Amandine Gay : « À qui réussit-on à parler ? »


Entretien inédit pour le site de Ballast

Vingt-quatre femmes à l’é­cran. Leur point com­mun ? Le fait d’être noires et nées en géo­gra­phies post-colo­niales. L’autrice du docu­men­taire Ouvrir la voix, Amandine Gay, laisse la part belle aux vécus sen­sibles, que le cer­veau col­lec­tif n’a jamais assu­mé autre­ment que par l’i­ma­gi­naire réduc­teur de la ban­lieue ou de l’im­mi­gra­tion. La réa­li­sa­trice invite à se réap­pro­prier la nar­ra­tion : quelle dis­tance avoir avec cette expé­rience mino­ri­taire, qui fait de filles de toutes confes­sions la cible de pré­ju­gés ? com­ment ont-elles eu accès à l’his­toire des colo­ni­sa­tions et de l’es­cla­vage ? quels seraient les mots pour don­ner vie et digni­té à une iden­ti­té com­plexe : Afro-péennes, afro-des­cen­dantes, afro-fémi­nistes ? Mais aus­si : com­ment évo­quer la dépres­sion ou l’a­mour dans les com­mu­nau­tés noires ? Ce « docu­men­taire-gué­rilla », qui ne reçut aucune sub­ven­tion, fait salle comble. Pour celles à qui il s’a­dresse en pre­mier lieu, ces femmes noires ayant gran­di en France ou en Belgique, il libé­re­ra la parole ; pour tous les autres, il rap­pel­le­ra que le racisme (comme le sexisme) est avant tout affaire de rap­ports de pri­vi­lèges, et que ce dés­équi­libre se niche dans abso­lu­ment tous les détails quo­ti­diens. Ancienne comé­dienne, nous connais­sions Amandine Gay comme mili­tante et l’a­vions redé­cou­verte dans la pré­face de l’ou­vrage Ne suis-je pas une femme ?, signé par l’une des pion­nières des études afro-fémi­nistes amé­ri­caines, bell hooks. La jeune femme, adop­tée par une famille fran­çaise, a fait le choix de l’exil au Canada afin d’y étu­dier les rela­tions entre adop­tion et colo­nia­lisme. Nous avons par­lé un long moment de sa vision à 360°. 


Les femmes qui témoignent dans votre film parlent toutes à par­tir d’une néga­tion de leur iden­ti­té ; il y a tou­te­fois quelque chose de très « uni­ver­sel » dans ce que l’on retient, une fois la pro­jec­tion ter­mi­née. Le réalisiez-vous ?

C’est un film qui vient après des dizaines d’années de réflexion sur les ques­tions colo­niales et les enjeux fémi­nistes. Le moment où j’ai vrai­ment com­men­cé à déco­lo­ni­ser mon esprit, c’est quand je me suis deman­dée à qui j’adressais ce film. J’ai réa­li­sé que je vou­lais sim­ple­ment par­ler à la jeune fille noire que j’étais, plus jeune. En dis­cu­tant avec des amis qui ont été socia­li­sés dans des endroits où être noir est la norme, je me suis aper­çu, à force d’être constam­ment dans la réac­tion face aux agres­sions racistes ou face à un sys­tème de domi­na­tion patriar­cal, qu’on était tou­jours cen­tré sur les Blancs, dans notre réflexion et dans notre manière de voir le monde. J’ai réa­li­sé que faire quelque chose qui puisse par­ler à cette jeune fille de 15 ans tou­che­rait tout le monde, et qu’il n’é­tait pas néces­saire d’être dans la confron­ta­tion. La confron­ta­tion aurait signi­fié que j’é­tais inca­pable de me pen­ser de façon auto­nome. Le film est construit en deux mou­ve­ments : la pre­mière par­tie ques­tionne notre place dans le monde blanc en tant que mino­ri­té dans une Europe fran­co­phone et post-colo­niale — c’est for­cé­ment impor­tant dans notre socia­li­sa­tion et nos construc­tions ; la seconde par­tie pose la ques­tion de com­ment ces femmes se conçoivent — com­ment se pro­jettent-elles dans l’idée de mater­ni­té, dans celle de trou­ver un lieu où vivre…. Comment fai­sons-nous pour atteindre notre uni­ver­sel à nous ? Car lorsque nous attei­gnons notre uni­ver­sel, il atteint celui de tout le monde. Dans une vision qui n’est pas raciste, l’expérience des femmes noires est aus­si uni­ver­selle que celle des hommes blancs.

« Lorsque nous attei­gnons notre uni­ver­sel, il atteint celui de tout le monde. Dans une vision qui n’est pas raciste, l’expérience des femmes noires est aus­si uni­ver­selle que celle des hommes blancs. »

En pré­pa­rant le film, j’ai vite com­pris que ce qui pre­nait beau­coup de place dans les témoi­gnages, c’était la frus­tra­tion due à la confis­ca­tion de la parole. Au-delà même du fait qu’elles étaient ren­dues invi­sibles, ce qui reve­nait, c’est qu’on par­lait tou­jours à leur place, que les films avec des Noir·es n’étaient réa­li­sés que par des Blanc·hes, ou que les « spé­cia­listes » connus sur ces sujets n’étaient pas concer­nés par ce vécu. Il y avait l’idée que nous sommes les experts de notre propre vie, même si nous ne pou­vons pas théo­ri­ser des­sus de manière socio­lo­gique. Le pre­mier titre que j’avais don­né était : Nous sommes la somme de nos dif­fé­rences. Suite à ces entre­tiens, le pro­jet s’est orien­té vers la réap­pro­pria­tion de la nar­ra­tion. Ne pas se lais­ser silen­cer. Le titre en a été influen­cé. Il y a éga­le­ment une dimen­sion poli­tique : l’idée qu’il faut pour­suivre ce qui a été ini­tié par d’autres en matière de droit. Quand cer­taines des filles évoquent les dis­cri­mi­na­tions subies lors de l’orientation sco­laire ou de l’accès au loge­ment, elles parlent d’une lutte concrète. Que nous puis­sions, aujourd’hui, aller à l’université pour réflé­chir à ces ques­tions, c’est grâce à celles qui se sont bat­tues avant. Cela n’au­rait pas été pos­sible sans les sœurs Paulette et Jeanne Nardal, par exemple. Il est impor­tant d’inscrire nos luttes dans une his­toire. Nous sommes une nou­velle géné­ra­tion qui a accès aux médias ; il y a mal­gré tout une démo­cra­ti­sa­tion de l’accès au ciné­ma et à la parole publique sur Internet, avec les blogs. Nous avons les moyens de docu­men­ter ce que nous fai­sons ce qui n’était pas pos­sible pour les géné­ra­tions pré­cé­dentes. Nous avons la pos­si­bi­li­té de conti­nuer ce che­min et de prendre notre place dans la société.

L’image du film est très belle : on se retrouve immer­gés dans les regards et dans les dif­fé­rents visages des inter­lo­cu­trices. En leur posant des ques­tions, vous occu­pez une place de cheffe d’orchestre qui per­met de bâtir un « nous » à par­tir des voix et des par­cours de femmes, toutes différentes…

Au tout début, j’avais l’idée de faire un « caba­ret colo­nial » avec une amie : on vou­lait reprendre toutes les chan­sons de l’époque colo­niale pour en faire un spec­tacle sati­rique. Puis j’ai pen­sé à un pro­gramme court qui se serait appe­lé « Vis ma vie de Noire ». Ce qui m’embêtait dans ces pre­mières pistes, c’est qu’il y avait tou­jours une dimen­sion humo­ris­tique, comme s’il fal­lait désa­mor­cer quelque chose, ne pas mettre mal à l’aise. Mais le racisme n’a rien de drôle… C’est une dis­cus­sion clai­re­ment désa­gréable pour tout le monde impor­tante à avoir. C’est la même chose dans le fémi­nisme ; cer­tains pensent qu’il y a un goût pour la vic­ti­mi­sa­tion, mais c’est le contraire : ce n’est pas agréable de s’avouer qu’on est du côté des per­dants. Au final, ce n’est pas un film qui est simple pour les Afro-des­cen­dant-e‑s… J’ai long­temps été frus­trée, dans mes tra­vaux, de ne pou­voir écrire de la fic­tion sans qu’on me refuse de mettre en scène des filles noires qui n’étaient pas sté­réo­ty­pées on me fai­sait réécrire mes scé­na­rios ! Puisque ce qui posait pro­blème était qu’on ne recon­nais­sait pas notre exis­tence en dehors des sté­réo­types que la socié­té blanche avait de nous, il me fal­lait com­men­cer par le com­men­ce­ment : faire un docu­men­taire. Par la suite, la pre­mière chose qu’on allait m’opposer allait être : « Oui, mais tu es une excep­tion, tu es la seule ! » Mais ça vou­lait dire quoi, « excep­tion » ? Être capable de par­ler, d’avoir fait des études ? Je le disais dans une autre inter­view : en France, on n’a pas le droit d’u­ti­li­ser des sta­tis­tiques eth­niques. Aux États-Unis, une étude a mon­tré que les femmes noires seraient aujourd’hui le groupe le plus ins­truit. Comment savoir si c’est le cas en France ? Ce n’est pas parce qu’on fait des jobs de merde qu’on n’a pas fait d’études !

[Maya Mihindou | Ballast]

J’ai moi-même une expé­rience aty­pique, étant une enfant adop­tée par une famille blanche de la cam­pagne fran­çaise. Il me fal­lait donc, dès le démar­rage du pro­jet, avoir des échanges avec des amies qui avaient gran­di dans des familles noires. Une fois mes inten­tions vali­dées par les filles inter­ro­gées, j’ai envi­sa­gé la forme d’une grande conver­sa­tion sur nos expé­riences. C’était le meilleur moyen de mon­trer que si nous avions en com­mun une expé­rience mino­ri­taire, elle était extrê­me­ment hété­ro­gène. J’ai pen­sé à me mettre en voix off pour relier toutes ces expé­riences et aus­si par­ler de la mienne. Mais en dé-rushant, ça fonc­tion­nait de manière auto­nome : les filles sont claires dans ce qu’elles disent. J’ai juste lais­sé ma voix, à des­sein, pour assu­mer qu’il s’agissait de conver­sa­tions tout à fait orien­tées. Mais j’ai tenu à pré­ci­ser : « Un film écrit et réa­li­sé par Amandine Gay » car c’est un pro­jet très écrit, en amont comme au mon­tage. Je ne suis pas du tout en accord avec l’illusion d’un « ciné­ma véri­té », ni avec le concept d’un « qua­trième mur » au théâtre. J’aime le théâtre où on fait mon­ter le public sur scène, et que l’artifice soit visible. C’est une sub­jec­ti­vi­té clai­re­ment reven­di­quée. Les filles qui sont dans le film ne sont pas for­cé­ment toutes d’accord entre elles, et je ne suis pas tou­jours en accord avec ce qu’elles disent ! D’ailleurs, je vou­lais ter­mi­ner le film sur « La France, on l’aime et on la quitte ». Mais au fil des entre­tiens, j’ai bien vu que la plu­part des filles avaient un atta­che­ment pour ce pays, qu’il n’était pas ques­tion pour elles de par­tir. Même si je suis par­tie de France, je ne pou­vais pas finir le film ain­si. L’objectif de mon film était aus­si d’avoir une démarche socio­lo­gique (donc en par­tant d’hy­po­thèses véri­fiables). À défaut d’objectivité, l’honnêteté et la rigueur que j’ai dans un tra­vail socio­lo­gique, je les ai appli­quées au docu­men­taire. Le film s’achève dès lors davan­tage sur : « Rester en France et se battre ».

En tant que per­sonne ayant été adop­tée, vous abor­dez la ques­tion de l’identité sous un angle total, à 360 degrés. Par où cette recherche a‑t-elle commencé ?

« Je me suis com­plè­te­ment recons­truit une iden­ti­té. Être noire, c’est aus­si appar­te­nir aux diasporas. »

La pre­mière iden­ti­té qui m’a été impo­sée est celle d’être une fille noire. En soi, s’il n’était pas néces­saire de se défi­nir, je ne le ferais pas. Quand je tra­vaille, je n’en ai pas tou­jours la néces­si­té. Je me décris, sur ma page, comme « afro-fémi­niste », mais aus­si « pan­sexuelle » ou « anti­ca­pi­ta­liste » : ce sont des pré­ci­sions pour ne pas qu’on vienne me déran­ger avec des théo­ries ou des pos­tures poli­tiques qui ne sont pas les miennes et ne m’intéressent pas, mais pour me situer tout de même dans un espace défi­ni. Car quand tu es une femme noire et poli­ti­sée, on peut vite t’associer à cer­tains cou­rants… Plus tard, j’ai eu le besoin de réadap­ter ces caté­go­ries. Je me suis com­plè­te­ment recons­truit une iden­ti­té. Être noire, c’est aus­si appar­te­nir aux dia­spo­ras. Dans mes recherches sur l’adoption, je tra­vaille la ques­tion de l’hybridité. J’ai orga­ni­sé une table ronde à Montréal, inti­tu­lée « Adoption et colo­nia­lisme : migra­tions for­cées, résis­tances, art et réac­cul­tu­ra­tion » : j’y racon­tais qu’en gran­dis­sant en tant qu’adopté‑e, on a ten­dance à se consi­dé­rer comme n’appartenant à aucun des deux mondes dont on est issu‑e. C’est un peu comme les per­sonnes métisses. Puis arrive un moment où, pour les per­son­na­li­tés créa­tives, cette chose-là devient une force1. De cet endroit qui n’est lié à aucun des deux mondes, j’ai une flui­di­té de cir­cu­la­tion et la pos­si­bi­li­té de m’inventer une iden­ti­té. Les adop­té-e‑s ont une dia­spo­ra propre, et de nom­breux points com­muns dans leur par­cours. Nous avons une expé­rience de la mino­ri­té ain­si qu’une connais­sance pré­cise et pro­fonde du monde blanc qui nous adopte. Ne connais­sant pas leurs ori­gines, cer­tain-e‑s font un tra­vail de recherche en allant dans leur pays de nais­sance ou, dans mon cas, en s’appropriant la culture noire (par le bas­ket ou la musique). Je me suis inté­res­sée aux lit­té­ra­tures et à tout ce que je pou­vais trou­ver pour infor­mer « ma » négri­tude. Mais c’est une construc­tion totale, c’est une inven­tion. Tout mon tra­vail part de cette conscience d’être au milieu. Et je peux me poser la ques­tion en ces termes : n’appartenant fina­le­ment à aucun de ces mondes, qu’est-ce que ça me donne comme regard inédit sur les socié­tés que je tra­verse ? C’est à par­tir de là que je parle.

On aborde peu la ques­tion des trau­ma­tismes inter­gé­né­ra­tion­nels en France, mais ce sont de vraies ques­tions — davan­tage évo­quées au Canada. Dès la fin du XIXe, il y avait des pen­sion­nats pour les popu­la­tions autoch­tones où l’on pla­çait des enfants indiens sor­tis de leurs familles ; ils étaient sou­vent mal­trai­tés. Ce sys­tème prit fin à un moment pour reprendre plus tard, entre les années 1950 et 1980 ; on parle du Sixties Scoop : on a récu­pé­ré, dans les réserves, des mil­liers d’enfants pour les pla­cer dans des foyers ou dans des familles blanches. Le bilan de cette his­toire, aujourd’hui, c’est que tu auras une sur­re­pré­sen­ta­tion, dans les ser­vices de pro­tec­tion de la jeu­nesse du Canada, d’enfants autoch­tones et d’enfants noirs (car il s’est pas­sé la même chose pour les com­mu­nau­tés noires). Ces jeunes-là, ça fait trois, quatre ou cinq géné­ra­tions qu’ils sont issus de famille qui ont été dépla­cées, puis sor­tis de leur com­mu­nau­té et cou­pés de leur langue et de leur reli­gion : évi­dem­ment, ce sont des popu­la­tions qui vont mal ! J’avais invi­té le poète Joshua Whitehead (qui n’a pas été adop­té), dont le grand-père a connu l’un de ces pen­sion­nats pour autoch­tones. Sa grand-mère avait été assas­si­née par un homme blanc (au Canada, on estime à des dizaines de mil­liers le nombre de femmes assas­si­nées et dis­pa­rues), ce qui engen­dra l’éclatement de la cel­lule fami­liale et le pla­ce­ment des enfants entre 1950 et 1960 : son père a donc été adop­té par des Polonais immi­grés. Tout le tra­vail d’artiste de Joshua — c’est un doc­to­rant et un poète qui fait du spo­ken word — ques­tionne la réap­pro­pria­tion de cette his­toire vio­lente. Quatre géné­ra­tions plus tard, tu es un autoch­tone avec un nom polo­nais : ce déra­ci­ne­ment force à faire du bri­co­lage, et c’est ce qui m’intéresse.

Ouvrir la voix

Ouvrir la voix est aus­si un dia­logue. Il a voca­tion à créer une dis­cus­sion sur ce qu’il se passe dans notre pays. Il ne s’a­dresse pas qu’aux Noir·es. Ma démarche était aus­si d’y abor­der des sujets qui peuvent être dif­fi­ciles dans les com­mu­nau­tés noires, notam­ment l’orientation sexuelle et la dépres­sion (tel­le­ment à l’image de la vision raciste qui consiste à faire croire que nous ne sommes pas comme les autres humains). Et on aurait des rai­sons d’être en dépression !

Afro-fémi­niste et queer. Quel maté­riau gar­dez-vous des théo­ries queers ?

La flui­di­té du genre est une pra­tique qui pré­date des colo­ni­sa­tions : j’ai donc un inté­rêt pour les théo­ries queer uni­que­ment quand je peux déve­lop­per une approche déco­lo­niale du genre, qui prend aus­si en compte mon his­toire. Exemple : l’identité « fem » dans laquelle je peux par­fois m’épanouir est une affir­ma­tion afro-fémi­niste ; je m’approprie et joue avec les codes d’une cer­taine fémi­ni­té dont les femmes noires (c’est lié à l’histoire de l’esclavage et des colo­ni­sa­tions) ont été pri­vées. Dans les théo­ries queer clas­siques, je ne peux pas trou­ver de récon­ci­lia­tion entre mon his­toire, mes ancrages poli­tiques et mon inti­mi­té. Donc je suis tou­jours dans les assem­blages, d’où l’a­fro-fémi­nisme et la mul­ti­pli­ci­té des cadres théo­riques. J’ai ten­dance à m’intéresser aux inter­sec­tions (entre cri­ti­cal race theo­ry, queer stu­dies, disa­bi­li­ty stu­dies, cultu­ral stu­dies) : mes réflexions fonc­tionnent plu­tôt par synthèse.

Vous avez pré­fa­cé Ne suis-je pas femme ?, de l’es­sayiste amé­ri­caine bell hooks. Dans un échange sur le sujet, vous rap­pe­liez que l’anglais fut pour vous (comme pour beau­coup de per­sonnes noires), « la langue de l’émancipation ». Pouvez-vous développer ?

« Il n’y avait pas de Noirs à la télé­vi­sion fran­çaise, si ce n’est des Afro-Américains. Je suis de la géné­ra­tion Michael Jackson et Whoopi Goldberg, qui fut la pre­mière femme noire que j’ai vue dans un film ! »

Je suis une enfant des années 1980 — époque où il n’y avait pas de Noirs à la télé­vi­sion fran­çaise, si ce n’est des Afro-Américains. Je suis de la géné­ra­tion Michael Jackson, Whitney Houston et Whoopi Goldberg, qui fut la pre­mière femme noire que j’ai vue dans un film ! De ce côté-ci de l’Atlantique, on mon­trait un monde où les Noirs avaient non seule­ment le droit d’exister, mais fai­saient des choses… nor­males. Ils pou­vaient jouer dans des films et être des artistes. Je vou­lais apprendre l’anglais pour avoir accès à cette culture. Quand j’ai eu huit ou neuf ans, une famille dont le père était bas­ket­teur pro­fes­sion­nel, noir amé­ri­cain, s’est ins­tal­lée dans mon péri­mètre. J’ai sou­dai­ne­ment eu une cama­rade métisse comme meilleure amie ! Je suis, plus tard, par­tie jouer au bas­ket à Bron ; je dor­mais beau­coup chez cette famille, me plon­geant dans leur uni­vers. C’était une chance de connaître un bas­ket­teur qui avait fait ses études aux États-Unis et était éveillé poli­ti­que­ment… À cette même période, j’écoutais le jazz de Gil Scott-Heron et fai­sais de la trom­pette. Cette famille m’a emme­née aux États-Unis, en immer­sion à Washington DC : j’ai décou­vert une autre expé­rience mino­ri­taire qui est l’expérience com­mu­nau­taire : se retrou­ver dans un quar­tier où l’on ne fré­quente que des Noirs, de diverses classes sociales ! Et, en même temps, faire face à cette spé­ci­fi­ci­té des États-Unis et à ses inéga­li­tés mons­trueuses. Je suis ren­trée très cho­quée mais jai gagné en fier­té, dans quelque chose de concret et quotidien.

Je me suis mise à lire en anglais : j’ai eu une pre­mière phase Black Panthers, Angela Davis, etc., j’avais 15 ans, je ne com­pre­nais pas tout. C’est lorsque j’ai com­men­cé mes études que je me suis mise à mieux les com­prendre. Plus jeune, j’étais dans un état d’esprit très assi­mi­la­tion­niste : j’avais été si cho­quée par le modèle amé­ri­cain et je les trou­vais racistes de ne pas se mélan­ger ; c’est à 18 ou 19 ans que j’ai mieux com­pris l’expérience com­mu­nau­taire. D’ailleurs, la pre­mière fois que j’ai vu Do the right thing de Spike Lee, j’ai détes­té, je ne l’ai pas com­pris. Je le trou­vais mani­chéen, je ne sai­sis­sais pas qu’on puisse com­men­cer avec Martin Luther King et finir sur Malcolm X. Il n’y avait donc pas de récon­ci­lia­tion pos­sible ? Et puis, deux ou trois ans après, je suis venue en Australie où je me suis liée d’amitié avec un Malaisien qui ado­rait le rock et le punk, comme moi ; on pas­sait notre temps à regar­der des films et à échan­ger de la musique. Il était per­sua­dé que j’aimais Spike Lee. Quand il a su que ce n’était pas le cas, il a insis­té pour que je regarde de nou­veau ses films. Je me suis fait toute sa fil­mo­gra­phie… L’anglais est donc la langue qui m’a per­mis de com­prendre ce qui m’arrivait : l’émancipation com­mence avec ça.

[Maya Mihindou | Ballast]

Vous avez un par­cours de trans­fuge et sem­blez avoir besoin d’éprouver les choses direc­te­ment pour les trans­mettre. Ayant tra­ver­sé à la fois un monde très ins­ti­tu­tion­nel (via Sciences-Po) et celui de l’art (par la comé­die et le bur­lesque), vous avez fina­le­ment choi­si l’outil docu­men­taire : pourquoi ?

Parce que je crois à l’éducation popu­laire, et que c’est l’outil poli­tique par excel­lence ! Les Américains ont tout com­pris avec Hollywood : pour domi­ner le monde, il faut expor­ter sa nar­ra­tion par­tout ! (rires) Je n’ai pas d’ambition impé­ria­liste, comme ce pays, mais j’apprécie la dimen­sion acces­sible du ciné­ma. Dans la pénombre et face à un grand écran, tu es obli­gé de t’immerger dans ce qu’on te pro­pose. Passer deux heures avec des femmes noires en gros plan et sous une lumière natu­relle, des femmes qui te racontent leur expé­rience sans tenir de pan­neau ni hur­ler « Le racisme c’est mal ! », ça ne laisse pas de place au débat. Tu pour­ras être en désac­cord sur la forme, mais ce sont deux heures où tu ne seras pas en train de cher­cher à for­mu­ler une réponse à faire à ces vingt-quatre filles qui parlent. C’est aus­si pour ça que le film est long : je t’épuise et te fatigue pour que tu puisses absor­ber les thé­ma­tiques qui sont les plus dif­fi­ciles, celles de la fin du film : c’était une stra­té­gie. À terme, on peut tous y apprendre quelque chose sur soi. Lors de la pro­jec­tion-test au Canada, les dis­cus­sions étaient cen­trées autour de l’esthétique du film. En France, tout le monde était foca­li­sé sur le fond.

« Mais la situa­tion ne chan­ge­ra pas si ces hommes ou ces femmes ne prennent pas conscience de leurs privilèges. »

Dans les thèses du Black femi­nism amé­ri­cain, mais aus­si chez Fanon ou Memmi, il est dit que la déshu­ma­ni­sa­tion de l’opprimé com­prend la déshu­ma­ni­sa­tion de l’oppresseur. Il fau­drait être capable de dia­lo­guer là-des­sus, de regar­der notre his­toire trau­ma­tique en com­mun et de cher­cher com­ment cela nous a déter­mi­nés. Évidemment que les consé­quences ne peuvent être les mêmes pour tous. On sait tous qu’il est plus avan­ta­geux d’être un homme blanc, cis­genre et valide qu’une migrante d’origine malienne. Mais la situa­tion ne chan­ge­ra pas si ces hommes ou ces femmes ne prennent pas conscience de leurs pri­vi­lèges. Et cela ne signi­fie pas qu’il faille deve­nir saint François d’Assise en déchi­rant son man­teau et en don­nant sa mai­son à une famille dans le besoin ! Mais sim­ple­ment en s’interrogeant, à son échelle. Par exemple, sur les poli­tiques de recru­te­ment dans son entre­prise : si tu es un patron, c’est quelque chose que tu peux faire. Vouloir plus d’égalité, c’est tou­jours aller plus loin. Le sys­tème des quo­tas amé­ri­cains peut être une solu­tion seule­ment s’il est accom­pa­gné de mesures qua­li­ta­tives et pro­gres­sives. La BBC a un pro­gramme inti­tu­lé les « BBC Targets » : tous les cinq ans, ils se donnent des objec­tifs à tous les niveaux de la chaîne, et pas seule­ment à l’écran : à la pro­duc­tion, à la tech­nique… Ils inter­rogent où ils en sont dans l’embauche des femmes ou des han­di­ca­pés. Ils se donnent des chiffres réa­listes à atteindre en cinq ans. S’ils y arrivent, ils montent les paliers, et s’ils ne les ont pas atteints, ils réflé­chissent aux rai­sons de cet échec. Lutter pour l’égalité n’est jamais conquis ou acquis. Les dis­cri­mi­na­tions sont dif­fi­ciles à com­prendre quand on n’y est pas direc­te­ment confron­té. Mais le prin­cipe de l’é­du­ca­tion c’est qu’une fois que tu as l’information, tu réagis avec bonne ou mau­vaise foi. Et c’est un vrai tra­vail sur l’ego.

Pour être encore à l’université et évo­luer dans divers milieux, je pense qu’on a besoin d’intellectuels et de mili­tants radi­caux qui per­met­tront de réflé­chir plus loin : des per­sonnes qui ont du temps, du recul et du calme pour for­mu­ler la socié­té autre­ment. bell hooks a fait une tri­lo­gie sur l’éducation qui est fan­tas­tique : dans Talking back, elle dit en intro­duc­tion qu’il faut s’interroger — déjà ! — sur l’échec des mou­ve­ments fémi­nistes qui n’ont pas réus­si à mobi­li­ser toutes les femmes sous leur ban­nière. Au-delà du racisme et du sexisme, le fait que Donald Trump soit pré­sident des États-Unis aujourd’hui, peut aus­si être obser­vé du point de vue d’un cer­tain échec des mou­ve­ments fémi­nistes et anti­ra­cistes. Nous vivons dans des pays où la majo­ri­té est blanche et où le pou­voir l’est tout autant. En tant que Noirs, il est impor­tant de décen­trer les Blancs de nos réflexions, mais si on n’arrive pas à atteindre cette majo­ri­té et à faire de la péda­go­gie, le résul­tat peut être catas­tro­phique. En même temps, la péda­go­gie a un coût à la fois moral et en termes de car­rière — coût que les Afro-descendant·es, qui subissent déjà les dis­cri­mi­na­tions, ne peuvent et ne veulent pas néces­sai­re­ment prendre en charge (à juste titre d’ailleurs), ayant d’autres urgences à gérer. Il est évident qu’il faut plus d’éducation des deux côtés. Il ne faut pas être dans la com­plai­sance, mais tou­jours se dire qu’il est pos­sible de faire mieux. Ouvrir la voix, est, dans ce cadre, une pro­po­si­tion forte et très assu­mée. Le film fera son che­min chez les spec­ta­teurs. On ne peut pas arri­ver après des cen­taines d’années de vio­lence colo­niale et espé­rer, après avoir dit trois ou quatre mots, que les gens se remet­tront en ques­tion et seront capables de chan­ger leur mode de fonc­tion­ne­ment. Un pas impor­tant dans mon par­cours a été de réa­li­ser que la véri­table limite, c’est l’intime. On pour­rait s’en foutre de ce que sont les autres. Mais quand je vois des gens qui, lors du vote pour le mariage gay, se sont oppo­sés à l’homosexualité de manière aus­si véhé­mente sans qu’elle n’ait pour autant d’im­pact concret sur leur vie, je m’in­ter­roge : qu’est-ce que ça vient ébran­ler chez vous qu’une per­sonne soit homo­sexuelle, ou noire ? C’est très visible concer­nant le regard por­té sur les femmes noires, ce mélange de désir et de haine à la fois.

[Maya Mihindou | Ballast]

À ce pro­pos : le débat public sur l’adoption par les couples de même sexe a‑t-il d’après vous été posé correctement ?

Non. Si on ne ques­tionne pas la paren­ta­li­té en géné­ral, poser la ques­tion de l’adoption par les couples homo­sexuels n’est qu’un ins­tru­ment de dis­cri­mi­na­tion signi­fiant qu’il n’y a qu’une seule qua­li­té essen­tielle pour être parents : la condi­tion hété­ro­sexuelle. C’est donc n’importe quoi. Il faut ana­ly­ser la paren­ta­li­té en géné­ral, puis on peut réflé­chir sur l’adoption ; mais quand on aborde le sujet de l’adoption, d’autres s’imposent. À mon sens, ce n’est pas la ques­tion de l’orientation sexuelle des parents qui importe le plus. Ce qui m’in­ter­roge davan­tage serait : qu’est-ce que cela implique de faire venir des enfants raci­sés dans des pays occi­den­taux où les parents (hété­ros ou homos) n’ont aucune for­ma­tion à la ques­tion raciale ? En Amérique du Nord, dans les ques­tions posées par les ser­vices sociaux, le fait d’adopter un enfant d’une autre culture est pris en consi­dé­ra­tion ; on pose d’emblée la ques­tion des enjeux (la récep­tion de la famille, du cercle élar­gi…). Des ques­tions qui sont peu ou pas abor­dées en France.

C’est un débat qui a été posé de manière très étroite… 

« Poser la ques­tion de l’adoption par les couples homo­sexuels n’est qu’un ins­tru­ment de dis­cri­mi­na­tion signi­fiant qu’il n’y a qu’une seule qua­li­té essen­tielle pour être parents : la condi­tion hétérosexuelle. »

Le pro­blème, en fait, est tou­jours la dif­fi­cul­té d’avoir des conver­sa­tions com­plexes. On ne réflé­chit pas, col­lec­ti­ve­ment, à la paren­ta­li­té ou aux droits des enfants comme ques­tions poli­tiques. Et puis tout à coup arrive le Mariage pour tous, et tout le monde se pas­sionne pour la ques­tion paren­tale et le droit des enfants. Pourtant, ces deux débats ont des impli­ca­tions très dif­fé­rentes. Ils n’ont pas été menés en amont, donc on s’est retrou­vé à devoir pen­ser ces ques­tions de façon mani­chéenne. La France est un espace où il est dif­fi­cile de réflé­chir, parce qu’on est com­plè­te­ment enfer­mé dans des logiques binaires d’affrontement. Il devient com­pli­qué de faire entendre des points de vue nuan­cés, voire sim­ple­ment pra­tiques. Il n’y a pas de recherches sur les adop­tés ado­les­cents et adultes. Si on avait les chiffres qu’on peut trou­ver aux États-Unis, par exemple, qui disent qu’une famille adop­tante a sept fois plus de chances de devoir consul­ter des spé­cia­listes en san­té men­tale qu’une famille non adop­tante, ça serait une base de dis­cus­sion. Les ado­les­cents adop­tés ont trois fois plus de risques de com­mettre des sui­cides (qui réus­sissent) que les enfants non-adop­tés (et encore, on ne connaît pas ces pro­por­tions par­mi les enfants raci­sés…). Même chose pour les ado­les­cents queers. Quelle est donc l’espérance de vie d’un adop­té trans­ra­cial et homo­sexuel ? Pas très éle­vée. On sait aus­si que chez les adop­tés, aux États-Unis, il y a des chiffres sur la dépen­dance à l’alcool et aux drogues, la dépres­sion et les inter­ne­ments en psy­chia­trie. Et en France, on nous parle de sau­ver des enfants et de créer des familles en nous disant que les familles hété­ro­pa­ren­tales sont plus à même d’élever des enfants que des familles homoparentales…

On a der­rière nous qua­rante, cin­quante années d’adoptions par des familles hété­ro­pa­ren­tales : fai­sons des études et allons voir dans quel état sont les adultes adop­tés. Voyons si c’est brillant. Ensuite, il sera temps de dis­cu­ter pour savoir si le pro­blème est vrai­ment l’homosexualité. Il est déran­geant que les dis­cus­sions théo­riques prennent plus de place que les faits prag­ma­tiques. Les seules études qui existent se sont foca­li­sées sur des familles homo­pa­ren­tales (ce qui est, en soi, déjà une dis­cri­mi­na­tion). On n’est pas en train d’avoir les conver­sa­tions néces­saires. Si la ques­tion, c’est le bien-être des enfants, allons voir ceux qui ont été adop­tés : ils existent. Il y a énor­mé­ment de livres de témoi­gnages. À pré­sent, les adop­tés inves­tissent les uni­ver­si­tés. On est une géné­ra­tion qui va dans les ins­ti­tu­tions, fonde des asso­cia­tions, pro­duit ses propres recherches. Et ce qu’ils diront en grande majo­ri­té, c’est que la ques­tion n’est pas de savoir si les parents sont homos ou hété­ros, mais de savoir dans quel type de famille on les envoie : est-ce que les per­sonnes auront été pré­pa­rées à avoir des enfants qui ne leur res­semblent pas ? pour quelles rai­sons auront-elles choi­si des enfants raci­sés ? est-ce un choix par défaut ou est-ce parce qu’ils n’ont pas pu adop­ter d’enfants blancs ? Mais aus­si, pour aller plus loin : est-ce qu’ils se sont vrai­ment inté­res­sés à la manière dont il fau­dra s’occuper d’un enfant noir dans cette socié­té ? savent-ils qu’on aura besoin de crème pour la peau et com­ment gérer nos che­veux ? Ce sont des détails qui reviennent sou­vent chez les Noirs adop­tés dans des familles blanches.

Vous êtes donc retour­née à l’université pour tra­vailler ces sujets.

Aujourd’hui, je m’intéresse beau­coup à la jus­tice repro­duc­tive, car on ne parle pas du droit des enfants. Je donne sou­vent comme exemple que, dans l’adoption, tout le monde consi­dère qu’il est nor­mal de faire venir les enfants en Occident. Mais si l’objectif était vrai­ment d’être parent à tout prix, pour­quoi ça ne sont pas les parents qui se dépla­ce­raient dans le pays de l’enfant pour y res­ter, pour évi­ter de le déra­ci­ner ? Mais on n’a pas envie d’arriver dans un nou­veau pays et d’apprendre une nou­velle langue, de tout recom­men­cer à zéro. Il y a donc une dimen­sion de migra­tion for­cée dans l’adoption trans­na­tio­nale : c’est ce que je veux faire recon­naître aujourd’hui, avec la dimen­sion uti­li­ta­riste. Une amie, pré­si­dente de l’association L’Hybridé (pour adop­tés adultes et dont je fais par­tie), a fait son mémoire en Haïti, pour voir com­ment les asso­cia­tions et le tis­su local font en sorte que les enfants res­tent en Haïti. Car ces enfants sont le futur ! Donc tous ceux qui partent et sont envoyés dans les pays du Nord, c’est une autre dépos­ses­sion colo­niale, qui n’est pas per­çue comme telle parce que c’est pré­sen­té comme quelque chose d’altruiste.

Ouvrir la voix

Quelle est la pro­por­tion d’enfants qui sor­tent du pays pour être adoptés ? 

Depuis le séisme de 2010, ils ont ralen­ti les adop­tions inter­na­tio­nales pen­dant trois ans. Depuis, ils sortent au compte-goutte. Mais ça concerne des mil­liers d’enfants depuis les années 1960. Pour vous don­ner une idée, la plus grande dia­spo­ra d’adopté-e‑s, ce sont les Coréens du Sud : 250 000 per­sonnes dans le monde, au moins. Comment aider les popu­la­tions qui sont moins pri­vi­lé­giées ? À mon échelle, j’ai les moyens de prendre des pos­tures publiques et poli­tiques sans que ma vie ne soit mise en dan­ger ; je le fais en pleine conscience. C’est encore une affaire de décen­trage du regard. Ce que j’aimerais, dans les dix pro­chaines années, serait d’institutionnaliser des manuels cultu­rels à des­ti­na­tion des parents ou des familles d’accueil occi­den­tales qui accueillent des enfants non-blancs. Et d’en faire sur les quatre groupes pré­sents ici, au Canada (à savoir les enfants lati­nos, noirs et asia­tiques — le manuel exis­tant déjà pour les enfants autoch­tones, bien que mal dis­tri­bué par les ser­vices d’adoption). Quel serait le meilleur moyen d’atteindre une famille vivant dans la cam­pagne du Québec, ou en France, qui ne s’est jamais posé de ques­tions raciales ? Il y a encore énor­mé­ment d’enfants raci­sés qui sont seuls dans leur vil­lage avec peu de repères autour d’eux, et per­sonne dans leur famille qui soit capable de com­prendre ce qu’ils tra­versent. Il est impor­tant de mener des actions auprès des ins­ti­tu­tions, ce qui sup­pose de négo­cier avec des per­sonnes dont on n’aime pas tou­jours la ter­mi­no­lo­gie. L’important, c’est de faire du concret : des articles, des livres, des films… Le for­mat des confé­rences, aus­si (et je fais tou­jours atten­tion, au moment des ques­tions du public, de pro­po­ser la parole à ceux qui n’y ont pas accès dans la socié­té). Quand j’ai orga­ni­sé la ren­contre sur « Adoption et colo­nia­lisme », une dame de 60 ans est venue avec son fils, et nous a par­lé de son his­toire : elle avait quit­té le Viet Nâm avec les boat people en ayant le désir d’être adop­tée. Elle avait décou­vert le racisme en arri­vant. C’était une inter­ven­tion intense ! Si une per­sonne, par soi­rée, lâche quelque chose pour la pre­mière fois et est écou­tée, c’est une victoire.

Quelle est votre posi­tion sur la notion d’appropriation cultu­relle ? Comment l’en­tendre dans un monde où tout est plus que jamais relié : poli­tiques, éco­no­mies, arts, mémoires, imaginaires ? 

« Dans la mode, les man­ne­quins noires sont sous-payées et l’in­dus­trie repose sur l’exploitation des femmes des pays du Sud. La notion d’appropriation cultu­relle me semble tou­jours opérante. »

J’ai ten­dance à pen­ser par étapes. De la même façon que la non-mixi­té est un moment néces­saire auquel on doit tou­jours pou­voir reve­nir. Des notions comme l’ap­pro­pria­tion cultu­relle sont néces­saires dans des espaces où la supré­ma­tie blanche et les dis­cri­mi­na­tions sys­té­miques se font tou­jours plus per­ni­cieuses. En soi, des man­ne­quins blanches qui portent du wax et de fausses dread­locks, dans un monde éga­li­taire, ça ne devrait pas poser de pro­blèmes. L’enjeu est lorsque, dans ce même monde (la mode), les man­ne­quins noires ne trouvent pas de tra­vail, sont sous-payées et que toute cette indus­trie repose sur l’exploitation des femmes raci­sées des pays du Sud. En géné­ral, ses cam­pagnes de pub ne peuvent faire exis­ter les racisé·es en dehors de sté­réo­types écu­lés, ou il les efface pure­ment et sim­ple­ment. C’est en ceci que la notion d’appropriation cultu­relle me semble tou­jours opé­rante. Tant qu’on nous deman­de­ra, à nous les Noir·es, de nous lis­ser les che­veux pour être pré­sen­tables au tra­vail, tant qu’à diplômes égaux, voire supé­rieurs, et che­veux conformes, nous ne trou­ve­rons tou­jours pas de tra­vail, tant que nos loi­sirs (entrée en boîte de nuit) seront condi­tion­nés par des règles éta­blies par celles et ceux qui nous refusent l’entrée car nous sommes « ghet­to » — mais qui s’extasieront devant les Bantu Knot « eth­niques » de Marc Jacobs —, j’aurai recours à la notion d’appropriation cultu­relle. Je ne sais plus quel rap­peur dit « Everybody wan­na be black ; but don’t nobo­dy want to be black » — en fran­çais : « Les cultures noires sont à la mode, mais les Noir·es ne le sont tou­jours pas. »

bell hooks se livre à une cri­tique impor­tante du « fémi­nisme pop » incar­né par la chan­teuse Beyoncé — cri­tique que vous récu­sez ; pourquoi ?

Il y a plu­sieurs débats, là aus­si. Si l’objectif est d’être dans la pure­té de la lutte, ni Beyoncé ni bell hooks ne le sont car cette der­nière tra­vaille pour une très grande uni­ver­si­té blanche amé­ri­caine et elle écrit des livres. Elle n’est pas exclue du groupe capi­ta­liste, même si elle gagne en effet moins d’argent que Beyoncé. Si même bell hooks ne s’en sort pas, où mettre la limite ? Je vais le dire sim­ple­ment : j’évolue moi-même dans un milieu de gens peu favo­ri­sés, dans lequel je suis la plus pri­vi­lé­giée ; dans ces milieux-là, je serais une traî­tresse à « la cause » comme Beyoncé l’est pour bell hooks ! Et il est bien dom­mage qu’on entende par­ler de bell hooks par sa cri­tique de Beyoncé et non par son œuvre. Il y a des choses peu poli­tiques là-dedans, qui nous échappent.

[Maya Mihindou | Ballast]

C’est la grande puis­sance de la culture afro-amé­ri­caine que cette capa­ci­té de per­ti­nence dans la culture popu­laire. J’ai arrê­té de par­ler d’anticapitalisme avec mon entou­rage raci­sé (sauf avec celles et ceux que cette ques­tion inté­resse) car je trou­vais ça indé­cent. Dans un sys­tème inéga­li­taire, tu as besoin de te recons­truire une fier­té. Dans un cer­tain nombre de cercles afros, la fier­té serait de réus­sir dans le capi­ta­lisme : c’est l’excellence noire et le culte de l’en­tre­pre­neu­riat. J’entends beau­coup de choses sur l’« afro-opti­misme », qui ne me parlent pas du tout : s’y téles­copent le capi­ta­lisme et la pen­sée posi­tive. Et c’est un outil qui béné­fi­cie au capi­ta­lisme. C’est un outil de dépo­li­ti­sa­tion et d’individualisation, parce que quand tu dois t’organiser avec des col­lègues qui se font licen­cier mas­si­ve­ment, on te dis­tri­bue­ra un petit pam­phlet, à part, qui dira que c’est peut-être l’opportunité pour toi de deve­nir entre­pre­neur, ou d’ob­te­nir un para­chute doré — et ça ne sera pas dis­cu­té. Mais je ne me ver­rais pas dire aux per­sonnes qui ont le plus de pro­blèmes de pré­ca­ri­té éco­no­mique qu’il faut lut­ter contre le capi­ta­lisme sous peine de pas­ser pour des ven­dus. Tu ne luttes pas quand tu es com­plè­te­ment dans la pré­ca­ri­té — c’est toute l’œuvre des Panthers ! Tu ne luttes pas le ventre vide, et tu lut­te­ras encore mieux si tu as appris à lire et à écrire. Et encore, il fau­dra que tu aies un toit au-des­sus de ta tête.

« Comment arri­ver à mener une action coor­don­née sur les dif­fé­rents fronts que sont l’éducation — his­to­rique et poli­tique —, la sor­tie de la pré­ca­ri­té et l’élaboration d’un autre système ? »

Mon dis­cours fonc­tionne très bien avec les jeunes femmes noires, car j’ai quelque chose à pro­po­ser d’alternatif quand je parle d’afro-féminisme ; je dis qu’on peut faire nos groupes de parole, se retrou­ver, et créer. Je ne crois pas qu’il faille juste se lamen­ter sur la supré­ma­tie blanche et le sexisme. Mais avec ce dis­cours, je n’ai pas d’impact sur les jeunes hommes noirs car je n’ai rien à leur pro­po­ser. Il ne suf­fit pas de leur dire qu’une socié­té plus éga­li­taire béné­fi­cie­ra aus­si aux hommes. Ce n’est pas une chose créa­tive pour eux, ni un pro­jet dans lequel ils se sentent inclus. Mais on pour­ra avoir des dis­cus­sions. Peu de choses sont faites pour eux. Pourtant, ils ont besoin de se regrou­per pour tra­vailler à des modèles alter­na­tifs. À Montréal, il y a un orga­nisme qui orga­nise des soi­rées « Brothers to bro­thers ». À pré­sent, ils réflé­chissent à faire des « Sisters to sis­ters », « Brothers to sis­ters » pour avoir des débats sur divers sujets.

La ques­tion est de savoir com­ment par­ve­nir à une lutte anti­ca­pi­ta­liste prag­ma­tique. À une édu­ca­tion qui per­mette de com­prendre que notre place est liée à un sys­tème qui s’est bâti sur le dos des Noirs pen­dant la traite trans­at­lan­tique. Que c’est parce qu’on pille l’Afrique depuis deux à trois cents ans que le capi­ta­lisme existe. Comment arri­ver à mener une action coor­don­née sur les dif­fé­rents fronts que sont l’éducation — his­to­rique et poli­tique —, la sor­tie de la pré­ca­ri­té et l’élaboration d’un autre sys­tème ? Il ne suf­fit pas d’être anti­ca­pi­ta­liste, il faut pro­po­ser une autre socié­té, une autre orga­ni­sa­tion. Et ça, je ne le vois dans aucun cercle. On en revient à la fameuse pilule rouge : pour ne pas som­brer dans le déses­poir, qu’a‑t-on à pro­po­ser aux gens ?

Que tirez-vous de votre expé­rience mili­tante en France ?

Après une dizaine d’années dans les milieux mili­tants, j’en ai tiré un constat d’échec. À qui nous adres­sons-nous vrai­ment ? À qui réus­sit-on à par­ler ? Il y a une vraie impasse si toute action consiste à cri­ti­quer le monde blanc et à vou­loir être en confron­ta­tion. Si on se situe vrai­ment dans une pen­sée déco­lo­niale, on se doit de réflé­chir à un autre monde. Si l’objectif est de dire « On s’occupera de l’anticapitalisme quand les com­mu­nistes s’occuperont de l’antiracisme », quelle place fait-on au monde d’après ? Je ne tiens pas à entrer dans les struc­tures de pou­voir du sys­tème actuel. Il s’agit de les remettre en cause, et de faire en sorte que le pou­voir soit mieux dis­tri­bué. Concernant les mili­tants, il y a beau­coup de groupes pour les­quels je me demande quand ils ont trac­té en bas d’une cité pour la der­nière fois ! Dans le cadre d’un article, j’avais recru­té des jeunes filles pour qu’on les prenne en pho­to. Je tenais à ce qu’elles aient lu mon article avant d’avoir leur accord pour par­ti­ci­per au pro­jet. J’ai été à la foire du Trône et à Châtelet-les-Halles, et j’arrêtais des groupes de filles noires pour leur en par­ler. Elles avaient entre 14 et 16 ans et une atti­tude qui en impo­sait ! Ces filles nous remet­taient en ques­tion, moi et mes copines mili­tantes. J’avais l’impression d’avoir 200 ans ! L’une d’elles m’a deman­dé « C’est payé ton truc ? ». Il est impor­tant d’aller vers des per­sonnes qui ne s’intéressent pas spé­cia­le­ment à ces sujets car per­sonne ne s’intéressera, par exemple, à ces filles-là. Pourtant, à 14 ans, tu as une conscience politique.

[Maya Mihindou | Ballast]

Autre exemple : dans le cadre du pro­jet annuel d’une amie qui tra­vaillait sur la sen­si­bi­li­sa­tion au sexisme à tra­vers l’audiovisuel, je suis inter­ve­nue dans une classe de 5e dans le 93, où je devais par­ler d’inter­sec­tion­na­li­té. J’ai pro­non­cé le mot « négro­pho­bie » et on m’a deman­dé : « C’est comme homo­pho­bie, Madame ? », et je leur ai expli­qué que oui, que c’était une dis­cri­mi­na­tion liée au fait d’être noir ; on m’a répon­du : « Dans ce cas, on dit aus­si “ara­bo­pho­bie” ? », et il a fal­lu par­ler d’islamophobie et de la manière dont les iden­ti­tés arabe et musul­mane ont été com­plè­te­ment mélan­gées… Au bout de cinq minutes, la conver­sa­tion était par­tie hors du pro­gramme que j’avais pré­pa­ré et il a fal­lu que je me rac­croche aux branches. Dans ces moments-là, je me dis que ce que je fais ailleurs est inutile, fina­le­ment : c’est pré­ci­sé­ment là qu’il fau­drait être. Je vou­drais aller dans des classes avec mon film. Dans un tout autre registre, aux États-Unis il y a eu les « Outlaw Midwives », qui sont des sages-femmes ou des dou­las qui forment à leur métier dans les pri­sons, afin que les déte­nues puissent accou­cher d’autres femmes enceintes dans le milieu car­cé­ral et aient un tra­vail en sor­tant : ce genre de démarche de trans­mis­sion, c’est une réelle révo­lu­tion. Tout reste une affaire de dif­fu­sion des connais­sances, et chaque milieu a ses tra­vers. Celui du monde aca­dé­mique est de consi­dé­rer qu’il est rabais­sant d’écrire d’une manière com­pré­hen­sible par tout le monde. On pour­rait esti­mer au contraire qu’on démontre son intel­li­gence et sa capa­ci­té d’analyse en étant capable d’expliquer sa pen­sée pour qu’elle soit plus lar­ge­ment accessible…

Et c’est là qu’on retrouve bell hooks, qui insis­tait sur le fait que son audi­toire idéal, c’é­tait sa mère…

« Il y a une vraie impasse si toute action consiste à cri­ti­quer le monde blanc et à vou­loir être en confrontation. »

C’est exac­te­ment ça. J’avais vu, plus jeune, une confé­rence d’Albert Jacquart sur l’éducation. Il disait qu’on était, en France, très axé sur la com­pé­ti­tion et que c’é­tait dom­mage. Il pro­po­sait que dans le cadre sco­laire la notion de réus­site soit asso­ciée au fait de savoir trans­mettre aux autres le savoir com­pris. Et qu’il fal­lait pour cela per­mettre aux enfants de tra­vailler en petits groupes, pour favo­ri­ser ce méca­nisme : le pre­mier ou la pre­mière qui a com­pris doit l’expliquer aux autres, puis aider à ter­mi­ner l’exercice ; la réus­site ne cor­res­pon­drait plus ain­si au fait d’avoir com­pris le pre­mier, mais d’avoir ame­né les autres à com­prendre. Ayant une vision idéa­liste, j’ai for­cé­ment envie que la socié­té change. Mais on ne fait pas la révo­lu­tion en vou­lant avoir rai­son. Dans un sys­tème voué à l’inégalité, mon objec­tif est d’agir dans l’espace où je suis pour amé­lio­rer la situa­tion : c’est pour cette rai­son que je suis deve­nue mili­tante. Que puis-je faire pour trans­mettre ces infor­ma­tions à d’autres ? Chercher, pen­dant des années, com­ment for­mu­ler un posi­tion­ne­ment idéo­lo­gique ne per­met pas d’agir.

Vous avez posé la ques­tion, dans une confé­rence : « Où aller quand on est noir et conscient des méca­nismes colo­niaux, com­ment conti­nuer à se dépla­cer sans être un néo-colon ? » C’est une ques­tion qui vaut pour toutes et tous. À quoi res­sem­ble­rait une socié­té où dif­fé­rents points de vue seraient pris en compte, où les mémoires seraient dis­cu­tées, récon­ci­liées, où les iden­ti­tés mul­tiples pour­raient vivre ensemble ?

Si l’on réflé­chit en termes d’émancipation col­lec­tive, de tels endroits n’existent pas. Mais il y a des échap­pa­toires indi­vi­duelles qui sont liées à nos pri­vi­lèges. Je raconte sou­vent que la pre­mière fois de ma vie où je n’ai pas été une femme noire, c’est quand j’étais en Australie pour suivre des cours sur les Aboriginal Studies. J’y étais une « sacrée Française » et on me par­lait de fro­mage ! J’étais cho­quée. Et c’était très repo­sant. J’y étais venue pour voir com­ment ça se pas­sait dans une uni­ver­si­té qui affron­tait à peu près hon­nê­te­ment son his­toire colo­niale. C’était la pre­mière fois que dans une telle ins­ti­tu­tion une femme abo­ri­gène don­nait le cours pour lequel j’étais là. C’était incroyable ! Puis j’ai voya­gé, je me suis ren­due dans le centre de l’Australie par le biais d’en­tre­prises tou­ris­tiques abo­ri­gènes. Il y avait des endroits qui étaient clai­re­ment inter­dits d’entrée aux abo­ri­gènes… C’était comme se retrou­ver en pleine ségré­ga­tion sud-afri­caine. Donc toute cette socié­té pros­père, joyeuse et douce de la côte aus­tra­lienne repose sur cette ségré­ga­tion et cette vio­lence colo­niale. Je ne pou­vais pas res­ter vivre là-bas. Au Canada, l’aspect violent est très bien dis­si­mu­lé. Je l’i­gno­rais avant de m’y ins­tal­ler, mais c’est presque pire qu’en Australie. On est en ter­ri­toires non cédés ! Les anglo­phones ont, au moins, signé des trai­tés (frau­du­leux) avec les autoch­tones. Mais ce pays est en occu­pa­tion pure­ment et sim­ple­ment illégale.

[Maya Mihindou | Ballast]

Ici, je me ques­tionne sur com­ment faire le moins de mal pos­sible : je suis consciente d’être pri­vi­lé­giée, en tant que fran­çaise diplô­mée. Je ne suis pas une migrante lamb­da ! Quand je donne des confé­rences dans ces espaces, ça ne me coûte rien de dire la véri­té : j’ai fait le choix, égoïste, de venir ici car c’était mieux pour moi. Si j’étais com­plè­te­ment cohé­rente, ce n’est pas au Canada que je devrais m’installer. En tant que migrant, on n’est pas obli­gés de reprendre à notre compte le pro­jet colo­nial de peu­ple­ment ; c’est à nous de faire le tra­vail. D’où l’idée de mettre en place des ren­contres sur « Adoption et colo­nia­lisme » pour croi­ser les regards des autoch­tones et des per­sonnes adop­tées. Nous sommes tous dépla­cés par dif­fé­rentes his­toires colo­niales : com­ment lut­ter ensemble ? Comment être ici de manière éthique ? Comment mes pri­vi­lèges peuvent-ils être utiles à ceux qui en ont moins ? C’est un ques­tion­ne­ment en cours. Il y a, par­fois, des lieux de négo­cia­tion qu’il fau­drait déve­lop­per. Par exemple, les Haïtiens sont les seuls à avoir été invi­tés offi­ciel­le­ment à Montréal par des com­mu­nau­tés autoch­tones2. Ils ont deman­dé aux aînés et il y a eu une vraie ren­contre — dans leurs tra­di­tions, tu peux deman­der à être accueilli. Du côté de la France (très foca­li­sée sur la ques­tion pales­ti­nienne), j’aimerais qu’on m’explique pour­quoi on ne parle jamais de la Guyane fran­çaise. Le der­nier pen­sion­nat autoch­tone y a fer­mé en 2012 ! Mais ça n’intéresse per­sonne qu’on soit encore un pays plei­ne­ment colo­nial. Il nous est plus simple de nous révol­ter sur la situa­tion des Amérindiens au Brésil que sur ceux de la Guyane… Ce n’est pas logique. Il y a une déco­lo­nia­li­té à géo­gra­phie variable. Au final, quand tu es quelqu’un de dépla­cé et le fruit de l’histoire colo­niale, il te reste peu d’en­droits où aller. Dans mes papiers de per­sonne née sous X, il est écrit : « Mère maro­caine-père fran­çais », bon. Le sort réser­vé aux Noirs au Maroc ne me don­ne­rait pas l’envie d’y vivre, et côté français…


Photographie de ban­nière : Ouvrir la voix


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  1. Voir, sur le sujet : Art et aban­don, les adop­tés se racontent , Pascale Lemare, édi­tions L’Harmattan.[]
  2. Des prê­tresses vau­dous haï­tiennes vou­laient faire une célé­bra­tion avec les Haïtiens du Canada.[]

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