Associations : faire face à l’offensive des entrepreneurs sociaux

24 mai 2016


Texte inédit pour le site de Ballast

Depuis quelques années, entre­prises, écoles de com­merce, étu­diants et médias chantent les louanges de l’entrepreneuriat social. Ce modèle d’entreprise d’un nou­veau genre pro­met de résoudre les pro­blèmes du XXIe siècle sans, bien sûr, remettre en ques­tion le modèle éco­no­mique en place. Des plus sédui­sants au pre­mier abord, le dis­cours de l’entrepreneuriat social mérite pour­tant d’être repla­cé dans son contexte afin de mieux cer­ner les enjeux idéo­lo­giques et pra­tiques qu’il sou­lève. ☰ Par Pablo Sevilla


D’après un récent son­dage Ipsos, 50 % des étu­diants sou­haitent tra­vailler dans l’économie sociale et soli­daire (ESS). Ce sec­teur est né à la fin du XXe siècle du regrou­pe­ment par l’État de l’économie soli­daire et de l’économie sociale. Porteur d’une vision cri­tique des fon­de­ments de la socié­té capi­ta­liste, il réunit des struc­tures par­ta­geant des prin­cipes forts : gou­ver­nance démo­cra­tique, lucra­ti­vi­té limi­tée, ancrage ter­ri­to­rial, mobi­li­sa­tion citoyenne. On devrait donc se réjouir de l’engouement des jeunes en faveur de l’ESS, favo­ri­sé par l’essaimage d’associations telles qu’Enact’us dans les éta­blis­se­ments d’enseignement supé­rieur. Pourtant, l’apparition d’un nou­vel acteur, l’entrepreneuriat social, et son impor­tance gran­dis­sante — notam­ment dans le numé­rique — semble en passe d’annihiler le poten­tiel cri­tique du sec­teur. Par oppo­si­tion à l’ESS tra­di­tion­nel, ce modèle d’entreprises pos­tule qu’il n’existe aucune alter­na­tive à l’économie de mar­ché et que l’action sociale et envi­ron­ne­men­tale doit être sou­mise, pour être effi­cace, à des exi­gences de lucra­ti­vi­té et de concurrence.

« Une telle situa­tion met en péril les struc­tures de l’ESS, au pre­mier rang des­quelles on retrouve les associations. »

Avec l’aide de la loi Hamon, qui a élar­gi la pos­si­bi­li­té d’intégrer ces entre­prises à l’ESS, il n’est plus rare de voir le sec­teur réduit à l’entrepreneuriat social. Le dis­cours por­té par les entre­pre­neurs sociaux tend dès lors à appa­raître comme repré­sen­ta­tif de la vision por­tée par les acteurs du sec­teur. Une telle situa­tion, due autant au flou entou­rant la per­cep­tion de l’ESS qu’à la béa­ti­tude des jour­na­listes devant le mou­ve­ment de l’entrepreneuriat social, met aujourd’hui en péril les struc­tures de l’ESS — au pre­mier rang des­quelles on retrouve les asso­cia­tions, déjà dure­ment tou­chées par la crise.

Une tentative de moralisation du capitalisme

Cinq minutes dans l’Atelier de l’ESS, à Paris (un centre de res­sources sur l’ESS), suf­fisent à com­prendre de quel côté penche la balance du sec­teur et quels modèles sont pri­vi­lé­giés par les ins­ti­tu­tions. « Entreprenez autre­ment », « Devenez entre­pre­neur du chan­ge­ment », « Créez votre entre­prise res­pon­sable »… On pour­rait se croire à un salon de la French Tech [label décer­né aux éco­sys­tèmes de star­tups dyna­miques, ndlr]. À écou­ter les acteurs majeurs de l’entrepreneuriat social, on com­prend faci­le­ment com­ment cette hégé­mo­nie cultu­relle a pu se mettre en place en si peu de temps. Maîtrisant par­fai­te­ment les codes de la com­mu­ni­ca­tion, capables de mettre en avant des indi­vi­dua­li­tés fortes aux par­cours excep­tion­nels, les entre­pre­neurs sociaux cultivent l’art du sto­ry-tel­ling : « Il a pré­fé­ré le social à la banque d’affaires », disent en sub­stance tous ces por­traits d’entrepreneurs qui s’affirment volon­tiers idéa­listes, mais savent res­ter prag­ma­tiques, à l’image de Nicolas Hazard, PDG du Comptoir de l’innovation et véri­table idéal-type de l’entrepreneur social. Ce prag­ma­tisme se tra­duit sou­vent par des col­la­bo­ra­tions auda­cieuses. Le Comptoir de l’Innovation est ain­si en par­tie finan­cé par la banque d’affaires JP Morgan, connue pour ses impli­ca­tions dans de nom­breux scan­dales finan­ciers. Dans les par­te­naires finan­ciers d’Ashoka France, pilier de l’entrepreneuriat social très lié au cabi­net de conseil McKinsey, on retrouve des fon­da­tions de grandes entre­prises (BEL, L’Occitane, Fondation Bettencourt) ain­si que des mul­ti­na­tio­nales (SEB, Rothschild, McCain, Veolia).

(Ewelina Karpowiak)

Si l’argent des grandes entre­prises n’a pas d’odeur, ce n’est pas le cas de l’argent public. Les entre­pre­neurs sociaux sont for­mels en ce qui concerne ce der­nier : « Pas ques­tion pour les entre­pre­neurs sociaux d’être dépen­dants des pou­voirs publics. La volon­té de pou­voir conser­ver son indé­pen­dance est cru­ciale. » Lorsqu’Arnaud Mourot, pré­sident d’Ashoka France, pré­sente sa vision de l’avenir de la lutte contre la pau­vre­té, l’État n’est même pas cité comme acteur de ce com­bat. Et c’est là un des gages sup­plé­men­taires du suc­cès des entre­pre­neurs sociaux : en niant la légi­ti­mi­té du finan­ce­ment public, ils s’insèrent par­fai­te­ment dans les poli­tiques d’austérité mises en place depuis des décen­nies. À l’opposé des asso­cia­tions, sub­ven­tion­nées donc peu effi­caces, les entre­pre­neurs sociaux se pré­sentent comme la com­po­sante « pro­fes­sion­na­li­sée » de l’ESS. La pro­fes­sion­na­li­sa­tion signi­fie l’application des méthodes de ges­tion du pri­vé, méthodes dont les dégâts sur un sec­teur aus­si impor­tant que celui de la san­té sont désor­mais bien connus.

« En niant la légi­ti­mi­té du finan­ce­ment public, les entre­pre­neurs sociaux s’insèrent par­fai­te­ment dans les poli­tiques d’austérité. »

Les cri­tiques que l’on pour­rait adres­ser aux entre­pre­neurs sociaux ne sau­raient les tou­cher, tant ils se veulent ancrés dans la « réa­li­té » et dans la recherche d’efficacité. Que les outils du pri­vé soient le fruit d’une cer­taine vision du monde ne leur pose pas de pro­blème. En effet, dans leur dis­cours volon­ta­riste, toute action est intrin­sè­que­ment bonne, et toute cri­tique théo­rique relé­guée au rang de cha­ra­bia idéo­lo­gique. Or, à entendre les entre­pre­neurs sociaux, on com­prend aisé­ment qu’ils s’inscrivent eux-mêmes dans un cou­rant idéo­lo­gique : le néo­li­bé­ra­lisme1. On retrouve chez eux l’ensemble des élé­ments de cette théo­rie : pri­mau­té des obli­ga­tions sur les droits, vision « entre­pre­neu­riale » de l’individu, res­tric­tion du rôle de l’État, « mana­gé­ria­lisme », exten­sion du prin­cipe de concur­rence à l’ensemble des aspects de la vie. Par l’ampleur de ses impli­ca­tions, le néo­li­bé­ra­lisme s’affirme comme un pro­jet poli­tique autant qu’économique. Dans ce pro­jet, le social busi­ness joue un rôle de mora­li­sa­tion et de relé­gi­ti­ma­tion d’un capi­ta­lisme affai­bli par la crise2. En contra­dic­tion avec les valeurs por­tées par le sec­teur, le dis­cours des entre­pre­neurs sociaux sonne comme un véri­table requiem pour l’économie sociale et soli­daire — en par­ti­cu­lier pour les associations.

Entre conflits et connivences

L’unité fac­tice que semble indi­quer la réunion des acteurs asso­cia­tifs et des entre­prises sociales au sein d’un même ensemble, l’ESS, dis­si­mule l’hostilité du dis­cours entre­pre­neu­rial envers les asso­cia­tions. Ces deux acteurs ne repré­sentent pas deux approches de l’action « sociale » qui pour­raient coha­bi­ter. La légi­ti­mi­té même du modèle asso­cia­tif est constam­ment niée à chaque ligne du dis­cours des entre­pre­neurs sociaux : inef­fi­caces, dépen­dantes des pou­voirs publics, para­ly­sées par l’idéologie — pour ces der­niers, les asso­ciés sont le pas­sé et sont donc voués à mou­rir. Jean-Marc Borello, pré­sident du groupe SOS, géant de l’entrepreneuriat social, aime ain­si à répé­ter que « dans 10 ans, il y aura 10 fois moins d’associations en France ». Avec de tels amis, le sec­teur asso­cia­tif n’a pas besoin d’ennemis. La situa­tion est d’autant plus périlleuse que le dis­cours de l’entrepreneuriat social triomphe au moment même où les asso­cia­tions tra­versent une situa­tion dif­fi­cile, affec­tées qu’elles sont par les poli­tiques d’austérité et le pas­sage d’une culture de moyens à une culture de résul­tats au sein des col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales. Les pou­voirs publics, déjà trans­for­més par les réformes liées au New Public Management, les poussent à adop­ter les modes de fonc­tion­ne­ment du pri­vé et à intro­duire le mécé­nat d’entreprise dans leur financement.

(Ewelina Karpowiak)

Dès lors, la fron­tière entre asso­cia­tion et entre­prise sociale peut deve­nir poreuse. Un cer­tain nombre d’associations se sont ain­si tota­le­ment conver­ties au dis­cours de l’entrepreneuriat social et peuvent de fac­to être assi­mi­lées à la caté­go­rie « entre­pre­neu­riat social ». On note­ra ain­si qu’une grande par­tie des « fel­lows3 » d’Ashoka France sont des asso­cia­tions, par­fois sub­ven­tion­nées, par­fois finan­cées par les aides à l’insertion, ou tra­vaillant étroi­te­ment avec les col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales. Ceci n’invalide en rien les remarques pré­cé­dentes, et ces contra­dic­tions entre dis­cours idéo­lo­gique et pra­tiques concrètes est une constante du néo­li­bé­ra­lisme — le sau­ve­tage des banques par les États en 2008 en est un exemple par­fait. Le cli­vage qui est en train de se créer au sein du sec­teur asso­cia­tif appa­raît très clai­re­ment dans le débat sur les Social Impact Bonds4, dont l’ex­pé­ri­men­ta­tion en France sous le nom de « contrats à impact social » a débu­té récem­ment. Un cer­tain nombre d’associations s’y opposent fon­da­men­ta­le­ment. Le Collectif des asso­cia­tions citoyennes a, par exemple, récem­ment publié une tri­bune dans Le Monde pour aler­ter sur le dan­ger qu’induirait une finan­cia­ri­sa­tion de l’activité des asso­cia­tions. En revanche, Hugues Sibille, pré­sident du Labo de l’ESS, y est favo­rable et voit dans ces titres une oppor­tu­ni­té pour le secteur.

« Ici, comme à chaque fois que l’on nous pré­sente une évo­lu­tion comme un pro­grès, il convient de se deman­der : que ris­quons-nous de perdre ? »

On assiste donc à un conflit pro­fond au sein de l’ESS, entre des asso­cia­tions et entre­prises sociales qui sou­haitent pous­ser le sec­teur à se moder­ni­ser à marche for­cée et des asso­cia­tions qui défendent leur iden­ti­té et leur héri­tage his­to­rique ; entre une vision dépo­li­ti­sée de l’ESS et cette « ESS de com­bat » qu’appelaient de leurs vœux deux acteurs du sec­teur. En dépit des conni­vences avec cer­taines asso­cia­tions, il n’en reste pas moins que le triomphe de l’entrepreneuriat social risque fort de mettre fin au pro­jet asso­cia­tion­niste. Dans l’état actuel des choses, il est dou­teux que le modèle asso­cia­tif sur­vive à ces assauts idéo­lo­giques, ou alors dans une confi­gu­ra­tion qui n’aura que peu à voir avec l’identité asso­cia­tive et l’ESS en géné­ral. Ici, comme à chaque fois que l’on nous pré­sente une évo­lu­tion comme un pro­grès, il convient de se deman­der : que ris­quons-nous de perdre ? Les entre­prises sociales ne sont pas une ver­sion amé­lio­rée des asso­cia­tions ou des coopé­ra­tives, mais pro­meuvent une vision du monde bien par­ti­cu­lière. Alors, pour­quoi défendre les acteurs his­to­riques de l’ESS aujourd’hui ?

Un secteur « a‑capitaliste » en danger

Comme l’explique Jean-Louis Laville, l’associationnisme soli­daire, né au début du XIXe siècle, « fait irrup­tion pour récla­mer une exten­sion de la démo­cra­tie incluant le domaine éco­no­mique et social5 ». Les asso­cia­tions et coopé­ra­tives, conquêtes ouvrières récentes, appa­raissent alors comme de véri­tables ter­rains d’expérimentation démo­cra­tique. À l’opposé de la vision phi­lan­thro­pique qui s’impose dans la deuxième moi­tié du XIXe siècle et qui influence aujourd’hui l’entrepreneuriat social, l’associationnisme lutte avant tout pour l’égalité et la démo­cra­tie. Quand l’entrepreneuriat social se construit sur une vision dépo­li­ti­sée de la socié­té, en igno­rant les rela­tions de pou­voir et de domi­na­tion, l’économie sociale et soli­daire se carac­té­rise par sa « capa­ci­té à inter­ro­ger les concep­tions domi­nantes du poli­tique et de l’économie6 ». Si les asso­cia­tions peuvent avoir des acti­vi­tés éco­no­miques, elles sont néces­sai­re­ment non lucra­tives. La pos­si­bi­li­té d’in­té­grer le béné­vo­lat per­met une connexion constante avec la socié­té civile. Ces carac­té­ris­tiques font d’elles de véri­tables outils démo­cra­tiques à la por­tée des citoyens, au moyen des­quels ces der­niers peuvent inves­tir de nou­velles formes de pro­duc­tion, d’é­change ou de consom­ma­tion. Les res­sour­ce­ries, par exemple, ques­tionnent autant les pro­ces­sus indus­triels de trai­te­ment des déchets que la notion même de « déchet » ou que nos modes de consom­ma­tion, en pro­po­sant une alter­na­tive locale, soli­daire et émancipatrice.

(Ewelina Karpowiak)

Si les coopé­ra­tives sont sou­mises aux règles du mar­ché capi­ta­liste comme n’im­porte quelle entre­prise, elles sont « a‑capitalistes »7, dans la mesure où leur mode de gou­ver­nance démo­cra­tique limite la pos­si­bi­li­té d’ac­cu­mu­la­tion du pro­fit et inter­dit la rému­né­ra­tion d’ac­tion­naires. En moyenne, entre 40 % et 50 % des excé­dents qu’elles réa­lisent sont mis en réserve, le reste étant redis­tri­bué entre les sala­riés de la coopé­ra­tive. L’hégémonie de l’entrepreneuriat social, fiè­re­ment dépo­li­ti­sé, est en train de chan­ger un sec­teur qui repo­sait sur le par­tage de valeurs fortes. Elle contri­bue à y réduire désor­mais l’en­ga­ge­ment social à une décla­ra­tion de prin­cipes, faute d’ap­pli­ca­tion effec­tive dans les méthodes employées. Le social dis­pa­raît au pro­fit de l’impact social, notion tel­le­ment floue qu’on se demande quelle entre­prise ne pour­rait s’en reven­di­quer. En outre, au-delà de la vision por­tée par les acteurs, la qua­li­té des ser­vices pro­po­sés et la pos­si­bi­li­té pour cha­cun d’y accé­der peuvent être pro­fon­dé­ment affec­tées par le pas­sage à une vision entre­pre­neu­riale. L’évolution des ser­vices à la per­sonne8 est exem­plaire des risques de nivel­le­ment induits par l’introduction de logiques lucra­tives dans un secteur.

« Aucune trans­for­ma­tion sociale ou envi­ron­ne­men­tale d’ampleur ne sor­ti­ra de l’entrepreneuriat social. »

Jean-Louis Laville et Anne Salmon9 résument ain­si l’évolution de l’en­tre­pre­neu­riat social dans l’introduction de leur der­nier ouvrage : « Dans un pre­mier temps, l’argumentaire mobi­li­sé par les entre­prises consis­tait à valo­ri­ser leur pro­fes­sion­na­lisme qui per­met­trait d’éviter […] l’ama­teu­risme endé­mique des asso­cia­tions. Dans un deuxième temps, […] est mis en place un lob­bying des­ti­né à ouvrir les ser­vices, […] entraî­nant alors la concur­rence déloyale des asso­cia­tions qui est dénon­cée. […] Dans un troi­sième temps, […] est exi­gée la sol­va­bi­li­sa­tion des socié­tés com­mer­ciales par les avan­tages que leurs consentent les auto­ri­tés publiques […]. Le bilan après quelques années fait appa­raître une aug­men­ta­tion des inéga­li­tés d’accès aux ser­vices, les groupes lucra­tifs concen­trant leur offre dans les milieux urbains pour des ser­vices simples […] au détri­ment des zones rurales et de ser­vices plus com­pli­qués […]. »

Assumer la conflictualité, amorcer la lutte

Il est pro­bable qu’une grande part des étu­diants atti­rés par l’ESS ait décou­vert le sec­teur par le biais de l’entrepreneuriat social. En dehors des cli­vages tra­di­tion­nels, ils sont sou­vent dépo­li­ti­sés, aspirent à agir et se moquent bien de la pure­té idéo­lo­gique de leurs méthodes. C’est à cette géné­ra­tion, dont je fais par­tie, que cet article s’adresse, pour les aver­tir du piège que tend l’entrepreneuriat social à notre idéa­lisme. Aucune trans­for­ma­tion sociale ou envi­ron­ne­men­tale d’ampleur ne sor­ti­ra de l’entrepreneuriat social : rever­nir l’idéologie néo­li­bé­rale ne la rend pas moins néfaste. Comment croire à une refonte du sys­tème lorsqu’elle est opé­rée par des acteurs qui épousent sa logique ? Quelles réflexions sur la crois­sance, le pro­duc­ti­visme, le tra­vail, la démo­cra­tie, le pou­voir per­met un modèle qui se targue de ne pas remettre en ques­tion les fon­de­ments du capi­ta­lisme ? La réno­va­tion de l’ESS que nous pro­mettent les entre­pre­neurs sociaux est un leurre qui menace les par­ti­cu­la­ri­tés d’un sec­teur qui pro­po­sait jusqu’ici des alter­na­tives réelles. Alors que l’arrivée en France des « contrats à impact social » lancent le signal de départ vers une libé­ra­li­sa­tion tou­jours plus forte du sec­teur, il est, à l’inverse, essen­tiel d’investir les asso­cia­tions et coopé­ra­tives pour défendre ce que l’ESS peut être. Peut, parce qu’il ne s’agit pas de dire que les acteurs de l’ESS ont été jusqu’ici exem­plaires, mais de rap­pe­ler que les prin­cipes fon­da­teurs du sec­teur contiennent en eux les germes d’une éco­no­mie alter­na­tive — une éco­no­mie locale, non capi­ta­liste, encas­trée dans la socié­té10, démo­cra­tique et auto­ges­tion­naire. Un rap­pel que doivent éga­le­ment entendre les asso­cia­tions atti­rées par les sirènes de l’entrepreneuriat social. Si elles conti­nuent d’ignorer la conflic­tua­li­té à l’œuvre dans l’ESS et de consi­dé­rer les entre­pre­neurs sociaux comme des com­pa­gnons de route, nous assis­te­rons à une reprise de la fable du pot de terre et du pot de fer. Dans l’état actuel des choses, nous savons per­ti­nem­ment quel rôle sera alors dévo­lu aux associations.


Illustrations de ban­nière et de vignette : Ewelina Karpowiak


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  1. Pierre Dardot, Christian Laval, La Nouvelle Raison du Monde — Essai sur la socié­té néo­li­bé­rale, La Découverte, 2009.[]
  2. Jean-Louis Laville, Agir à gauche — L’économie sociale et soli­daire, Desclée de Brouwer, 2011.[]
  3. Entrepreneurs sociaux accom­pa­gnés par Ashoka.[]
  4. Il s’agit d’un mode par­ti­cu­lier de finan­ce­ment des asso­cia­tions. L’État fixe des objec­tifs liés à une mis­sion d’intérêt géné­ral. Un inter­mé­diaire pri­vé est char­gé de finan­cer la réa­li­sa­tion de cette mis­sion par une asso­cia­tion. Si les objec­tifs sont atteints, l’intermédiaire est rému­né­ré par l’État.[]
  5. Jean-Louis Laville, op. cit.[]
  6. Ibid.[]
  7. Jean-François Draperi, « Le pro­jet de l’ESS : fon­der une éco­no­mie Acapitaliste », Revue Mouvements, n° 81, 2015, pp. 38–50.[]
  8. Jean-Louis Laville et Marthe Nyssens, Les Services sociaux, entre asso­cia­tions, État et mar­chés, La Découverte / M.A.U.S.S / C.R.I.D.A, 2001.[]
  9. Jean-Louis Laville et Anne Salmon, Association et Action publique, Desclée de Brouwer, 2015.[]
  10. Karl Polanyi, La Grande Transformation, Gallimard, 1983.[]

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