Adolfo Kaminsky — le monde entier

1 mars 2019


Texte paru dans le n° 6 de la revue papier Ballast (printemps 2017)

« Un beau matin, la police fran­çaise est arri­vée, on a ramas­sé tout le monde, moi com­pris, et Drancy à nou­veau. Mais eux ont tout de suite été dépor­tés », nous raconte Adolfo Kaminsky après nous avoir ouvert les portes de son appar­te­ment. Le jeune homme, enfant de parents exi­lés, tra­vaillait alors pour la Résistance comme faus­saire. La guerre ache­vée, le pho­to­graphe pro­lon­gea cet enga­ge­ment jus­qu’au début des années 1970 aux côtés d’in­dé­pen­dan­tistes algé­riens, de dis­si­dents anti­fas­cistes et d’ac­ti­vistes sud-afri­cains. Cela, per­sonne ne l’au­rait pro­ba­ble­ment jamais su si sa fille n’a­vait pas insis­té pour recueillir sa parole et la rendre publique, en 2009, dans un ouvrage bio­gra­phique. C’est ce der­nier qui nous a conduits jus­qu’à lui. ☰ Par Hassina Mechaï


Quand on lui demande de ses nou­velles, Adolfo Kaminsky répond avec un sou­rire : « Oh, on ne rajeu­nit pas. » L’œil gauche est vif, le droit éteint. L’homme a les yeux noirs — la faute aux pro­duits chi­miques uti­li­sés pour ses tra­vaux de faus­saire. « Ils étaient verts, avant. Ceux que j’utilisais pour sau­ver les gens les ont assom­bris », pré­cise-t-il. C’était Paris, en 1943. Rester éveillé. Ne pas céder au som­meil. Surtout pas. Les vapeurs des pro­duits engour­dissent. La cadence est infer­nale dans le petit labo­ra­toire clan­des­tin du mou­ve­ment de résis­tance de la 6e EIF1, au 17 de la rue des Saints-Pères. Adolfo Kaminsky a tout juste 18 ans. L’âge de l’intranquillité mais non de l’insouciance dans ce Paris occu­pé. Marc Hamon — nom de code « Pingouin » — vient de lui pas­ser com­mande de faux papiers pour plus de trois cents enfants fran­çais de confes­sion juive. Ce membre de l’EIF a recru­té Adolfo Kaminsky pour ses talents de chi­miste dans ce labo­ra­toire clan­des­tin. Une rafle visant dix mai­sons dans la région pari­sienne est pré­vue par la police de Pétain. Il faut de tout : cartes d’alimentation, cer­ti­fi­cats de bap­tême, actes de nais­sance et lais­sez-pas­ser col­lec­tifs. Le délai est court, trois jours seule­ment. Tout le labo­ra­toire s’attelle à ce tra­vail, le souffle cou­pé à l’idée de ne pas y arriver.

« Une rafle visant dix mai­sons dans la région pari­sienne est pré­vue par la police de Pétain. »

Les papiers s’enchaînent dans cet ate­lier dont la jeu­nesse des membres étonne encore aujourd’hui. Adolfo se sou­vient des cama­rades avec qui il tra­vaillait : « Le plus âgé avait 24 ans. Moi, 18. Leur tra­vail était de convoyer les enfants vers les caches, à tra­vers les fron­tières aus­si, vers l’Espagne, vers la Suisse. Ils ont fait du très bon tra­vail. C’était une mis­sion pour laquelle il fal­lait d’abord des papiers. Ces papiers ser­vaient ensuite à sau­ver des mil­liers d’enfants. » Il faut être déli­cat : il ne s’agit pas seule­ment de tout four­nir en temps et en heure ; les papiers doivent être par­faits. Un défaut, et c’est la mort assu­rée pour ceux à qui ils sont des­ti­nés. Adolfo contrôle sans cesse, au bord de l’épuisement, de la syn­cope. Il l’a résu­mé ain­si : s’il s’endort une heure, c’est trente vies de per­dues. Alors, quand la fatigue le prend, Adolfo marche et se gifle pour se réveiller… « Qui sauve une vie sauve le monde entier », jurent à la fois le Talmud et le Coran. Enfants juifs, résis­tants, mais aus­si sur­vi­vants des camps, fel­la­ghas algé­riens, mili­tants anti­fran­quistes, anti-Salazar ou anti-apar­theid : leur sur­vie est sus­pen­due aux faux papiers qu’Adolfo Kaminsky a confec­tion­nés dans ses ate­liers clandestins.

Aujourd’hui, à 91 ans, il a der­rière lui une vie presqu’entièrement consa­crée à sau­ver les autres. En plein hiver, nous ren­dons visite à son épouse et à sa fille. Un petit appar­te­ment lumi­neux et moderne, très humble dans le Paris chic. Le vieil appa­reil pho­to en bois avec souf­flet (« Je l’ai ache­té dans les années 1940, et il marche encore ! ») trône dans le salon. Sur les murs, des cli­chés d’un Paris d’un autre temps : un libraire et ses chats, un couple sous la pluie, une ruelle vide, la nuit. Quelque cin­quante mille autres dorment dans ses archives. Adolfo nous entraîne dans son ate­lier : une pièce de cinq ou six mètres car­rés — une seule per­sonne peut s’y tenir — qui sert de chambre de déve­lop­pe­ment. Ce jour-là, nous avons ren­con­tré un mensch2.

[Stéphane Burlot | Ballast]

Un homme

Son état civil tient en peu de mots, qui ne disent rien du moud­ja­hid qu’il fut plus tard, ni du père, grand-père, et mari de la lumi­neuse Leïla qu’il est désor­mais : « Né en Argentine le 1er octobre 1925 de parents juifs russes. » Ils ne disent pas non plus qu’Adolfo Kaminsky était résis­tant, spé­cia­li­sé dans la fabri­ca­tion de faux papiers pour laquelle il refu­sa tou­jours d’être payé. « J’aimerais être recon­nu en tant que pho­to­graphe et artiste. Ainsi, j’aurais quelque chose à lais­ser à mes enfants, car nous vivons sur la retraite de mon épouse. » L’homme parle dou­ce­ment, len­te­ment. Il donne ain­si corps et mots à sa vie tumul­tueuse. Il pose sa voix, méti­cu­leu­se­ment, sans jamais hési­ter sur ses sou­ve­nirs. Ils sont là, pré­sents de façon évi­dente. Sur le visage très mobile passent les ombres d’une mémoire sou­vent dou­lou­reuse. L’amusement, aus­si, une légère dis­tance iro­nique avec les évè­ne­ments. Et puis l’étonnement et l’indignation quand il évoque cer­tains épi­sodes de sa vie : Drancy, Aloïs Brunner, le fas­cisme et le colonialisme.

« Sur le visage très mobile passent les ombres d’une mémoire sou­vent dou­lou­reuse. L’amusement, aus­si, une légère dis­tance iro­nique avec les évènements. »

Parfois, il arrive qu’Adolfo Kaminsky s’illumine : lorsqu’il parle de sa famille et de son tra­vail de pho­to­graphe. Les yeux de ses enfants portent la trace, intense, du vert de son regard de jeune homme : Sarah, comé­dienne, José — plus connu sous son nom de rap­peur, « Rocé » — et Atahualpa — pré­nom­mé ain­si en hom­mage au poète et chan­teur argen­tin Atahualpa Yupanqui. Trois enfants qu’il a eus avec Leïla, son épouse algé­rienne, éga­le­ment pho­to­graphe à ses heures, ren­con­trée dans le désert du Grand Sud alors qu’elle était étu­diante en droit dans les années 1970. « Je suis très fier de mes trois petits », glisse-t-il sou­dain sur le ton de la confi­dence, incli­nant sa longue sil­houette vers les pho­tos des petits-enfants Kaminsky que com­mente Sarah. Des sou­rires percent dans la conver­sa­tion : Adolfo Kaminsky a, sans conteste, un humour très fin.

Le feu du pho­to­graphe couve encore dans sa voix. Si ce métier a consti­tué une cou­ver­ture com­mode pour son acti­vi­té de faus­saire, ain­si qu’un réel gagne-pain, il fut avant tout une sin­cère pas­sion. Stéphane Burlot, pho­to­graphe pré­sent le jour de l’entretien, s’agite autour de lui en un bal­let dis­cret : Adolfo Kaminsky observe, sans jamais prendre la pose, plus pro­fes­sion­nel que modèle : « Attendez, vou­lez-vous que j’ouvre les rideaux, je suis à contre-jour ? » Puis, inter­rom­pant sou­dain ses sou­ve­nirs égre­nés et se tour­nant vers l’appareil de Stéphane : « C’est un Leica ? C’est du numé­rique, oui ? C’est beau, mais c’est lourd. » Le geste est pré­ve­nant et doux. Quand le pho­to­graphe décide d’utiliser un flash, le modèle s’agite : « Il fal­lait me le dire, j’aurais sor­ti un pied. » Un livre réunis­sant les très nom­breux cli­chés de son père ain­si qu’une expo­si­tion sont pré­vus en 2017, nous informe Sarah.

[Stéphane Burlot | Ballast]

Aux origines d’un engagement

Interrogé sur ce qui a for­gé son par­cours, Adolfo Kaminsky réflé­chit d’abord lon­gue­ment avant de nous livrer deux faits fon­da­teurs. En pre­mier lieu, l’exil for­cé en Argentine que subirent ses parents. Fuyant les pogroms tsa­ristes, ils s’installèrent d’abord en France, « pays des droits de l’Homme », d’où ils furent expul­sés après la Révolution russe de 1917, dési­gnés comme « rouges ». Quand ils essaie­ront d’y reve­nir, un autre périple sans fin mène­ra les Kaminsky de Buenos Aires à Marseille, avant qu’ils ne soient expul­sés vers la Turquie. Un nou­vel exil sur les bords du Bosphore, dans une extrême misère, lais­se­ra des traces indé­lé­biles. Là, c’est un enfant sidé­ré qui apprend la valeur des papiers d’« iden­ti­té », pré­cieux sésame — seul via­tique pos­sible pour se doter d’une exis­tence juri­dique, donc plus stable. Il intègre rapi­de­ment que celui qui n’a pas de papiers est condam­né à une exis­tence fan­to­ma­tique. Le sans-papier est un « paria », au sens défi­ni par Hannah Arendt — celui qui est condam­né à être en-dehors de la socié­té. Les papiers d’identité, il le com­prend, donnent « le droit d’avoir des droits », et notam­ment celui de béné­fi­cier de la pro­tec­tion d’un État.

« Ils lui avaient racon­té ce qui s’y pas­sait, c’est-à-dire les chambres à gaz et les expé­riences médi­cales sur les inter­nés. »

Tout juste ado­les­cent, Adolfo perd sa mère dans des cir­cons­tances troubles. Cette der­nière est retrou­vée morte sur une voie fer­rée, à Paris. On annonce à la famille qu’elle serait tom­bée d’un train en marche. Pourtant, des années après, Adolfo s’interroge encore sur cette mort. Sa mère s’était en effet ren­due dans la capi­tale afin d’avertir son frère, Léon, qu’il était recher­ché par la Gestapo… Autre évè­ne­ment pilier pour Adolfo : son inter­ne­ment à Drancy. Au cours de l’été 1943, toute la famille, qui vit alors en Normandie, est arrê­tée. Dans le train en route vers le camp, le frère aîné d’Adolfo, Paul, a la pré­sence d’esprit d’écrire plu­sieurs lettres à l’intention du consul d’Argentine en pré­ci­sant les noms de cha­cun d’entre eux, récla­mant la pro­tec­tion du pays au nom de leur citoyen­ne­té. Il sème ces cour­riers tout au long du voyage, dans l’espoir que quelqu’un les trouve et les poste — espoir d’un geste de soli­da­ri­té ano­nyme qui se pro­dui­ra effectivement.

À Drancy, on sélec­tionne les gens pour aller « tra­vailler » en Allemagne — c’est du moins ce qu’on leur dit : « J’ai été très mar­qué par mon inter­ne­ment. On nous disait que des enfants, des bébés, par­taient en Allemagne pour y être employés. J’ai même vu une femme de 104 ans sur un bran­card, dont on disait qu’elle allait tra­vailler là-bas. On pre­nait les gens pour des imbé­ciles. Depuis 1942, on savait. Mon père avait reçu des anciens du Bund3, des Allemands qui fuyaient le nazisme. Ils lui avaient racon­té ce qui s’y pas­sait, c’est-à-dire les chambres à gaz et les expé­riences médi­cales sur les inter­nés. Radio Londres, dès 1942, avait dif­fu­sé des mes­sages à ce sujet. Et ensuite on n’en a plus par­lé. Mais c’était connu et recon­nu. » Le direc­teur du camp est Aloïs Brunner. L’un des maîtres d’œuvre les plus achar­nés de l’extermination des Juifs d’Europe, notam­ment en France. Ce res­pon­sable nazi, qui aimait à ins­pec­ter les pri­son­niers sur les­quels il avait droit d’enfer ou de mort, s’arrête devant le jeune Adolfo. Ce der­nier sou­tient son regard sans cil­ler. « Il avait l’habitude que les gens plient devant lui, mais pour moi ce n’était pas pos­sible. Et il n’y avait aucune rai­son. Je n’avais pas à bais­ser la tête et je le regar­dais droit dans les yeux », dit-il avec une indi­gna­tion intacte plus de soixante-dix ans plus tard.

[Stéphane Burlot | Ballast]

C’est alors que l’une des lettres de Paul arrive à des­ti­na­tion ; le consu­lat d’Argentine inter­vient et les Kaminsky sont libé­rés au bout de trois mois. Ils sont à Paris, sans le sou, sou­mis aux lois anti­juives qui plombent le quo­ti­dien déjà gris. Puis, « un beau matin, la police fran­çaise est arri­vée et a ramas­sé tout le monde — moi avec —, et c’était Drancy à nou­veau. Pour mon cas, on a dit que c’était une erreur, et on m’a relâ­ché. Mais les res­sor­tis­sants argen­tins étaient arrê­tés à ce même moment car les rela­tions diplo­ma­tiques avec l’Argentine étaient rom­pues, et j’ai eu de la chance, à quelques heures près, d’avoir été libé­ré pour la seconde fois ». Suite à un cafouillage admi­nis­tra­tif, les Kaminsky sont à nou­veau relâ­chés. « J’ai sur­vé­cu au camp de Drancy. J’y ai pas­sé trois mois et j’ai vu dépor­ter des mil­liers de per­sonnes. Et c’est assez culpa­bi­li­sant, quand tout le monde a dis­pa­ru, d’être celui qui reste. » Tout l’engagement d’Adolfo tient dans ce « assez culpa­bi­li­sant », sur lequel il ne s’attarde pas. Une fois à Paris, la famille se disperse.

Un authentique faussaire

« Tu sais reti­rer les taches d’encre ?, me deman­da-t-il. Oui. Et les encres indé­lé­biles ? Je lui ai répon­du qu’il n’existait pas d’encre indé­lé­bile. »

Adolfo est libre mais il doit se cacher, et tra­vailler. Pas simple à conci­lier. « Il fal­lait des faux papiers et il fal­lait dis­pa­raître. C’est là que mon père m’a trou­vé un contact. J’avais ren­dez-vous avec un jeune des EIF, mais cela, je ne le savais pas du tout. Il m’a dit : On se voit en face de la facul­té de méde­cine, à telle heure, juste en-des­sous de la sta­tue. Il m’a dit qu’il aurait un jour­nal à la main. On s’est trou­vés. Il m’a deman­dé alors quel nom je vou­lais prendre, je l’ignorais. Il m’a dit Keller car il fal­lait gar­der les mêmes ini­tiales, A.K. Adolphe Julien Keller, cela fait alsa­cien. » Adolfo détaille le sou­ve­nir de cette ren­contre fon­da­men­tale. « Il me dit : J’indique que tu es étu­diant. J’ai répon­du : Non, je dois tra­vailler, je n’ai pas un sou. J’ai pré­ci­sé : Je suis tein­tu­rier. Mon contact s’est ren­du compte, et moi aus­si du coup, que j’avais des connais­sances utiles. Tu sais reti­rer les taches d’encre ?, me deman­da-t-il. Oui. Et les encres indé­lé­biles ? Je lui ai répon­du qu’il n’existait pas d’encre indé­lé­bile. » Enfant sans diplôme atti­ré par la pein­ture (« Mes parents ont détruit toutes mes toiles pour ne pas que j’envisage d’en faire un métier ! »), la chi­mie, et plus tard la pho­to­gra­phie, ce sin­cère pas­sion­né d’encre et de papier fut très vite inté­gré comme appren­ti dans une tein­tu­re­rie où il acquit les tech­niques néces­saires pour effa­cer les taches, même les plus redou­tables, et blan­chir comme noir­cir les tis­sus. « Je suis alors arri­vé dans le labo­ra­toire de la 6e. Ils étaient tous éton­nés de toutes les trou­vailles tech­niques que j’apportais, qui ont été ensuite par­ta­gées avec tous les autres labo­ra­toires de France. Nous sommes deve­nus un labo­ra­toire clan­des­tin très actif », raconte-t-il. Une heure de som­meil, trente vies.

Le syndrome de madame Drawda

Et puis il y a madame Drawda, rue Oberkampf. Une Française juive per­sua­dée que jamais la France ne les livre­ra, elle et ses quatre enfants, à l’occupant nazi. Quand Adolfo Kaminsky, ombre qui se glisse dans la nuit, vient l’avertir d’une rafle pro­chaine par la police fran­çaise et lui pro­po­ser des faux papiers, madame Drawda s’en irrite presque. N’est-elle pas fran­çaise depuis plu­sieurs géné­ra­tions ? N’est-elle pas une per­sonne hon­nête ? Son refus de fuir avec les faux papiers est net. Adolfo Kaminsky en parle encore avec dou­leur : « Sous l’Occupation, il y a avait la police de Pétain. Cette femme ne se ren­dait pas compte qu’il s’agissait de col­la­bo­ra­tion. Pétain a fait tout ce que les Allemands ont vou­lu. Elle consi­dé­rait qu’elle était une citoyenne du pays, qu’elle n’avait rien fait de mal. » Adolfo se rai­dit un peu plus, hoche la tête et mur­mure : « Elle ne se ren­dait pas compte… » Cette mère et ses quatre enfants, morts d’avoir cru en la France de Pétain, ceux-là ont han­té sa mémoire. Il n’en dit pas plus, lais­sant pla­ner un long silence.

[Stéphane Burlot | Ballast]

Le Juif athée qu’il est accorde une place à l’injonction biblique du Zakhor, « Souviens-toi » ; il conclut sim­ple­ment, après avoir rela­té ce drame : « Je leur ai fait une place dans mes sou­ve­nirs. Les Juifs fran­çais étaient dans le piège du maré­chal Pétain. Ils étaient fran­çais, ils étaient en règle, ils avaient fait la guerre ou leur ser­vice mili­taire, ils ne se ren­daient pas compte. Jusqu’au bout. Ils pen­saient y échap­per. » Il se sou­vient par­ti­cu­liè­re­ment d’anciens offi­ciers de la Première Guerre mon­diale, inter­nés comme lui dans le camp de Drancy. Bardés de médailles obte­nues pour la France, ces mili­taires étaient tous juifs ; tous croyaient que le « héros de Verdun », leur héros, le maré­chal Pétain, leur serait loyal. Le vieil homme se sou­vient, là aus­si : « J’ai été inter­né dans un camp avec des offi­ciers de la guerre de 1914 hau­te­ment gra­dés, des grands bles­sés… tous ces offi­ciers disaient du maré­chal Pétain que c’était leur Maréchal, qu’il ne leur ferait jamais de mal. Mais un beau matin, la police fran­çaise est arri­vée, on a ramas­sé tout le monde, moi com­pris, et Drancy à nou­veau. Mais eux ont tout de suite été dépor­tés, et ensuite ça a été le four. » Court silence, puis : « Pétain a fait tout ce que les Allemands ont vou­lu. » Silence à nou­veau. Très long, cette fois.

Du bon sens

« Mais un beau matin, la police fran­çaise est arri­vée, on a ramas­sé tout le monde, moi com­pris, et Drancy à nou­veau. Mais eux ont tout de suite été dépor­tés, et ensuite ça a été le four. »

Quels sont donc les res­sorts — poli­tiques, phi­lo­so­phiques ou éthiques — de cet homme qui a ris­qué sa vie, sans rien attendre en retour, pour sau­ver celle des autres ? Dans quelles forces a‑t-il pui­sé pour accep­ter de se rui­ner les yeux, la san­té, devoir long­temps mettre de côté sa vie sen­ti­men­tale comme ses aspi­ra­tions artis­tiques ? Dans les idées mar­xistes de son père, peut-être ? Ce Juif russe exi­lé en Argentine, pigiste pour le jour­nal du Bund. Ce père trop juif pour les Russes, trop « rouge » pour la France, qui aura connu une vie d’expulsions. Tous les enfants Kaminsky naî­tront à Buenos Aires, acqué­rant ain­si la natio­na­li­té argen­tine, qui les sau­ve­ra un temps sous l’Occupation. Quand on inter­roge Adolfo sur les concep­tions poli­tiques qui auraient pu être à l’origine de son abné­ga­tion, il n’évoque aucune grande théo­rie. Seulement du bon sens. « Je connais­sais les idées de mon père, mais elles ne m’ont pas par­ti­cu­liè­re­ment influen­cé. » La reli­gion aurait-elle joué un rôle ? « C’était une édu­ca­tion tota­le­ment laïque. Nous n’avions pas de reli­gion. »

Ni édu­ca­tion sco­laire, ni lec­tures : « On a eu une édu­ca­tion nor­male, l’école pri­maire, c’est tout. D’ailleurs, quand je suis entré dans le monde du tra­vail, j’avais 13 ans. » Alors quoi, mon­sieur Kaminsky ? « Mes parents m’ont appris qu’un être humain égale un autre être humain. Qu’il soit blanc, noir, quelle que soit sa reli­gion, sa croyance. C’est un être humain, et tous sont égaux. C’était cela, ma bataille. Il n’y a pas de reli­gion supé­rieure, il n’y a pas de race supé­rieure, il n’y a pas de natio­na­li­té supé­rieure. La race humaine est seule et unique. Les gens uti­li­saient le racisme, c’est com­plè­te­ment imbé­cile, car les races n’existent pas », répon­dra-t-il sim­ple­ment. Mais encore ? Rien du côté du Parti com­mu­niste, des len­de­mains qui chantent, de la lutte des classes ? Aucune influence, vrai­ment ? Tout juste admet­tra-il : « Philosophiquement, je me sen­tais paci­fiste. » Puis il mur­mure, comme pour lui-même : « J’étais contre la vio­lence et même contre la mort de l’ennemi. Ce n’est pas comme cela qu’on résout les pro­blèmes, en s’entretuant. »

[Stéphane Burlot | Ballast]

Dès le début de son acti­vi­té de faus­saire, Adolfo Kaminsky évi­ta l’engagement par­ti­san et refu­sa tou­jours d’être payé pour ses acti­vi­tés. Ne pas être payé signi­fiait pour lui n’avoir à obéir à aucun ordre et, plus impor­tant encore, ne pas être consi­dé­ré comme un mer­ce­naire : « Être payé, c’est être dépen­dant. Quand quelque chose ne me plai­sait pas, je le disais et je ne le fai­sais pas. Car dans tous les mou­ve­ments, quels qu’ils soient, il y a tou­jours des extré­mistes, des gens vio­lents, même pour la bonne cause. Je disais alors, Oui, là je fais et Là, non, je ne suis pas d’accord. J’ai évi­té ain­si pas mal de morts, de tous côtés. Si j’avais été payé, je serais deve­nu un employé qui aurait dû obéir et exé­cu­ter. J’étais donc indé­pen­dant ; quelle que soit la force du par­ti poli­tique, je pou­vais dire des choses comme Là je ne suis pas d’accord. Je pense que j’ai évi­té ain­si pas mal de désastres », ajoute-t-il en sou­riant. L’encartage dans un groupe poli­tique ne lui sem­blait pas non plus com­pa­tible avec ses acti­vi­tés : « Je n’étais pas enga­gé dans un par­ti, car être enga­gé signi­fie être connu. On ne peut pas mener une action clan­des­tine en étant dans un par­ti offi­ciel. » Il ajoute : « Je ne suis jamais d’accord à 100 %. Donc je fais ce pour quoi je suis d’accord, et pas les choses qu’un par­ti veut impo­ser, même si c’est la bonne cause. Il y a plu­sieurs façons de se battre. »

« Si j’avais été payé, je serais deve­nu un employé qui aurait dû obéir et exé­cu­ter. »

Deux épi­sodes de ses acti­vi­tés de faus­saire illus­trent ce refus d’obéissance. Le pre­mier se passe sous l’Occupation, quand l’un de ses amis lui demande de l’aide, sous cou­vert de réunir tous les cou­rants de résis­tance juifs (les EIF et la 6e, le Mouvement de la jeu­nesse sio­niste et l’Armée juive) sous l’appellation d’une hypo­thé­tique « Légion juive ». Il le lui assure, la volon­té de réa­li­ser cette union a direc­te­ment pour ori­gine des direc­tives de Londres, d’ailleurs des armes sont prêtes à être livrées — c’est du moins ce qu’il affirme au jeune Adolfo. Pour cela, il lui faut tous les noms et adresses des membres du labo­ra­toire de la rue des Saints-Pères et des autres réseaux. Refus caté­go­rique du jeune faus­saire. Kaminsky ne don­ne­ra aucun nom, même à son cher ami Ernest. Il n’en livre­ra aucun, au risque de perdre l’amitié de cette figure tuté­laire, ren­con­trée à Drancy. Leurs liens se dénoue­ront alors ; le temps don­ne­ra rai­son à Adolfo, qui aura sau­vé son ate­lier. L’agent de Londres men­tion­né par Ernest, qui avait fait la demande de liste, se révé­la être un membre de la Gestapo. Dans cette opé­ra­tion, tous les prin­ci­paux res­pon­sables des MJS et de l’AJ furent arrê­tés. Et liquidés.

L’aliyah4 des rescapés des camps

Après la guerre, le jeune homme refuse de reprendre ses acti­vi­tés. Terminé les bains de chi­mie, les nuits com­plètes à veiller. L’heure est à par­cou­rir Paris, sa chambre de bois sous le bras, à prendre les cli­chés d’une ville, certes libre, mais encore endo­lo­rie et vide. C’est à cette période qu’il est appro­ché par un ancien membre de l’Armée juive qui lui demande, de nou­veau, de pro­duire de faux papiers pour les res­ca­pés juifs lais­sés à l’abandon, et pour ceux, citoyens ven­dus par les pays euro­péens qui les ont livrés sans états d’âme aux nazis. Se posait désor­mais pour eux cette ques­tion : où aller ? Adolfo Kaminsky reprend ses acti­vi­tés de faus­saire afin d’aider les res­ca­pés des camps à émi­grer vers la Palestine. D’abord réti­cent, il finit par accep­ter après s’être ren­du briè­ve­ment en Allemagne pour consta­ter par lui-même le sort de ces res­ca­pés. Là, aux abords d’un camp, il voit des hordes d’enfants, tota­le­ment lais­sés à l’abandon, errant dans les bois avoisinants.

[Stéphane Burlot | Ballast]

Aujourd’hui, il se sou­vient encore de ces gens qui y vivaient, pré­sences fan­to­ma­tiques aux vête­ments rayés, atten­dant un visa pour la Palestine. Adolfo nous raconte cette visite dans ce camp libé­ré, qui l’a tant mar­qué : « Ils n’avaient nulle part où aller. Ils ne vou­laient plus retour­ner en Pologne, ni en Allemagne, car ils avaient été tra­his. La Palestine était sous pro­tec­to­rat bri­tan­nique et seul un très petit nombre avait le droit d’y aller par année. Ces gens-là étaient res­tés dans les camps, ils n’étaient plus mal­trai­tés, ils étaient mieux nour­ris, mais ils mou­raient quand même dans la misère. C’étaient des Polonais, des Français… Tous ces gens ne vou­laient plus être étran­gers dans leur pays. En Palestine, les deux com­mu­nau­tés vivaient encore en paix, les Juifs et les Arabes, ils coha­bi­taient. Cela aurait pu conti­nuer ain­si, c’était très bien. J’avais moi-même l’intention d’y aller mais quand il y a eu la créa­tion de l’État d’Israël avec une reli­gion d’État, pour moi c’était inad­mis­sible, c’était recom­men­cer les injus­tices et le racisme. » Adolfo Kaminsky ne se consi­dère pas comme sio­niste. Simplement, l’idée que chaque indi­vi­du, sur­tout s’il est en dan­ger, doit pou­voir cir­cu­ler libre­ment reste fondamentale.

« En Palestine, les deux com­mu­nau­tés vivaient encore en paix, les Juifs et les Arabes, ils coha­bi­taient. Cela aurait pu conti­nuer ain­si, c’était très bien. »

C’est ain­si qu’il s’engage un temps au ser­vice de l’Aliyah Beth, un réseau clan­des­tin d’immigration des res­ca­pés des camps, jusqu’à ce que le groupe Stern, très actif, lui com­mande un jour un sys­tème d’horlogerie à retar­de­ment, visi­ble­ment des­ti­né à une action ter­ro­riste — chose à laquelle Adolfo, paci­fiste convain­cu, s’est tou­jours oppo­sé. L’attentat vise Ernest Bevin, ministre des Affaires étran­gères de Grande-Bretagne, grand oppo­sant à l’immigration juive et anti­sé­mite notoire. Mais Adolfo refuse de par­ti­ci­per à la mort de quelqu’un, même en sachant qu’un autre se char­ge­ra de le faire. Il fera le choix de fabri­quer la montre qui devait enclen­cher le déto­na­teur de la bombe… tout en s’assurant qu’elle ne puisse jamais exploser.

De l’antifascisme à l’anticolonialisme

Sans son enga­ge­ment pour les Algériens, le récit de la vie d’Adolfo Kaminsky serait incom­plet. Le faus­saire a en effet été membre des réseaux Curiel et Jeanson qui aidèrent à la lutte pour l’indépendance de l’Algérie. Là encore, il se révolte contre le racisme et l’injustice. Le sort des Algériens de métro­pole, vic­times de « dis­cri­mi­na­tion et humi­lia­tions publiques », lui est insup­por­table : « Toutes ces guerres, y com­pris la guerre d’Algérie, c’étaient des guerres inutiles. Pour l’Algérie, la déco­lo­ni­sa­tion était irré­ver­sible. Donc il fal­lait qu’il y ait le moins de morts des deux côtés. Je ne me suis pas bat­tu pour les Algériens contre les Français. C’était pour qu’ils ne s’entretuent pas et vivent en paix. C’était cela ma bataille. » Il se met, à nou­veau, à fabri­quer des faux papiers et par­ti­cipe à un pro­jet rocam­bo­lesque d’inonder la France de fausse mon­naie si le pays devait refu­ser d’ouvrir les négo­cia­tions. Mais les accords d’Évian sont signés, et l’énorme quan­ti­té de fausse mon­naie brûle en un grand feu de joie.

[Stéphane Burlot | Ballast]

Si la suite le désen­chante — révol­té qu’il est par les luttes fra­tri­cides entre les Algériens, deve­nus sou­ve­rains —, il demeure fier d’avoir contri­bué à ce com­bat : « Je suis un ancien moud­ja­hid pour l’Algérie », glisse-t-il en se redres­sant légè­re­ment. « On m’invite sou­vent là-bas ». « Là-bas », c’est ce pays où il vivra une dizaine d’années, dans la décen­nie 1970, pour y fon­der une famille. Et là encore, ses connais­sances en chi­mie se révèlent pré­cieuses : « J’ai créé en Algérie un labo­ra­toire spé­cia­li­sé pour aider les ouvriers à déter­mi­ner les tra­vaux dan­ge­reux et leur apprendre à se pro­té­ger. On m’a bom­bar­dé ingé­nieur en hygiène et sécu­ri­té. C’était mon titre. » Qu’Israël ne soit pas deve­nu un pays mixte et qu’une reli­gion d’État y soit la règle lui cause alors une autre grande dés­illu­sion. En tant qu’athée convain­cu, Adolfo Kaminsky n’entend plus faire son aliyah : ce qui l’intéresse, c’est la pers­pec­tive d’un pays soli­daire, col­lec­ti­viste et sur­tout laïc. Utopiste ? « Oui, en un sens je suis et reste uto­piste. Pour moi, l’égalité abso­lue doit être la seule base », reconnaît-il.

« Là-bas, c’est ce pays où il vivra une dizaine d’années, dans la décen­nie 1970, pour y fon­der une famille. »

D’autres causes sui­vront : des luttes de libé­ra­tion sud-amé­ri­caines à celles menées contre le Portugal de Salazar, l’Espagne de Franco, la Grèce des colo­nels, contre l’apartheid et en sou­tien à l’ANC — mis­sion qui sera pour lui la der­nière, sa clan­des­ti­ni­té lui étant moins évi­dente à garan­tir. De faux papiers encore, tou­jours, des causes à sou­te­nir, à aider, avec la paix en ligne de mire. Et aujourd’hui, pour quelle cause s’engagerait-il ?, lui deman­dons-nous. Adolfo réflé­chit : « Des causes, il y en a des mil­liers. Il y a aujourd’hui tous ces gens qui fuient leur pays en guerre, mais ce n’est pas pos­sible, cela a pris des pro­por­tions qui ne devraient pas exis­ter. » Et puis le monde actuel, où tout devient imma­té­riel, papiers d’identité comme argent, l’indiffère : « On peut tou­jours fal­si­fier des papiers. Mais c’est un autre monde ; il y a les gens qui traquent les cartes ban­caires, qui arrivent à sor­tir de l’argent d’autres per­sonnes par Internet. Je ne connais pas ce monde et il ne m’intéresse pas. »

Quand on évoque avec lui les bases de don­nées qui recensent les noms de tant de per­sonnes sous pré­texte de « sécu­ri­té », il hausse légè­re­ment les épaules et répond : « De toute façon le monde ne change pas. Malheureusement. Ce qui dif­fère, ce sont les appel­la­tions, c’est tout. » Adolfo Kaminsky en convient : il est dif­fi­cile de déter­mi­ner contre quoi lut­ter, désor­mais, dans une socié­té où tout semble dilué et sans élan. « Aujourd’hui, on est dans une guerre de l’argent. Les tra­vailleurs sont pres­sés au maxi­mum, on ne parle que d’emplois sup­pri­més. C’est l’argent avant tout, l’argent pour enri­chir les riches. C’est cela, la France d’aujourd’hui. L’argent et les inté­rêts de quelques-uns. » Mais, éter­nel opti­miste, Adolfo tem­père : « Il y a l’espoir du réveil de la conscience des gens. Moi, je ne peux plus rien faire. S’ils ne se réveillent pas, ils le regret­te­ront... »

[Stéphane Burlot | Ballast]

Un faussaire sans papiers

Quel para­doxe pour ce faus­saire que de s’être retrou­vé si sou­vent sans papiers ! On pour­rait y voir un clin d’œil facé­tieux de la vie. Au len­de­main de la guerre, Adolfo Kaminsky est mena­cé d’une mesure d’éloignement, faute de pou­voir prou­ver sa natio­na­li­té. Il s’en indigne. Et quand il rejoint le réseau de l’Aliyah Beth, les pre­miers papiers qu’il fabrique sont… pour lui, lui qui a com­bat­tu pour la libé­ra­tion d’un pays dans lequel il estime alors désor­mais avoir toute sa place. Des années plus tard, l’histoire se répète en Algérie, quand il sou­haite épou­ser Leïla : Adolfo n’étant pas musul­man, le mariage doit être contrac­té à Genève. Et comme ce mariage n’a pas été enre­gis­tré en Algérie, son fils aîné, Atahualpa, sera décla­ré au consu­lat… argen­tin : « Ce n’était pas simple », admet-il, constam­ment éton­né de ces méandres admi­nis­tra­tifs qui enferment l’être humain dans des rets absurdes. Lorsqu’il décide de ren­trer en France à la fin des années 1980 en rai­son de la mon­tée de l’islamisme en Algérie, il se heur­te­ra au même écueil. Par ailleurs, « la recon­nais­sance de son pas­sé a pris du temps, par l’État fran­çais ». Nulle amer­tume dans sa voix : un simple constat.

Adolfo Kaminsky a tou­jours inter­ro­gé son action. Avec intran­si­geance. S’il fal­lait trans­gres­ser la loi pour sau­ver des gens, il l’a fait sans ater­moie­ments ni états d’âme. Mais il aura tou­jours été atten­tif à ce que ses connais­sances et son savoir-faire ne servent que des causes qui lui paraissent légi­times. Pour lui, toutes ses actions n’ont été que la suite logique de son enga­ge­ment dans la Résistance. Ses enfants eux-mêmes appren­dront sur le tard, et presque par hasard, le pas­sé de leur père. Sa fille, Sarah, lui consa­cre­ra un livre, basé sur leurs entre­tiens, Adolfo Kaminsky, une vie de faus­saire : « En 1944, j’ai com­pris que la liber­té pou­vait se gagner par la déter­mi­na­tion et la bra­voure d’une poi­gnée d’hommes. L’illégalité, tant qu’elle ne bafouait ni l’honneur ni les valeurs huma­nistes, était un moyen sérieux et effi­cace à envi­sa­ger. À ma façon, et avec les seules armes à ma dis­po­si­tion — celles des connais­sances tech­niques, de l’ingéniosité et des uto­pies inébran­lables —, j’ai pen­dant presque trente ans com­bat­tu une réa­li­té trop pénible à obser­ver ou à subir sans rien faire, grâce à la convic­tion de déte­nir le pou­voir de modi­fier le cours des choses, qu’un monde meilleur res­tait à inven­ter et que je pou­vais y appor­ter mon concours. Un monde où plus per­sonne n’aurait besoin d’un faus­saire. J’en rêve encore. » Au cours de la conver­sa­tion, nous lui par­lons d’une petite fille de notre connais­sance, âgée de 8 ans, incon­so­lable depuis qu’elle a appris l’existence de ces camps où des enfants de son âge ont per­du la vie. Cette petite fille n’a pu être cal­mée qu’en appre­nant que des hommes comme lui exis­taient ; Adolfo, atten­tif, se tait, sou­rit de nou­veau et dit, légè­re­ment : « Je sers au moins à quelque chose. »


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  1. Éclaireurs israé­lites de France.[]
  2. Mensch signi­fie, en alle­mand, « être humain ». Et, en yid­dish, « per­sonne d’in­té­gri­té et d’hon­neur ».[]
  3. Fondé en 1897, ce mou­ve­ment enten­dait défendre les Juifs dans une optique socia­liste et anti­sio­niste.[]
  4. L’aliyah est un mot hébreu dési­gnant l’acte d’im­mi­gra­tion en « Terre sainte » par un Juif.[]

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