Trump — Ne pleurez pas, organisez-vous !


Texte inédit pour le site de Ballast

« Il y a deux façons de réagir à cette situa­tion : nous pou­vons culpa­bi­li­ser le peuple des États-Unis ou accu­ser l’élite du pays — les médias et les chefs démo­crates — qui a orga­ni­sé cette défaite, dont le peuple amé­ri­cain paye­ra les frais durant long­temps », avance Richard Greeman, tra­duc­teur amé­ri­cain, direc­teur de la Fondation inter­na­tio­nale Victor Serge et cofon­da­teur du centre russe Praxis Research and Education. Il revient ici sur le résul­tat — « tru­qué » — de l’é­lec­tion qui oppo­sa, la semaine pas­sée, la can­di­date « sélec­tion­née par Wall Street et les barons du Parti démo­crate » au mil­liar­daire qui se fit pas­ser pour « l’unique cham­pion de la classe ouvrière ». Et appelle à l’u­ni­té des voix cri­tiques contre l’esta­blish­ment. ☰ Par Richard Greeman


trumpVoilà près d’une semaine que des dizaines de mil­liers d’Américain.e.s des­cendent dans la rue, dans des dou­zaines de villes, afin de crier « Pas notre pré­sident ! ». Nous scan­dons aus­si « Nous ne lais­se­rons pas gagner la haine ! / Ici com­mence le tra­vail ! » et « Ne pleu­rez pas, orga­ni­sez-vous ! » (les der­nières paroles du mili­tant syn­di­ca­liste Joe Hill, fusillé en 1915). Les foules sont jeunes, majo­ri­tai­re­ment fémi­nines, mais leur révolte est aus­si celle de l’éditorialiste du véné­rable heb­do­ma­daire pro­gres­siste The Nation : « Si nous nous reti­rons dans notre deuil et aban­don­nons les plus mena­cés par la vic­toire de Trump, l’Histoire ne nous par­don­ne­ra jamais. C’est l’heure de sus­ci­ter une déso­béis­sance civile mas­sive non-vio­lente quo­ti­dienne, telle qu’on n’en a pas vue dans ce pays depuis des décen­nies. Bienvenue dans la lutte1 ! »

Les manifestant.e.s ont bien rai­son de crier « Trump n’est pas notre pré­sident ». À l’heure où nous écri­vons ces lignes, le décompte des suf­frages n’est pas encore fini, mais il est clair qu’Hillary Clinton a reçu deux mil­lions de voix de plus que Trump, au niveau natio­nal. Aussi, près de la moi­tié des élec­teurs, dégoû­tés, n’ont pas voté, alors que les par­tis mino­ri­taires de droite et de gauche ont reçu 5 % des suf­frages. Loin d’avoir été plé­bis­ci­té, Trump n’est pré­sident-élu que par la grâce de l’archaïque Collège élec­to­ral. Quand Bush, natio­na­le­ment mino­ri­taire, a été « élu » de la même manière, en 2000, cela fit long­temps scan­dale. Aujourd’hui, les médias ne s’en plaignent pas — alors que déjà quatre mil­lions d’électeurs ont signé une péti­tion afin de rendre le vote popu­laire défi­ni­tif. Les pre­mières mani­fes­ta­tions ont été lar­ge­ment igno­rées par les médias, qui repre­naient le tweet de leur cible, Donald Trump : « Maintenant des mili­tants pro­fes­sion­nels, inci­tés par les médias, pro­testent. Très injuste ! » Silence radio, aus­si, sur les mul­tiples inci­dents racistes et homo­phobes qui ont sui­vi la vic­toire de Trump : véri­table déchaî­ne­ment de svas­ti­kas, d’in­sultes eth­niques, d’a­gres­sions dans les écoles et les rues de la part de ses par­ti­sans triom­phants. On fait silence, encore, sur le témoi­gnage des ins­ti­tu­teurs quant aux enfants his­pa­niques ter­ri­fiés, deman­dant s’ils vont être expul­sés.

« Loin d’avoir été plé­bis­ci­té, Trump n’est pré­sident-élu que par la grâce de l’archaïque Collège électoral. »

Au contraire, les élites des deux par­tis res­pon­sables de cette débâcle anti-démo­cra­tique sont en train de fer­mer les rangs. Obama invite Trump à la Maison Blanche pour lui affir­mer que « nous vou­lons faire tout ce que nous pou­vons pour vous aider à réus­sir, car si vous réus­sis­sez, le pays réus­si­ra2 ». Avec les deux chambres bour­rées de répu­bli­cains de droite et avec, bien­tôt, une majo­ri­té inébran­lable à la Cour suprême, Trump ne man­que­ra pas de réus­sir… à cri­mi­na­li­ser les immi­grés, à s’at­ta­quer au droit à l’avortement, à per­sé­cu­ter les musul­mans, à sup­pri­mer la pro­tec­tion des patients et les soins abor­dables (Obamacare), à sor­tir les USA des trai­tés sur l’environnement, à déré­gu­ler les mar­chés finan­ciers, à ajou­ter des avan­tages fis­caux en faveur des « 1 % », à construire de nou­velles pri­sons pri­vées, à ren­for­cer la sur­veillance des citoyens et les vio­lences poli­cières contre les Noirs et les dis­si­dents. Et Obama ? Il s’engage à lui pré­pa­rer une tran­si­tion « sans heurts » — tout comme sa « tran­si­tion sans cou­ture » de 2008, avec Bush, dont Obama a repris les ministres et la poli­tique néo­li­bé­rale. Obama n’a pas tenu les pro­messes escomp­tées. Il a sau­vé Wall Street au dépens de Main Street [« la rue », ndlr], expul­sé deux mil­lions d’immigrés3, sabo­té les pour­par­lers cli­ma­tiques, inten­si­fié les guerres de Bush et en a enclen­ché de nou­velles. Ceci sans être vrai­ment contes­té à sa gauche. S’il y a une seule consé­quence posi­tive à la catas­trophe Trump, c’est qu’elle a enfin déchaî­né le mou­ve­ment popu­laire. Et loin de dimi­nuer avec les jours, le mou­ve­ment actuel semble s’organiser et se soli­di­fier. Il le fau­dra bien !

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11 novembre 2010 (DR)

Une surprise prévisible

Si la révo­lu­tion élec­to­rale empor­tée par Donald Trump est appa­rue comme une sur­prise, le dégoût pro­fond des citoyens pour les élites au pou­voir ne l’était guère. Ceux d’en bas, lais­sés pour compte par la « reprise » post-2008 aux béné­fices de ceux d’en haut, en avaient assez et récla­maient une révo­lu­tion poli­tique. Ce slo­gan fut repris avec suc­cès dans les pri­maires par le vieux socia­liste Bernie Sanders, dont la véri­table popu­la­ri­té a failli détrô­ner Hillary Clinton, la can­di­date démo­crate consi­dé­rée comme « inévi­table » par les médias et depuis long­temps sélec­tion­née par Wall Street et les barons du Parti démo­crate. Alors que, lors des pri­maires, Clinton fai­sait cam­pagne à huis clos dans des hôtels de luxe — où elle qué­man­dait le sou­tien finan­cier des ban­quiers et des tra­ders —, Bernie Sanders atti­rait des foules de 10 à 20 000 par­ti­sans enthou­siastes, bien orga­ni­sés dans toutes les cir­cons­crip­tions. Alors que les camé­ras sui­vaient Trump par­tout, les médias ne mon­traient pas les grands mee­tings des par­ti­sans de Sanders. Au contraire, par des manœuvres secrètes, plus tard mises en évi­dence par Wikileaks, les res­pon­sables média­tiques et les barons démo­crates ont tra­vaillé ensemble afin de mar­gi­na­li­ser sa can­di­da­ture, qua­li­fiée de « futile ». Néanmoins, Sanders ne ces­sait de mon­ter dans les son­dages, qui don­naient une majo­ri­té à « Bernie » contre « le Donald » dans une élec­tion géné­rale hypo­thé­tique. Ces son­dages, alors déli­bé­ré­ment igno­rés par les démo­crates, ont été confir­més par les résul­tats publiés cette semaine. « La carte de Trump par États, par­fois même par com­tés, res­semble sou­vent à un décalque de la carte des pri­maires démo­crates, Trump gagnant là où Sanders gagnait, dans cette fameuse cam­brousse amé­ri­caine délais­sée, bru­tale et cha­leu­reuse4. » Clairement, ces élec­teurs-là vou­lait une révo­lu­tion politique.

« Dès le pre­mier quart d’heure du pre­mier débat télé­vi­sé, Trump a pu se pré­sen­ter contre Clinton comme l’unique cham­pion de la classe ouvrière. »

Néanmoins, les chefs démo­crates se sont obs­ti­nés à impo­ser au Parti, par des manœuvres d’alcôve, la can­di­da­ture évi­dem­ment désas­treuse d’Hillary Clinton. Il s’agissait pour­tant d’un per­son­nage usé, et visi­ble­ment très impo­pu­laire à en croire les son­dages : sym­bole de l’arrogance des élites, char­gée de tout le bagage néga­tif des deux man­dats de son mari, dont la poli­tique néo­li­bé­rale et glo­ba­liste est consi­dé­rée comme res­pon­sable de la misère dans laquelle sont tom­bées des mil­lions de familles de tra­vailleurs, noirs et blancs confon­dus. Ces travailleurs/euses se savent vic­times de la fuite des emplois vers l’étranger, de la dés­in­dus­tria­li­sa­tion des États du Centre-Ouest et de la sup­pres­sion du « Welfare » (aide aux mères d’enfants dépen­dants) sous la pré­si­dence du couple Clinton. Pour nombre d’entre elles, comme pour les enthou­siastes de la « révo­lu­tion poli­tique » du vieux socia­liste, la nomi­na­tion de Clinton a été reçue comme un soufflet.

Le choix de la stra­té­gie élec­to­rale de l’élite démo­crate s’est avé­ré aus­si désas­treux et aus­si éloi­gné de la réa­li­té que leur choix de can­di­date. Convaincus de pos­sé­der les suf­frages de leur énorme base tra­di­tion­nelle (depuis Roosevelt et Johnson) — tra­vailleurs, mino­ri­tés eth­niques, libe­rals (pro­gres­sistes) —, les stra­tèges démo­crates, au lieu de les ral­lier, ont ciblé (tou­jours selon la révé­la­tion de leurs e‑mails) la mince tranche démo­gra­phique des « répu­bli­cains diplô­més » (qui, d’ailleurs, ont tous voté Trump). Clinton a à peine fait cam­pagne dans les régions dévas­tées — où les démo­crates n’ont pas réité­ré leur vote démo­crate de 2008 et 2012, pour Obama — et ne s’est pas adres­sée à la souf­france des masses pré­oc­cu­pées par l’inégalité crois­sante, la pré­ca­ri­té, le chô­mage, les bas salaires, le racisme et l’endettement. Elle incar­nait le sta­tu quo alors que tous récla­maient le chan­ge­ment. Ainsi, dès le pre­mier quart d’heure du pre­mier « débat » télé­vi­sé, Trump a pu se pré­sen­ter contre Clinton comme l’unique cham­pion de la classe ouvrière. Il lui a suf­fi d’évoquer la res­pon­sa­bi­li­té de Clinton dans l’imposition du désas­treux Accord de libre-échange nord-amé­ri­cain (ALENA ) de 1994 et de cla­mer son oppo­si­tion au Partenariat Trans-Pacifique (patron­né par les glo­ba­listes Obama et Clinton), qui risque de rui­ner défi­ni­ti­ve­ment ce qui reste de la fameuse « middle class » amé­ri­caine. Nous en avions assez enten­du ; il était temps d’é­teindre la télé­vi­sion car l’heure était tar­dive et qu’il fal­lait se lever tôt le len­de­main pour aller tra­vailler. Est-ce donc un si grand mys­tère que la rai­son pour laquelle les élec­teurs d’en-bas, pro­fon­dé­ment mécon­tents de l’esta­blish­ment et pri­vés de l’option d’une révo­lu­tion poli­tique de gauche, ont choi­si l’option d’une révo­lu­tion poli­tique de droite ?

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(DR)

Alors, à qui la faute ?

Il y a deux façons de réagir à cette situa­tion : nous pou­vons culpa­bi­li­ser le peuple des États-Unis ou accu­ser l’élite du pays — les médias et les chefs démo­crates — qui a orga­ni­sé cette défaite, dont le peuple amé­ri­cain paye­ra les frais durant long­temps. Blâmer le public amé­ri­cain, stig­ma­ti­ser la classe ouvrière blanche, c’est retom­ber dans ce même esprit de l’élitisme qui a enra­gé les élec­teurs de Trump — comme ce jour où Clinton a publi­que­ment trai­té les par­ti­sans de son adver­saire de « gens déplo­rables ». Évidemment, Trump dis­si­mule à peine son racisme et ne rejette pas les sou­tiens de l’ancien chef du Klu Klux Klan. Mais tous les élec­teurs de Trump ne sont pas des « bigots » (« racistes »). Pas plus que ne sont tous xéno­phobes les élec­teurs bri­tan­niques qui ont plé­bis­ci­té le Brexit. Selon l’analyste du New York Times, les sta­tis­tiques montrent que cette élec­tion a été déci­dée par des élec­teurs qui avaient voté Obama en 20125. Cette autre bombe avait éga­le­ment explo­sé « contre toute attente » de la part des élites, qui, emplies de confiance, avaient lan­cé ce réfé­ren­dum comme un bal­lon dans leurs jeux poli­tiques d’« Old Boys » — offrant ain­si aux masses des humi­liés du mon­dia­lisme néo­li­bé­ral une cible pour expri­mer leur alié­na­tion et leur colère. Une leçon qui fait réfléchir.

Une élection « truquée » ?

« Bernie Sanders ton­nait tous les jours contre l’inégalité, la guerre et la catas­trophe cli­ma­tique devant des mil­liers d’enthousiastes, sans être visible sur ces mêmes chaînes de télévision. »

Durant toute sa cam­pagne, Donald Trump dénon­ça le sys­tème élec­to­ral amé­ri­cain comme « tru­qué ». Il trai­tait les jour­na­listes de « libe­rals » (« pro­gres­sistes ») ; il accu­sait le Parti démo­crate et Clinton de mani­pu­la­tions finan­cières et poli­tiques frau­du­leuses (non sans rai­son, Wikileaks à l’appui) ; il évo­quait à tout moment le spectre de « mil­liers » d’électeurs frau­du­leux (enten­dez « immi­grés mexi­cains illé­gaux et noirs ») qui auraient été ame­nés aux urnes, en cars, par des agents démo­crates. Il encou­ra­geait ses fans à s’organiser (et à s’armer ?) afin de « sur­veiller » les bureaux de vote et les ins­ti­guait à se révol­ter si jamais il n’était pas élu, car l’élection aura été « volée ». L’ironie de cette élec­tion désas­treuse est qu’elle a bel et bien été « tru­quée », mais c’est Trump qui en a profité !

Commençons par le tru­quage média­tique. Trump lui-même en est à la fois une créa­tion et un maître mani­pu­la­teur. Avec son rea­li­ty show « L’Apprenti », Trump et la chaîne NBC ont créé un per­son­nage de super-homme d’affaires incar­nant la com­pé­tence, la déci­sion, l’autorité — un sur­homme capable de sau­ver le pays au bord de la catas­trophe par ses qua­li­tés de PDG qui a réus­si. Peu importe que les entre­prises de Trump fissent assez sou­vent ban­que­route et que ses cré­di­teurs (four­nis­seurs, arti­sans, employés, inves­tis­seurs) soient res­tés impayés. Trump, par des ruses qua­si-légales, s’en est sor­ti les poches pleines. Il y a la réa­li­té et puis il y a la vir­tual rea­li­ty, le « spec­tacle » situa­tion­niste incar­né. NBC et Trump ont ain­si révo­lu­tion­né la rela­tion entre les médias et la poli­tique, tout comme Roosevelt, Hitler et Churchill à l’époque des radios natio­nales. Ainsi, en tant que cele­bri­ty et media star, le can­di­dat Trump a béné­fi­cié d’une expo­si­tion constante en étant sui­vi par­tout par les camé­ras et en étant relayé par la presse au moindre tweet. Des chaînes de télé­vi­sion atten­daient en « live » l’arrivée de son avion à l’aéroport, où l’attendaient quelques cen­taines de fans. En revanche, Bernie Sanders ton­nait tous les jours contre l’inégalité, la guerre et la catas­trophe cli­ma­tique devant des mil­liers d’enthousiastes, sans être visible sur ces mêmes chaînes de télé­vi­sion. Ajoutons que pour sa cam­pagne, Hillary Clinton fut contrainte de dépen­ser chaque jour des mil­lions de dol­lars pour des spots publi­ci­taires alors que Trump, en tant que star, avait la publi­ci­té gra­tuite. Il n’avait qu’à signa­ler sa dis­po­ni­bi­li­té aux pro­duc­teurs des émis­sions poli­tiques pour y être invi­té. Ce qui ne l’a pas empê­ché de se plaindre conti­nuel­le­ment d’être vic­ti­mi­sé par des jour­na­listes hos­tiles — sur­tout ceux et celles qui, de temps à autre, lui rap­pe­laient les faits éta­blis der­rière ses mensonges.

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Bernie Sanders et le rappeur Killer Mike (AP/David Goldman)

Mais les médias mains­tream ont chan­gé leur fusil d’é­paule à par­tir du moment où leur star, nom­mée can­di­dat répu­bli­cain, ris­quait réel­le­ment d’être élu pré­sident des USA. Flairant le dan­ger, se ren­dant compte de leur res­pon­sa­bi­li­té, les jour­na­listes, typi­que­ment pro­gres­sistes, com­men­cèrent enfin à publier des repor­tages de fond sur ses ban­que­routes, ses employés impayés, ses impôts impayés, ses agres­sions sexuelles — toute une cam­pagne média­tique néga­tive qui rebon­dit iro­ni­que­ment à l’avantage de Trump, en confir­mant ses accu­sa­tions de « pré­ju­gés de gauche » vis-à-vis des médias et en ren­for­çant la méfiance des élec­teurs envers eux6. Le deuxième « truc » s’appelle la sup­pres­sion de votes, et il date de l’émancipation des esclaves en 1865. En effet, dès que les Noirs eurent obte­nu le droit de vote, les anciens escla­va­gistes prirent leurs fusils et endos­sèrent les capuches blanches du Klu Klux Klan afin de les empê­cher de voter. Le quin­zième amen­de­ment à la Constitution (1870) devait inter­dire ce ter­ro­risme raciste mais, dès lors, les sudistes ins­ti­tuèrent des obs­tacles bureau­cra­tiques : taxes, exa­mens sco­laires, lois contra­dic­toires, etc. Il fal­lut attendre presque un siècle avant que la Voting Rights Act (1965) réta­blisse le suf­frage pour les Noirs — à la suite des cou­ra­geuses batailles non-vio­lentes pour les Droits civiques. Alors, durant une géné­ra­tion, le nombre d’électeurs et d’élus noirs n’a ces­sé de gran­dir. Et l’élection, en 2008, d’un pré­sident métis sem­blait confir­mer cette vic­toire démocratique.

« On radie des listes des mil­lions d’électeurs ciblés par leur lieu de rési­dence (quar­tier noir ou his­pa­nique) ou leur nom typi­que­ment afro-amé­ri­cain (Roosevelt Brown) ou his­pa­nique (José Gonzalez). »

Hélas, aujourd’hui, les Noirs et autres mino­ri­tés eth­niques sont de nou­veau pri­vés du vote, suite à la main­mise des répu­bli­cains de droite sur la Cour suprême et sur les gou­ver­ne­ments des États fédé­raux, qui régle­mentent les élec­tions à leur avan­tage. Entre leurs mains, le décou­page des cir­cons­crip­tions élec­to­rales est fait de manière à iso­ler les élec­teurs noirs et diluer leur nombre. Sous pré­texte d’empêcher des votes frau­du­leux (infi­ni­ment rares), on radie des listes des mil­lions d’électeurs ciblés par leur lieu de rési­dence (quar­tier noir ou his­pa­nique) ou leur nom typi­que­ment afro-amé­ri­cain (Roosevelt Brown) ou his­pa­nique (José Gonzalez). Sont radiés, aus­si, des élec­teurs dont le nom et pré­nom res­semblent super­fi­ciel­le­ment à un autre élec­teur (par exemple, en igno­rant un deuxième pré­nom qui dif­fère) ou à celui d’un ancien pri­son­nier (nor­ma­le­ment pri­vé du droit de vote — autre règle­ment discriminatoire).

Dans plu­sieurs États, on refoule aux urnes les élec­teurs depuis long­temps ins­crits pour défaut d’une carte d’identité à pho­to spé­ciale et dif­fi­cile à obte­nir. On éli­mine sys­té­ma­ti­que­ment des bureaux de vote (860, cette année) alors que la popu­la­tion ne cesse d’aug­men­ter. Le jour du vote, la police de cer­taines cir­cons­crip­tions arrête, sous pré­texte de cli­gno­tant ou autre détail, des voi­tures char­gées de Noirs et d’Hispaniques (qui se groupent pour aller voter, n’étant pas pro­prié­taires d’autos). Bref, on retourne aux méthodes racistes de l’époque d’avant le Voting Rights Act de 1965. Ironiquement, à la veille de cette élec­tion-ci, la Cour suprême annu­lait les garde-fous que cette loi avait impo­sé aux États ségré­ga­tion­nistes — cela sous pré­texte que le Sud avait chan­gé et qu’on n’en avait plus besoin ! Il va de soi que presque tous ces élec­teurs rayés des listes par ces manœuvres bureau­cra­tiques racistes auraient voté démo­crate. Il est évident depuis long­temps que, pour gagner la pré­si­dence, le Parti démo­crate n’avait qu’à s’opposer fer­me­ment à ces mani­pu­la­tions dis­cri­mi­na­toires scan­da­leuses et à mener une cam­pagne d’inscriptions dans les cir­cons­crip­tions ciblées (comme l’avait pro­po­sé le mili­tant pour les droits civiques Jesse Jackson). Les démo­crates ne l’ont pas fait, même après le scan­dale de 2002, lorsque Bush a volé l’élection à Gore par de telles manœuvres en Floride. Pourquoi ? Parce que les élites démo­crates, mon­dia­listes et néo­li­bé­rales, comme leurs adver­saires répu­bli­cains, redoutent avant tout le pou­voir de la vile popu­lace, la colère des 99 % qui risquent de les balayer du pouvoir.

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(Jae C. Hong Associated Press)

Restons unis !

Non, Trump n’est pas notre pré­sident. L’élection a réel­le­ment été tru­quée — tout d’abord par le Collège élec­to­ral éli­tiste qui a esca­mo­té la majo­ri­té popu­laire démo­crate natio­nale. En effet, si l’on prend en compte les abs­ten­tions, les votes sup­pri­més, les votes des par­tis mino­ri­taires, Trump n’a reçu le suf­frage que d’environ 23 % des élec­teurs — presque tous blancs (hommes et femmes, riches et pauvres). Majoritaires, il nous fau­dra main­te­nant défendre nos droits et sur­tout ceux des femmes, des immi­grés, des tra­vailleurs et des mino­ri­tés : les plus vul­né­rables contre les­quels le régime répu­bli­cain 100 % réac­tion­naire va se déchaî­ner sys­té­ma­ti­que­ment. Ne comp­tons pas sur les élites du par­ti démo­crate qui, au contraire des élites répu­bli­caines contre Obama, par­ti­cu­liè­re­ment agres­sives, vont faire pro­fil bas et jouer à la conci­lia­tion. Surtout, ne nous divi­sons pas en culpa­bi­li­sant la fameuse classe ouvrière blanche — pas plus raciste que les autres Blancs —, qui, déjà, réclame à Trump de tenir sa pro­messe, celle d’arrêter immé­dia­te­ment les délo­ca­li­sa­tions7, et qui nous rejoin­dra au pro­chain tour­nant lors­qu’elle sera obli­gée de défendre ses inté­rêts contre la poli­tique éco­no­mique radi­ca­le­ment pro-busi­ness de Trump. « Unis, nous résis­tons. Divisés, nous tom­bons. »


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  1. « Welcome to the Fight », D. D. Guttenplan, The Nation, 9 novembre 2016.[]
  2. http://www.france24.com/fr/20161110-trump-obama-rencontre-maison-blanche-video-direct-live-president[]
  3. http://www.democracynow.org/2016/11/16/headlines/la_police_chief_says_he_wont_assist_trump_in_mass_deportation_plan[]
  4. « Ne pas jouer à se faire peur mais regar­der la réa­li­té en face », Vincent Présumey, Les blogs Médiapart, 9 novembre 2016.[]
  5. http://www.nytimes.com/2016/11/13/us/politics/voter-registration-election-2016.html?ref=todayspaper[]
  6. Glenn Greenwald, « Democrats, Trump, and the Ongoing, Dangerous Refusal to Learn the Lesson of Brexit », The Intercept, 9 novembre 2016.[]
  7. Nelson D. Schwartz, « Can Trump Save Their Jobs ? They’re Counting on It », New York Times, 12 novembre 2016.[]

REBONDS

☰ Lire notre abé­cé­daire d’Angela Davis, octobre 2016
☰ Lire notre abé­cé­daire de Noam Chomsky, sep­tembre 2016
☰ Lire notre entre­tien avec Angela Davis : « Nos luttes mûrissent, gran­dissent », mars 2015
☰ Lire notre article « Repenser le socia­lisme avec Victor Serge », S. Weissman, novembre 2014
☰ Lire la lettre-tes­ta­ment de Victor Serge (Memento)

Richard Greeman

Traducteur américain, directeur de la Fondation internationale Victor Serge et cofondateur du centre russe Praxis Research and Education.

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