Albert Camus et Miguel Benasayag : regards croisés

7 mars 2017


Texte inédit pour le site de Ballast

La librai­rie Folie d’encre, à Saint-Ouen, se rem­plit : le phi­lo­sophe et psy­cha­na­lyste Miguel Benasayag est invi­té à don­ner une confé­rence. Sculpture du cer­veau par l’éducation, enga­ge­ment poli­tique, actua­li­té de la pen­sée de gauche et rap­port à la vio­lence sous toutes ses formes — les sujets ne manquent pas. Un autre intel­lec­tuel était cou­tu­mier, dans les années 1950, de ce genre de petites confé­rences dans une librai­rie, dans une salle de syn­di­cat ou une mai­son de quar­tier ; il eut, lui aus­si, à se poser la ques­tion de la vio­lence, de ses pre­miers enga­ge­ments dans la résis­tance jusqu’à la déchi­rure de son pays natal dans une guerre qui ne disait pas encore son nom : cet autre pen­seur que l’au­teur du pré­sent texte entend faire dia­lo­guer avec Benasayag n’est autre qu’Albert Camus. ☰ Par Rémi Larue


À pre­mière vue, bien des choses éloignent ces deux grandes figures de la gauche du XXsiècle. La géné­ra­tion, d’abord. Albert Camus est né le 7 novembre 1913, au cœur d’une Algérie fran­çaise depuis des décen­nies déjà — elle n’allait pas tar­der à ne plus l’être, révolte contre le sys­tème colo­nial oblige. Miguel Benasayag est né quant à lui dans le Buenos Aires des années 1950. Un océan les sépare sur le plan géo­gra­phique autant qu’­his­to­rique. Camus s’engage dès l’entre-deux-guerres contre le fas­cisme et le colo­nia­lisme ; il obser­ve­ra de près la guerre civile espa­gnole et la défaite des répu­bli­cains qu’il sou­te­nait avec ardeur depuis Alger. Puis la Seconde Guerre mon­diale de le hap­per, l’entraînant dans une réflexion de plain-pied sur l’usage de la vio­lence et l’entrée dans la Résistance. Quelques mois suf­fisent — et quelques ren­contres déci­sives, à l’ins­tar du poète et résis­tant lyon­nais René Leynaud — pour com­prendre toute la néces­si­té de se joindre aux rangs des résis­tants déjà orga­ni­sés sur le sol fran­çais : c’est alors que s’a­morce le fil rouge de son œuvre pro­téi­forme, faite de théâtre, de récits, de fic­tions et d’es­sais… La Libération pas­sée, Camus conti­nue de le dérou­ler plus encore au cœur d’une nou­velle menace, d’un conflit latent que nombre d’é­tin­celles ne feront pour­tant pas tota­le­ment écla­ter : la Guerre froide. Et puis, bien sûr, vien­dra le temps de la guerre d’Algérie, d’un déchi­re­ment intime et poli­tique pour Camus, entre son sou­tien au peuple algé­rien indi­gène et son atta­che­ment à sa com­mu­nau­té d’origine, qu’il sait mena­cée par les actions menées par le Front de libé­ra­tion nationale.

« Ces deux-là ont plus à par­ta­ger qu’il n’y paraît peut-être. »

C’est une autre résis­tance qui alpague le jeune Miguel Benasayag. Plus récente, pre­nant les traits du mou­ve­ment gué­va­riste de gué­rilla en Argentine. Très tôt, il milite dans ces réseaux, d’abord comme sou­tien, puis, rapi­de­ment, comme com­bat­tant opé­ra­tion­nel avant de prendre la res­pon­sa­bi­li­té mili­taire d’une uni­té. Cet enga­ge­ment lui vaut quatre années de pri­son durant les­quelles il découvre le large éven­tail coer­ci­tif de la dic­ta­ture — tor­ture com­prise. Sa double natio­na­li­té, fran­çaise et argen­tine, le sauve puisqu’il se voit rapa­trié en France dans le cadre d’un échange diplo­ma­tique qui dépasse son cas propre. L’engagement se pour­suit, de l’Hexagone au Nicaragua ; Benasayag s’éloigne de la gué­rilla pour s’en aller vers d’autres luttes, celles de la recherche mili­tante et de la trans­mis­sion des savoirs, des mou­ve­ments pre­nant à contre-pied la poli­tique conven­tion­nelle. Mais demeure, tout au long de ce par­cours hybride, une ques­tion : celle de la vio­lence poli­tique et des dif­fé­rentes situa­tions où elle en vient à s’exercer.

Deux che­mins de vie, deux his­toires, deux contextes : nous ne pou­vons pour­tant nous empê­cher d’y voir se des­si­ner d’i­né­vi­tables proxi­mi­tés. De ces pistes qu’il faut creu­ser, de ces axes de recherches et de ques­tion­ne­ments qui, par-delà années et kilo­mètres, lient des hommes sans pour­tant nous for­cer à par­ler de filia­tion intel­lec­tuelle ni d’influence. Ces deux-là ont plus à par­ta­ger qu’il n’y paraît peut-être. Benasayag lui-même s’était éton­né du rap­pro­che­ment entre son tra­vail et L’Homme révol­té lors de la pré­sen­ta­tion effec­tuée en librai­rie : esquis­sons ici qu’il ne s’agissait pas que d’une simple intuition !

(DR)

De l’Histoire

Penser la vio­lence, c’est d’abord pen­ser le monde qui nous entoure, ques­tion­ner les rela­tions humaines, s’intéresser à la condi­tion de ces indi­vi­dus qui font socié­té. Chez Camus comme Benasayag, la vio­lence se noue à l’Histoire et à la condi­tion humaine. Le « dans et contre l’Histoire1 » du pre­mier trouve son pen­dant chez le second dans une réap­pro­pria­tion sin­gu­lière des notions de Progrès et d’Histoire, qui tient compte des mul­tiples expé­riences socialistes/marxistes et de leurs échecs patents.

« L’Histoire n’est pas une répé­ti­tion, pas plus qu’elle n’est pré­vi­sible ; elle n’a, en somme, pas mis­sion à abou­tir au socia­lisme ou au communisme. »

La condi­tion humaine dans l’œuvre de Camus est une condi­tion absurde ; elle prend la forme d’un déca­lage entre les aspi­ra­tions de cha­cun à don­ner quelque sens à la vie autant qu’au monde et le silence de ce der­nier quant à d’éventuels prin­cipes direc­teurs à même d’ap­pré­hen­der son fonc­tion­ne­ment. Ce déca­lage qu’est l’absurde se tra­duit sur le plan his­to­rique par une forme simple : la spi­rale. Camus n’adhère ni à une concep­tion linéaire et méca­niste de l’Histoire (reli­gieuse, pro­gres­siste ou mar­xiste), ni à une concep­tion cyclique : il se place en ten­sion, évo­lue à mi-che­min. Ni le Progrès, ni l’Éternel retour cher à Nietzsche ; l’être humain est empor­té sur les flots his­to­riques, condam­né à lut­ter pour se rendre où il veut sans jamais être sûr qu’il y par­vien­dra. La condi­tion humaine camu­sienne est incon­for­table en ce qu’elle ne résout rien. Elle creuse le doute et déploie des ques­tions volon­tiers avares en réponses.

Miguel Benasayag place pour sa part son ana­lyse au cœur de la « situa­tion2 ». Loin de croire à l’avènement d’une socié­té idéale, issue fatale du des­tin du monde, le pen­seur ancre l’individu dans son moment. L’Histoire n’est pas une répé­ti­tion, pas plus qu’elle n’est pré­vi­sible ; elle n’a, en somme, pas mis­sion à abou­tir au socia­lisme ou au com­mu­nisme. Pensée du pré­sent, d’un pré­sent com­plexe et divers, pré­sent de la situa­tion ner­vu­rée de rela­tions humaines, d’ac­teurs, de lieux. Benasayag reprend à son compte une expres­sion grecque d’Héraclite, pour qui la condi­tion humaine était une « lutte des contraires3 » en deve­nir. Tout l’en­jeu de son Éloge du conflit réside dans une démons­tra­tion simple : il importe de main­te­nir ladite lutte en tant que condi­tion d’exis­tence des êtres humains sans tou­te­fois faire de la vio­lence son seul moyen d’ex­pres­sion. N’est-ce pas, du reste, Héraclite qui ins­pi­ra à Camus les der­niers para­graphes de L’Homme révol­té ?

Albert Camus (DR)

De la violence

Penser l’Histoire et la condi­tion humaine ne se fait pas sans pro­blé­ma­ti­ser la vio­lence. Penser les strates poli­tiques et sociales, voire éco­no­miques, ne se fait pas sans réflé­chir à la manière dont elles font inter­ve­nir cer­taines de ses moda­li­tés. Toute occa­sion est bonne aux yeux de nos deux hommes pour renou­ve­ler les angles d’approche d’une pro­blé­ma­tique aus­si vaste qu’exi­geante. L’analyse de la vio­lence est avant tout celle de l’expérience, de l’itinéraire per­son­nel au cœur des tumultes du temps et du monde. Dans son Résister, c’est créer, co-écrit avec Florence Aubenas, Miguel Benasayag s’intéresse à ce qui fait qu’une vio­lence poli­tique s’a­vère plus légi­time qu’une autre. L’État est-il le seul à pou­voir dis­po­ser de la vio­lence légi­time comme l’affirmait le socio­logue Max Weber4 ? Le phi­lo­sophe argen­tin élar­git la focale pour poser la ques­tion de la légi­ti­mi­té de la vio­lence poli­tique : il pense en prise avec son époque, celle du ter­ro­risme deve­nu moyen d’émancipation et peut-être fin de cer­tains cou­rants poli­tiques. Une lutte, le sur­gis­se­ment d’une socié­té plus juste ou le retour à l’ordre public : ces ambi­tions auto­risent-elles l’u­ti­li­sa­tion plus ou moins illi­mi­tée de la vio­lence répres­sive ou ter­ro­riste ? « Quand la fin est abso­lue, c’est-à-dire, his­to­ri­que­ment par­lant, quand on la croit cer­taine, on peut aller jus­qu’à sacri­fier les autres. Quand elle ne l’est pas, on ne peut sacri­fier que soi-même, dans l’en­jeu d’une lutte pour la digni­té com­mune. La fin jus­ti­fie les moyens ? Cela est pos­sible. Mais qui jus­ti­fie­ra la fin ? À cette ques­tion, que la pen­sée his­to­rique laisse pen­dante, la révolte répond : les moyens5. » Ces quelques lignes tirées de L’Homme révol­té donnent à lire la paren­té et la proxi­mi­té des pré­oc­cu­pa­tions : Camus et Benasayag ren­voient dos-à-dos les chantres de la vio­lence légi­time, qu’elle soit réac­tion­naire ou révo­lu­tion­naire. S’il n’est pas pos­sible de l’éradiquer de la sur­face de la pla­nète, « la vio­lence est à la fois inévi­table et injus­ti­fiable6 », avance encore Camus : elle doit de ce fait « conser­ver, pour le révol­té, son carac­tère pro­vi­soire d’ef­frac­tion, être tou­jours liée, si elle ne peut être évi­tée, à une res­pon­sa­bi­li­té per­son­nelle, à un risque immé­diat7 ».

« Les mots de l’an­cien gué­rille­ro sud-amé­ri­cain résonnent avec l’entrée en résis­tance de Camus et le retour qu’il fait sur cette expérience. »

« Résister. Le terme revient tout seul, sans cesse. Difficile pour­tant de l’entendre sans y per­ce­voir d’écho : ce mot a un pas­sé. Il reste inti­me­ment lié à une situa­tion d’exception, à ces acci­dents de l’Histoire qu’on tente d’abolir, comme l’établissement bru­tal d’une dic­ta­ture ou l’occupation d’un pays par un autre. Ceux qui s’engagent alors dans la résis­tance n’ont géné­ra­le­ment qu’un sou­hait pour pro­gramme : que le monde rede­vienne comme avant cette catas­trophe. Alors, il s’agira tout sim­ple­ment d’être heu­reux », lancent Florence Aubenas et Miguel Benasayag dans un de leurs ouvrages8. Ces situa­tions de résis­tance sont pour Benasayag — qui jure, dans les pages de son Abécédaire de l’en­ga­ge­ment, que « Si je fais le mal, je suis le mal9 », autre­ment dit que l’op­po­si­tion entre la fin et les moyens n’a, comme chez Camus, aucun sens — des moments d’exception où la vio­lence inter­vient en der­nier recours, en ultime argu­ment de la révolte. Les mots de l’an­cien gué­rille­ro sud-amé­ri­cain résonnent avec l’entrée en résis­tance de Camus et le retour qu’il fait sur cette expé­rience : com­battre, oui, mais sans haine (cette haine décrite comme un « men­songe10 » par le père de L’Étranger et comme le signe de « l’im­puis­sance11 » par l’au­teur du mani­feste Du contre-pou­voir.)

Benasayag appa­raît cepen­dant plus tran­chant que Camus en la matière : c’est à chaque situa­tion, assure-t-il, de « détermine[r] s’il faut ou non assu­mer la vio­lence12 ». Jurer par prin­cipe de sa nature (bonne ou mau­vaise) revien­drait à ne pas fonc­tion­ner « cor­rec­te­ment13 », c’est-à-dire à s’é­loi­gner, par trop abs­trait, de la réa­li­té telle qu’elle se pré­sente à nos yeux : reven­di­quer la non-vio­lence devient impos­sible — et Benasayag d’es­ti­mer que condam­ner dans l’ab­so­lu les jets de pierres sur les CRS relève de « la conne­rie14 ». L’écrivain algé­rois déclare pour sa part qu’il n’a jamais plai­dé pour la non-vio­lence et qu’il ne milite pas en sa faveur15, mais recon­naît, ailleurs16, que celle-ci « repré­sente une véri­té digne d’être prê­chée par l’exemple » : il lui manque pour cela, estime le lec­teur de Gandhi qu’il était, la « gran­deur » (d’âme ?) néces­saire à pareille atti­tude. La non-vio­lence demeure donc inac­ces­sible au com­mun des mor­tels. Reste, par-delà ces nuances à ne pas ara­ser, que le roman­cier et le « mili­tant cher­cheur17 » tentent à leur manière de dépas­ser l’op­po­si­tion clas­sique et seri­née entre vio­lence bre­ve­tée et paci­fisme hors-sol.

Miguel Benasayag, par Maya Mihindou, pour Ballast

De la création comme troisième voie

C’est bien cela qu’il est néces­saire d’é­vi­ter : ce point de rup­ture où l’es­ca­lade de la vio­lence ne trouve plus d’is­sue, où les dif­fé­rents acteurs du conflit ne recon­naissent plus chez leurs enne­mis ce qu’il y a de com­mun avec leur propre iden­ti­té pour ne pen­ser qu’à leur anéan­tis­se­ment pur et simple. Mais les deux intel­lec­tuels ne s’arrêtent pas là. Si la vio­lence est l’ex­cep­tion, quelle est la règle en matière d’expression de la révolte ? Comment main­te­nir le conflit, dont on sait qu’il est inévi­table, sinon pro­fi­table, sans aller sur le ter­rain de la vio­lence phy­sique ? Là encore, les deux hommes semblent s’entendre sur ce qui pour­rait prendre la forme d’une troi­sième voie, en ten­sion entre vio­lence et non-vio­lence : la créa­tion et le dia­logue. Un cap dif­fi­cile à main­te­nir. Ce choix incon­for­table oblige à la remise en ques­tion per­ma­nente sans tou­te­fois empê­cher notre capa­ci­té d’ac­tion. Lorsqu’il évoque la créa­tion, Camus fait essen­tiel­le­ment réfé­rence à la créa­tion artis­tique, à la lit­té­ra­ture qu’il prit très jeune à bras le corps, à cette écri­ture qui le libère autant qu’elle l’emprisonne. La créa­tion artis­tique est le lieu de l’expression de la réa­li­té, mais une réa­li­té cor­ri­gée par le prisme de l’artiste. Dire le réel, pour Camus, ce n’est pas décrire le monde qui l’entoure mais le poser sous forme de ques­tions nou­velles, de sym­boles et de mythes qui ser­vi­ront aux lec­teurs à pen­ser. L’art doit être embar­qué plus qu’engagé ; l’artiste n’est pas un guide éclai­ré à suivre mais un poseur de ques­tions face au poseur de bombes qui, lui, ne sait qu’af­fir­mer. L’artiste camu­sien ne sur­plombe pas la socié­té depuis sa tour d’ivoire ; il se refuse d’être « assis », ain­si que le roman­cier le consigne dans Actuelles IIimmer­gé qu’il l’est en elle, s’en ins­pi­rant et lui ren­voyant son œuvre — des allers-retours inces­sants. La créa­tion est plei­ne­ment poli­tique et se tra­duit par des ini­tia­tives dans les sphères poli­tiques et sociales : par­ti­ci­pa­tions nom­breuses à des ras­sem­ble­ments, prises de parole publiques sur le plan natio­nal comme inter­na­tio­nal, orga­ni­sa­tions d’événements et de rencontres…

« Comment main­te­nir le conflit, dont on sait qu’il est inévi­table, sinon pro­fi­table, sans aller sur le ter­rain de la vio­lence physique ? »

Lorsque Camus pro­pose une table ronde au cœur de la guerre d’Algérie, avec la pré­sence de tous les acteurs du conflit, il sait bien qu’il y aura des désac­cords pro­fonds ; il espère seule­ment la mise en place d’un dia­logue afin d’é­vi­ter le reten­tis­se­ment des bombes et le cra­que­ment des écha­fauds. Lorsqu’il appelle à une trêve civile en 1956 aux abords de la Casbah d’Alger, il sait bien que la vio­lence bat déjà son plein, dehors, mais il tente de trou­ver une voie de sor­tie à même de pro­vo­quer le moins de vic­times pos­sibles. Il sait bien que le dia­logue avec les nazis n’avait pas abou­ti, avant la Seconde Guerre mon­diale, et que la Résistance n’eut d’autre choix que de recou­rir à la vio­lence18, mais il sait aus­si qu’avant d’en arri­ver là, d’autres solu­tions auraient pu être trou­vées. Fort de son pas­sé, Miguel Benasayag avance désor­mais que d’autres formes de créa­tion poli­tique et de résis­tance sont pos­sibles, et même néces­saires, après l’échec de la seule force armée. Le psy­cha­na­lyste s’intéresse et par­ti­cipe acti­ve­ment à toutes les ini­tia­tives situées en marge des modèles de socié­té pré­dé­fi­nis en amont, des appa­reils poli­tiques deve­nus machine à gagner — ou à perdre, d’ailleurs — et des élec­tions locales comme natio­nales : édu­ca­tion popu­laire, confé­rences, ate­liers… Petite librai­rie d’une ville de ban­lieue ou émis­sion radio à plus grande dif­fu­sion : l’important est le mes­sage cri­tique qu’il y délivre. N’est-ce pas déjà ce que fai­sait Camus — liber­taire, comme lui, mais moins rétif aux urnes — dans les années 1950, lors­qu’il écri­vait pour L’Express et se dépla­çait de grandes salles en mai­sons de quar­tier ou locaux syndicaux ?

Les pré­sentes lignes se veulent avant tout invi­ta­tion à lire. Lire, écou­ter, relire, ques­tion­ner les œuvres consé­quentes de ces deux pen­seurs. La réflexion de Camus trouve encore écho dans celles d’auteurs contem­po­rains, loin, bien loin du contexte his­to­rique et poli­tique du prix Nobel de 1957. Légitimité de la vio­lence poli­cière, effi­cience des vio­lences insur­rec­tion­nelles, posi­tion­ne­ment face aux conflits inter­na­tio­naux ? Ces ques­tions saturent notre temps. À nous de sai­sir les réflexions enga­gées par ces deux hommes pour les creu­ser plus encore : plus que des maîtres à pen­ser, des com­pa­gnons de dia­logue, des inter­lo­cu­teurs dans la lutte per­son­nelle et collective.


Photographies de minia­ture et de cou­ver­ture : Josef Koudelka.


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  1. La cita­tion com­plète est la sui­vante : « À cette heure où cha­cun d’entre nous doit tendre l’arc pour refaire ses preuves, conqué­rir, dans et contre l’histoire, ce qu’il pos­sède déjà, la maigre mois­son de ses champs, le bref amour de cette terre, à l’heure où naît enfin un homme, il faut lais­ser l’époque et ses fureurs ado­les­centes. L’arc se tord, le bois crie. Au som­met de là plus haute ten­sion va jaillir l’élan d’une droite flèche, du trait le plus dur et le plus libre. » Albert Camus, Œuvres com­plètes, Tome III, 1949–1956, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2008, p. 318.[]
  2. Benasayag évoque cette « pen­sée de la situa­tion » au sujet de la guerre, en réfé­rence, notam­ment, à L’Art de la guerre de Sun Tzu, mais aus­si à la « situa­tion » telle qu’elle est décrite par Sartre ; voir Éloge du conflit, La Découverte, 2012, p. 69.[]
  3. Ibid., p. 26.[]
  4. Voir par exemple sa défi­ni­tion de l’État dans son recueil de confé­rences, Le Savant et le poli­tique, publié en 1919.[]
  5. Albert Camus, Œuvres com­plètes, Tome III, 1949–1956, op. cit., p. 312.[]
  6. Albert Camus, Œuvres com­plètes, Tome II, 1944–1948, Gallimard, 2006, p. 457.[]
  7. Albert Camus, L’Homme révol­té, Folio essais|Gallimard, 2008, p. 364.[]
  8. Résister, c’est créer, La Découverte, 2002, p. 69.[]
  9. Miguel Benasayag, Abécédaire de l’en­ga­ge­ment, Bayard, 2004, p. 256.[]
  10. Albert Camus, Actuelles II, Gallimard, 1953, p. 31.[]
  11. Miguel Benasayag, Parcours, Calmann-Lévy, 2001, p.90.[]
  12. Voir l’en­tre­tien qu’il a don­né à la pré­sente revue, dans le numé­ro cinq de son édi­tion papier, en 2016.[]
  13. Ibid.[]
  14. Ibid.[]
  15. Albert Camus, Œuvres com­plètes, Tome III, 1949–1956, op. cit., p. 457[]
  16. Dans une lettre à Étienne Benoist, en mars 1952.[]
  17. L’expression est de Benasayag, dans Parcours, op.cit.[]
  18. La lec­ture des Lettres à un ami alle­mand, sorte de mani­feste écrit par Camus au moment de son adhé­sion au mou­ve­ment Combat, per­met de sai­sir la com­plexi­té de ce rap­port à la vio­lence de la Résistance.[]

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