bi­li­ter toute une par­tie du peuple, exclu à l’heure où nous par­lons des déci­sions politiques.

Mais les per­sonnes reca­lées à ce per­mis ne seraient-elles pas, majo­ri­tai­re­ment, issues des classes défavorisées ?

Le lien que sous-tend votre ques­tion, entre reve­nus et capi­tal cultu­rel, est socio­lo­gi­que­ment juste : toutes les études attestent que les classes les plus basses arrêtent d’étudier avant les autres. Un enfant d’ouvrier et un enfant de ban­quier ne sont pas logés à la même enseigne, sta­tis­ti­que­ment, on le sait. Mais il faut prendre cette mesure dans un cadre glo­bal : cette socié­té aura balayé tout ça. Dès lors que cha­cun aura exac­te­ment la même pos­si­bi­li­té d’étudier, dans les mêmes condi­tions, l’accession au mini­mum requis pour voter et être un citoyen actif sera égale.

Thomas More conce­vait son uto­pie dans un espace fer­mé : une île. Est-il pos­sible d’imaginer une socié­té éman­ci­pée dans un ter­ri­toire sans contours ?

Une uto­pie pen­sée en cir­cuit fer­mé me paraît vouée à l’échec, à l’isolement ou au tota­li­ta­risme. Le des­tin de l’humanité est de se regrou­per — c’est le sens de l’altermondialisme. Les fron­tières admi­nis­tra­tives res­te­ront mais je suis per­sua­dé que l’humanité par­vien­dra, un jour, à se pen­ser glo­ba­le­ment et à tra­vailler à son des­tin. Les uni­ver­sa­listes sont beau­coup plus nom­breux qu’on ne le croit !

Pour finir : laquelle de vos mesures, si toute « uto­pie » échoue, ver­ra-t-on néan­moins appli­quée de notre vivant ?

(il réflé­chit) L’abolition de l’exploitation ani­male sera décré­tée, c’est cer­tain, mais il fau­dra encore du temps. Je vous réponds donc la dimi­nu­tion signi­fi­ca­tive du temps de travail.


Photographies de ban­nière et de vignette : Stéphane Burlot, pour Ballast


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REBONDS

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