Hélène Brion, entre féminisme et socialisme


Texte inédit pour le site de Ballast

Hélène Brion fut sym­pa­thi­sante révo­lu­tion­naire, mili­tante paci­fiste et fémi­niste. À l’heure où ceux d’en haut se roulent dans le même bain de boue ; à l’heure où les lais­sés-pour-compte font grin­cer les urnes ; à l’heure où les auto­ri­tés fran­çaises se réjouissent de cette « année record pour l’industrie de l’armement » ; à l’heure où d’au­cuns ricanent sur « la ter­reur fémi­niste », un tel tableau attire l’at­ten­tion. Brion fut incar­cé­rée pour ses idées (sous le régime d’un cer­tain Clemenceau) et consa­cra sa vie entière à l’é­ga­li­té entre les hommes et les femmes : être socia­liste est une condi­tion néces­saire à l’é­man­ci­pa­tion, mais non point suf­fi­sante — on peut tou­jours domi­ner plus domi­né que soi… ☰ Par Émile Carme


Une rue du trei­zième arron­dis­se­ment de Paris, à quelques pas de la Seine. Dix mètres de large pour plus de trois cents de long. Le ciel est triste et les immeubles se glissent dans ses plis — des blocs gris, blancs et briques. Près d’un petit parc à vélos, plus loin, une plaque bleue sur l’une des façades ; on y lit : « Hélène Brion 1882–1962 Enseignante mili­tante syn­di­ca­liste et fémi­niste ». Depuis 2005. Les rues peuvent encore nous par­ler quand nous ne les pre­nons plus que pour mar­cher. Brion est aujourd’­hui décrite comme l’une « des lea­ders fémi­nistes les plus actives de son époque1 ». Qui fut-elle donc, celle que l’on incar­cé­ra en 1917 dans la même pri­son que l’a­nar­chiste Louise Michel, quelques décen­nies aupa­ra­vant (et à qui on la com­pa­ra, d’ailleurs) ? Qui fut-elle, celle que l’his­to­rien William Guéraiche pré­sen­ta comme « l’un des fers de lance du fémi­nisme radi­cal2 » des années 1910 ? Qui fut-elle, celle que l’on sur­nom­ma la « fille spi­ri­tuelle de Jaurès » et qui se dres­sa contre, selon ses propres mots, « l’organisation de cette socié­té mas­cu­li­niste si étran­ge­ment construite3 » ?

« Rétablissons les chaînes, celles de la trans­mis­sion, pour ôter les autres que nous por­tons aux pieds. »

Elle naquit l’an­née où la flotte anglaise pilon­na Alexandrie, alors sous domi­na­tion bri­tan­nique, pour mou­rir peu avant la signa­ture des accords qui mar­quèrent la fin de la guerre d’Algérie — une vie de quatre-vingts ans. À che­val sur deux siècles : celui de la machine à vapeur, de la cara­bine, de l’am­poule et de la pho­to­gra­phie ; celui du laser, de la télé­vi­sion, du sty­lo-bille et de l’arme nucléaire. Fille d’un pré­nom­mé Léon Pierre, clerc, sous-chef de gare et sous-lieu­te­nant (il fut fait pri­son­nier lors de la bataille de Mézières, en 1870, qui oppo­sa, sinistre pré­lude d’os et de sang, la France et la Prusse) et d’une Octavie, elle-même fille d’un menui­sier et d’une cou­tu­rière. Il est d’u­sage de la pré­sen­ter, d’es­sais en menues bio­gra­phies, comme une orphe­line ; il n’en est rien : Brion fit elle-même savoir que son père « fut là et peu là » mais qu’elle lui devait « tout ». Ses parents divor­cèrent lors­qu’elle avait dix ans ; elle quit­ta son Auvergne natale pour gagner la capi­tale, deux années plus tard (la tour Eiffel fêtait alors ses cinq siennes), afin de pour­suivre ses études. Un témoi­gnage demeure, de l’une de ses ensei­gnantes : la jeune Brion était stu­dieuse, fière et digne. « Privée des ten­dresses de la famille, elle fut obli­gée d’ap­prendre bien­tôt à se diri­ger seule dans la vie4. » Comment par­ve­nait-elle à vivre, livrée ain­si à Paris ? Les infor­ma­tions manquent à ce sujet. On sait seule­ment que son père vint par la suite s’y ins­tal­ler, avant d’y mou­rir en 1902, à peine âgé de cin­quante ans.

Au terme d’un séjour d’une année en Allemagne, dans le cadre d’une bourse attri­buée par le conseil muni­ci­pal, Brion pas­sa le concours d’auxi­liaires, dans l’en­sei­gne­ment, le réus­sit puis exer­ça en région pari­sienne. Elle devint titu­laire cinq années plus tard. Nous sommes en 1911. On la décrit comme très pro­fes­sion­nelle, tour à tour rude et douce. Deux cli­chés pho­to­gra­phiques, par­mi les rares dont nous dis­po­sons, nous per­mettent de mettre un visage sur un nom : un por­trait, for­mat pièce d’i­den­ti­té, et une image prise devant le Conseil de guerre. La pre­mière la donne à voir le regard fixe, réso­lu ; long nez à l’a­rête assu­rée, pom­mettes larges, pau­pières bom­bées, che­ve­lure brune coif­fée vers l’ar­rière, lèvres fines, presque butées — un visage imper­tur­bable, comme les masques de Teotihuacan. La seconde la montre entou­rée de cinq hommes (dont cer­tains appar­tiennent aux forces de l’ordre) ; elle se tient de trois quarts, presque de pro­fil, la joue col­lée à sa main gauche. Le même nez, long et droit ; la même bouche, défi­ni­tive. Le visage est une âme qui prend la parole — « De grands yeux clairs, un visage calme, si franc, une can­dide sim­pli­ci­té, un dépouille­ment total », c’est ain­si que la décri­vit la poé­tesse Henriette Sauret, sa contemporaine.

commune

Commune de Paris, 1871 (DR)

Ébranler le monde

Sa tra­jec­toire poli­tique com­men­ça à la SFIO et à la CGT — un par­ti et un syn­di­cat. Le pre­mier, socia­liste et sec­tion de l’Internationale ouvrière ; le second, orga­ni­sa­tion uni­taire née de l’al­liance entre fédé­ra­tions pro­fes­sion­nelles, Bourses du tra­vail et chambres syn­di­cales. La République avait tran­ché la gorge de la Commune de ses sabres tri­co­lores : le mou­ve­ment ouvrier s’en trou­va déci­mé, écla­té, affai­bli. Versailles avait essuyé ses bottes dans le sang de Paris. Il fal­lut repen­ser la lutte, du moins ses moda­li­tés. L’insurgé Blanqui, du fond d’une cel­lule sem­blable à toutes celles qu’il eut la constance de connaître, avait démon­tré bien mal­gré lui que les coups de force, avant-garde et ombre, poudre et secret des confré­ries, plans tra­cés et attaques à l’aube, avaient fait leur temps : l’heure n’é­tait plus aux embar­dées, fusils et cou­te­las, mais à l’or­ga­ni­sa­tion, métho­dique, ample et popu­laire du peuple. Les masses et non plus la seule mino­ri­té agis­sante. Les com­mu­nards, tout assaillants du ciel qu’ils furent, prou­vèrent par leur échec — « cui­sant » ne suf­fit pas à dire la débâcle — que le pou­voir d’État sait, a tou­jours su et le sau­ra encore, com­ment réduire les fortes têtes. L’organisation de masse, donc.

« Versailles avait essuyé ses bottes dans le sang de Paris. Il fal­lut repen­ser la lutte, du moins ses modalités. »

Brion fut au comi­té confé­dé­ral de la CGT. La guerre, nous allons le voir, et la posi­tion d’Union sacrée défen­due par son syn­di­cat, l’en éloi­gna. Elle adhé­ra au Parti com­mu­niste en 1920, au len­de­main du congrès de Tours — congrès fameux puis­qu’il mar­qua la divi­sion du socia­lisme fran­çais en deux cou­rants : ceux qui res­tèrent dans le giron de la SFIO (qui devien­dra en 1969 le Parti socia­liste que l’on ne connaît que trop) et ceux qui tinrent à ral­lier la IIIe Internationale (por­tée par un Lénine triom­phant, héraut de la révo­lu­tion pro­lé­ta­rienne mon­diale sur les gra­vas et les déblais de l’an­cienne Russie tsa­riste) afin de for­mer le Parti com­mu­niste. Brion n’en­ten­dit pas res­ter dans un par­ti, pré­ten­du­ment socia­liste, qui avait voté les cré­dits de guerre et retour­né sa veste pour la pendre à la potence cocar­dière. La SFIO connaî­tra, du reste, un futur à valeur de des­tin : elle sera de tous les mau­vais coups — guerres d’Indochine et d’Algérie. De Marius Moutet, dépu­té et séna­teur socia­liste, jurant sans un sou­rire que « la poli­tique colo­niale de la France est une poli­tique de libé­ra­tion d’a­bord, une poli­tique d’é­du­ca­tion et d’as­sis­tance fra­ter­nelle ensuite5 », à François Mitterrand, ministre res­pon­sable, sous l’é­gide de Coty avant qu’il ne prenne sa place à l’Élysée, de la mise à mort — par déca­pi­ta­tion — de nombre d’in­dé­pen­dan­tistes algé­riens, le socia­lisme ins­ti­tu­tion­nel hexa­go­nal se plai­ra à main­te­nir sa ligne, son fil, rouge du sang de « cama­rades » qui l’é­taient sans doute moins que d’autres. Edwy Plenel, inter­pel­lant un cer­tain Hollande au cours de l’an­née 2014, ne man­que­ra d’ailleurs pas de lui rap­pe­ler : « [Les socia­listes] s’accrochèrent à un monde d’hier, déjà per­du, ajou­tant du mal­heur par leur entê­te­ment, aggra­vant l’injustice par leur aveu­gle­ment. C’est ain­si qu’ils pré­ten­dirent que l’Algérie devait à tout prix res­ter la France, jusqu’à enga­ger le contin­gent dans une sale guerre, jusqu’à auto­ri­ser l’usage de la tor­ture, jusqu’à vio­len­ter les liber­tés et muse­ler les oppo­si­tions. Et c’est avec la même men­ta­li­té colo­niale qu’ils enga­gèrent notre pays dans une désas­treuse aven­ture guer­rière à Suez contre l‘Égypte sou­ve­raine, aux côtés du jeune État d’Israël. Mollet n’était ni un imbé­cile ni un incom­pé­tent. Il était sim­ple­ment aveugle au monde et aux autres6»

Après avoir cofon­dé l’Université popu­laire de Pantin, Hélène Brion se ren­dit en Russie en tant que délé­guée du Comité pour l’adhé­sion à la IIIe Internationale. La Révolution allait fêter sa qua­trième année et se mon­trait si belle qu’il ne sem­blait pas pen­sable de l’é­crire sans majus­cule. On ne l’at­ten­dait pas — la Russie, pays « arrié­ré », disait-on, pays qui, au regard des canons mar­xistes, n’a­vait pas atteint le niveau de déve­lop­pe­ment qui lui per­met­trait ensuite, par quelque habi­le­té dia­lec­tique, de ren­ver­ser la table pour mieux y dres­ser, d’un même cou­vert pour tous, le com­mu­nisme et la jus­tice qui en découle — et cela la ren­dait d’au­tant plus grande. Les Romanov n’é­taient plus et le peuple allait appa­raître dans leurs pas dis­pa­rus. Les tyrans tom­bés du trône ouvraient l’Histoire en deux : plus rien ne serait comme avant. Dès le mois de novembre 1915, Brion avait d’ailleurs noté : « Lénine me paraît un brave homme d’avenir. » Et d’a­jou­ter, en avril 1917 : « Il importe de faire quelque chose pour sau­ver la Révolution russe. »

lenine1

Lénine, 1919 (Photo : Apic/Getty Images)

Elle ne fut point la seule à sen­tir son pouls s’en­gouer — en Amérique, l’a­nar­chiste Emma Goldman, elle aus­si fémi­niste (mais farou­che­ment athée, contrai­re­ment à Brion), louait jus­qu’à plus soif, avant de s’y rendre et d’en démordre, l’é­lan bol­che­vik ; en Allemagne, la com­mu­niste Rosa Luxemburg, fémi­niste sans en jurer, applau­dis­sait les révo­lu­tion­naires russes pour leur audace et s’é­mer­veillait de ces « gens aus­si intel­li­gents que Lénine et Trotsky7 ». Son séjour dura entre six et huit semaines, selon les ver­sions — Brion ren­tra en France au début de l’an­née 1921. Bientôt quatre ans de socia­lisme au pou­voir, oui. Quatre ans d’une âpre et bru­tale lutte. Engels et Marx, anté­cé­dem­ment, n’a­vaient pas men­ti sur la mar­chan­dise : « Une révo­lu­tion est cer­tai­ne­ment la chose la plus auto­ri­taire qui soit, c’est l’acte par lequel une frac­tion de la popu­la­tion impose sa volon­té à l’autre au moyen de fusils, de baïon­nettes et de canons, moyens auto­ri­taires s’il en est ; et le par­ti vic­to­rieux, s’il ne veut pas avoir com­bat­tu en vain, doit conti­nuer à domi­ner avec la ter­reur que ses armes ins­pirent aux réac­tion­naires8. » La mise en garde se fit constat et le pré­sage fut frap­pé d’é­vi­dence : la Russie, de ter­reur en contre-ter­reur et de contre-ter­reur en ter­reur, s’en­li­sa dans la guerre civile. Les temps changent et s’ar­ron­dissent, galets rou­lants sous nos eaux douces : une che­mise déchi­rée fiche à pré­sent la frousse à tout un pays.

« Les temps changent et s’ar­ron­dissent, galets rou­lants sous nos eaux douces : une che­mise déchi­rée fiche à pré­sent la frousse à tout un pays. »

Brion arri­va dans une Russie qui, pour reprendre les mots de l’his­to­rien Jean-Jacques Marie, n’é­tait plus « qu’un champ de ruines » : « Plus de la moi­tié du parc exis­tant de loco­mo­tives est inuti­li­sable ; les gares sont presque toutes détruites, les rails sou­vent arra­chés et les voies de garage encom­brées de car­casses et de wagons à demi cal­ci­nés9 ». Que vit-elle ? Que rap­por­ta-t-elle dans les pages de son manus­crit, Choses et gens de Russie rouge (188 pages sur cahier d’é­cole), qui ne parut jamais — nous en igno­rons les rai­sons, mais le docu­ment sem­blait prêt à l’é­di­tion : dédi­cace, som­maire (sept cha­pitres), annexes ? Le bras­sage d’in­di­vi­dus venus des quatre coins de la pla­nète l’é­mer­veilla, de même que la laï­ci­té et la « sup­pres­sion » de la pros­ti­tu­tion. « Au pre­mier plan de ce tableau tra­cé par petites touches, dont la viva­ci­té est accrue par l’usage du pré­sent, on reste frap­pé par la per­cep­tion — par­fois irri­tée, par­fois amu­sée — d’un pou­voir liant étroi­te­ment les pri­vi­lèges maté­riels, en situa­tion d’extrême pénu­rie, à la place occu­pée par cha­cun dans un appa­reil poli­tique encore en for­ma­tion10 », résu­me­ra l’his­to­rienne Sophie Cœuré. Nous avons pu consul­ter une copie du manus­crit dans les archives dépar­te­men­tales de Seine-Saint-Denis. En page de garde, Brion cita Montaigne : « Ceci est un livre de bonne foy. » Son inten­tion était affi­chée, franche et nette : « Faire connaître, com­prendre, donc aimer la Russie sovié­tique. » Brion, mal­gré les dif­fi­cul­tés quo­ti­diennes, mal­gré le blo­cus dont la Russie souf­frait, croyait en l’a­ve­nir : elle déce­lait là une foi nou­velle, un idéal œuvrant au Bien futur de l’Humanité — et, déjà, en ces terres com­mu­nistes, « le droit de cha­cun et de cha­cune [était] une réa­li­té tan­gible ». Ses pages assu­maient la dure loi et la ligne drue des tran­chées : deux camps ; les tra­vailleurs contre la Réaction. Et l’ou­vrage, d’une can­deur lyrique, de se conclure ain­si : « Tourne tes yeux et ta pen­sée vers l’Est ! Là-bas, plus loin que Bethléem, un nou­velle étoile, un nou­veau soleil se lève : son rayon rouge éclaire les âmes et anime d’une nou­velle vie tout ce qu’il touche. Lève-toi, qu’il t’é­claire aus­si ! » Lyrique et cou­pable, si l’on consi­dère la suite — mais l’URSS, mal­gré l’i­nique répres­sion des marins insur­gés de Kronstdat en mars 1921 (date à laquelle Brion était déjà ren­trée de ce pre­mier séjour), n’é­tait pas encore le régime dément que Staline admi­nis­tre­ra à par­tir des années 1930 (en 2013, dans Modernes cata­combes, le médio­logue Régis Debray deman­de­ra qui, sauf à pos­sé­der des actions en Bourse ou à man­quer de géné­ro­si­té, pou­vait bien, dans les années 1920, « ne pas tour­ner le cœur et les yeux vers la grande lueur de l’Est » ?)

À Moscou, elle logea à l’hôtel Dielovoï Dvor et à Petrograd à celui de la IIIe Internationale — elle fut accueillie, dans la cité aux canaux, par l’é­cri­vain Victor Serge, anar­chiste pas­sé au com­mu­nisme après avoir tâté des geôles fran­çaises pour n’a­voir pas don­né ses cama­rades liber­taires, dont il désa­vouait pour­tant les méthodes « illé­ga­listes ». Grand homme, assu­ré­ment, que Brion char­ria néan­moins dans ses notes : « Resté très pari­sien, [il] se lamente : ne croyez-vous pas qu’il serait bon de pou­voir aller au café en ce moment… Mais quoi, rien à faire, il n’y a pas plus à ache­ter un grog qu’un petit pain. » Elle fit éga­le­ment la connais­sance d’un Coréen végé­ta­rien des plus sym­pa­thiques, d’un Italien arri­viste et râleur, d’un Suisse idéa­liste et pas­sion­né. « Dans la rue, le froid, le vent, le contact des gens me fait du bien. » Combien de fois s’y ren­dit-elle ? Trois, assure-t-on. L’historienne Sophie Cœuré pré­ci­se­ra tou­te­fois que les deux autres séjours « sont moins attes­tés11 ». La Française fraya avec la base plus qu’a­vec les auto­ri­tés, bien qu’elle put ren­con­trer Lénine — l’en­fant de Simbirsk qui, après des années d’exil, revint en terres natales pour s’emparer du pou­voir à la tête d’un par­ti d’a­vant-garde. L’entrevue fut brève. « Le masque est rébar­ba­tif, oui, mais le regard est bon, si intel­li­gent ! Et le sou­rire est si rayon­nant ! » Elle croi­sa éga­le­ment Trotsky, alors Commissaire du peuple pour l’Armée et les Affaires navales, lors d’un congrès de femmes communistes.

Brion, qui appe­lait à l’a­bo­li­tion du patro­nat et du sala­riat, n’é­tait tou­te­fois pas une théo­ri­cienne. Les dogmes sont des idées qui ne voient que d’un œil : l’ins­ti­tu­trice sem­bla pré­fé­rer le quo­ti­dien, ban­croche et mal­son­nant, à l’im­pra­ti­cable hau­teur des « pen­seurs ». Cœuré rap­por­te­ra que ses notes russes « abordent avec une iro­nie non dégui­sée sa propre incul­ture poli­tique » et qu’elle déve­lop­pait « un rap­port à l’engagement com­mu­niste qui passe par l’émotion ». Projections uto­piques, affects et constats sur le ter­rain se nouent au fil des pages de son récit. À son retour, elle effec­tua plus de quatre-vingts réunions afin de témoi­gner de son expé­rience et de l’en­thou­siasme que la révo­lu­tion pro­lé­ta­rienne sus­ci­tait en elle. Mais elle ne tar­da pas à s’é­loi­gner du syn­di­ca­lisme comme du Parti — ce qui fera dire à Cœuré qu’elle ne fut qu’une « pas­sa­gère du com­mu­nisme » — pour se consa­crer plei­ne­ment à la lutte fémi­niste, cer­taine que le sexe fémi­nin se voyait, in fine, davan­tage oppri­mé par les hommes (en tant que groupe trans­classe) que par les seuls capi­ta­listes — nous y revien­drons. Signalons en pas­sant que l’es­sai col­lec­tif Marxism in the Postmodern Age, paru aux États-Unis en 1994, fera de Brion une com­pa­gnonne de route de l’anarcho-syndicalisme.

sergev

Victor Serge, son fils et sa compagne (DR)

Le sang des hommes

La Première Guerre mon­diale écla­ta le 28 juillet 1914, lorsque l’Autriche décla­ra la guerre à la Serbie. La suite est connue. Les États confièrent à leurs peuples le soin de s’é­gor­ger sans de leur sang salir leurs bureaux. La Patrie, l’Honneur, la Gloire : les lettres capi­tales se tiennent à l’é­cart des cadavres qui tombent pour elles — vingt mil­lions, alors : une brou­tille, pour les alliances et le des­tin des cartes. Des chiens et des rats. Boue et boyaux. La neige, le gel, baïon­nette au canon. Dieu, la Sainte Vierge, les sacs de terre empi­lés et les colis de mar­me­lade. Ma bien ché­rie, écri­vit l’un sur du papier mouillé ; ce sera bien­tôt le temps des cerises, dit l’autre. Je jure devan­dieux que je suis inno­can — Léonard L., sol­dat 2e classe, fusillé pour « muti­la­tion volon­taire12 ». Les dents des Poilus cla­quant au vent sale des matins qui sont déjà des soirs. Charles Péguy cre­vant d’une balle dans le front, un same­di de sep­tembre ; Apollinaire bles­sé d’un éclat d’o­bus dans une tran­chée ; Céline griè­ve­ment atteint au bras lors d’une mis­sion en terres fla­mandes ; Léon Werth, fumant sa pipe, l’hu­mé­rus frac­tu­ré et Blaise Cendrars un bras, le droit, déchi­que­té sous la mitraille. Jean Jaurès, lui, mou­rut avant de voir la mort des autres, un pro­jec­tile dans le crâne tiré à bout por­tant. D’une guerre l’autre, la Seconde, les mots de l’é­cri­vain Hyvernaud : « Je ne sais rien de la mort de Péguy. Personne ne sait rien de la mort de per­sonne. Il avait écrit : « Heureux ceux qui sont morts dans une juste guerre… » Des alexan­drins que j’ai appris par cœur, dans le temps. Tout le monde les a appris par cœur. Depuis, j’ai vu pas mal de ces cadavres heu­reux. Des vrais, et qui pour­rissent sans poé­sie, écra­sés au fond d’un fos­sé. C’est un spec­tacle qui invite à par­ler froi­de­ment de ces choses13»

« Les États confièrent aux peuples le soin de s’é­gor­ger sans de leur sang salir leurs bureaux. La Patrie, l’Honneur, la Gloire : les lettres capi­tales se tiennent à l’é­cart des cadavres qui tombent pour elles. »

Hélène Brion avait trente-deux ans. Elle adhé­ra au Comité inter­na­tio­nal des femmes pour une paix per­ma­nente. Écrivit, trac­ta et mili­ta pour la ces­sa­tion des com­bats. Appela à une fédé­ra­tion des nations à même d’empêcher, à l’a­ve­nir, le sang de bou­cher les pores de l’Europe. Le pou­voir lâcha ses chiens : elle fut plus d’une fois limi­tée dans ses dépla­ce­ments et vit son appar­te­ment per­qui­si­tion­né en juillet 1917. Clemenceau devint pré­sident du Conseil ; Brion fut, dans la fou­lée, arrê­tée, mise à pied et incar­cé­rée à la pri­son des femmes de Saint-Lazare. Par dis­ci­pline mili­tante et por­tée par l’é­lan col­lec­tif, l’ins­ti­tu­trice avait d’a­bord sou­te­nu la ligne de son par­ti, la SFIO : approu­ver l’Union sacrée appe­lée de ses vœux, dès 1914, par Raymond Poincaré. La gauche s’é­tait ral­liée. La CGT s’é­tait ral­liée. L’anarchiste Kropotkine s’é­tait ral­lié. « C’est vrai, j’ai cru, confia-t-elle, entraî­née comme tant d’autres, à la guerre du droit et de la jus­tice ; mais je recon­nais main­te­nant que je me suis trom­pée et je consi­dère cette erreur comme la plus grande faute de ma vie14. » Elle pas­sa devant le Conseil de guerre du 25 au 31 mars 1918 — au même moment, des grèves secouaient Saint-Étienne, Paris subis­sait le feu des Pariser Kanonen et les Alliés impo­saient un blo­cus au nou­veau pou­voir soviétique.

Des archives et des copies sont conser­vées à la biblio­thèque Marguerite Durand, à Paris. Nous nous y ren­dons — un siècle plus tard. Des dos­siers, des manus­crits et des micro­films répon­dant au nom de Brion. Nombre de cou­pures de presse donnent à lire, dans le détail, les audiences et l’é­poque qui les encadre. Celle qui venait de pas­ser près de cinq mois en pri­son se défen­dit avec force et talent, fer­raillant « de pied ferme15 » pour ses idées. Elle avait, nota un témoin, réponse à tout et fai­sait de cha­cune un dis­cours. Prenant des notes, cla­quant des doigts pour s’emparer de la parole. Elle por­tait une jupe sombre, une che­mise en fla­nelle grise et une laval­lière noire. Le lieu­te­nant-colo­nel Maritz pré­si­dait le Conseil, lunettes ovales et large mous­tache rebi­quée. Les chefs d’in­cul­pa­tion ? Avoir « favoris[é] l’en­ne­mi » et « exerc[é] une influence fâcheuse sur l’es­prit de l’ar­mée et des popu­la­tions ». S’être livrée à de la « pro­pa­gande paci­fique ». Brion répon­dit que jamais elle ne cher­cha à embri­ga­der ses élèves (de mater­nelle…) et qu’elle pen­sait qu’il était de son droit, et même de son devoir, d’ex­pri­mer ses opi­nions propres, en liber­té, comme elle l’a­vait tou­jours fait. Elle recon­nut avoir dis­tri­bué des tracts et des bro­chures, bot­ta par­fois en touche, joua à celle qui ne com­pre­nait pas les ques­tions ou deman­da pour­quoi on ne la ques­tion­nait pas sur ses écrits fémi­nistes, pour­tant plus nom­breux et autre­ment plus anté­rieurs à son seul paci­fisme. On lui repro­cha la pos­ses­sion d’un livre consa­cré à Trotsky ; elle contes­ta le fait que l’on pût se baser sur ses notes pri­vées, celles des car­nets trou­vés à son domi­cile, pour construire l’ac­cu­sa­tion. Quelques cro­quis illus­trent les retrans­crip­tions. Une pho­to­gra­phie, dis­po­nible sur Internet, la montre aux côtés d’un agent des forces de l’ordre et de son avo­cat : elle arbore un cha­peau rond, noir comme l’est son long man­teau — les yeux fixent l’ob­jec­tif. Nous tour­nons les pages du dos­sier. Une autre pho­to­gra­phie, parue dans un pério­dique de l’é­poque, la révèle vêtue en cos­tume mas­cu­lin — la légende insiste sur ce point. Ici, on la taxe de défai­tisme et d’a­nar­chisme ; là, de « figure au moins anor­male » du fait des habits qu’il lui arri­vait de revê­tir (des tenues de cycliste, par­fois, puis­qu’elle aimait, étrange idée, faire du vélo). Il est dit en sus qu’elle exci­tait les femmes à la révolte et qu’elle cria, dans le préau de son école mater­nelle, qu’elle aime­rait mettre le feu au minis­tère de la guerre ; qu’elle aurait cas­sé des vitres et des réver­bères ; qu’elle aurait per­çu de l’argent alle­mand. Accusations qu’elle contes­ta. On insi­nua même qu’elle souf­frait de folie et un exa­men médi­cal fut un temps envi­sa­gé… Sa défense fut une attaque (un pro­cès de rup­ture avant l’heure, à la manière de l’a­vo­cat Vergès lors de la guerre d’Algérie), arguant que l’on ne pou­vait la juger comme sujet de droit puis­qu’elle ne béné­fi­ciait pas d’une citoyen­ne­té égale : on l’ac­cu­sait de col­la­bo­ra­tion avec l’en­ne­mi ; elle répon­dait que la France devait d’a­bord la consi­dé­rer comme une Française comme les hommes.

vote

(DR)

Brion jurait n’être pas « anti­fran­çaise », pas plus qu’elle n’é­tait « pro-alle­mande » : elle espé­rait seule­ment la fin de la guerre entre les deux nations (et les autres, prises dans l’in­fer­nal engre­nage). Son paci­fisme se vou­lait prag­ma­tique, rai­son­né, construc­tif : tenir bon, au front, puis­qu’il n’é­tait d’autres choix ; réflé­chir, à l’ar­rière, à la manière de faire ces­ser au plus vite le car­nage. Elle décla­ra alors, face à ses accu­sa­teurs : « Cette loi, que je récuse, me reproche d’avoir tenu des pro­pos de nature à affai­blir le moral des popu­la­tions. Je pro­teste avec plus de force encore, et je nie ! Ma pro­pa­gande, dis­crète et nuan­cée, a tou­jours été un appel constant à la rai­son, au pou­voir de réflexion, au bon sens dont chaque humain a une part, si petite soit-elle. » Et de pour­suivre : « Ce qui m’épouvante, dans la guerre, plus encore que les morts et les ruines qu’elle accu­mule, plus encore, infi­ni­ment plus que les mal­heurs maté­riels, c’est l’abaissement intel­lec­tuel et moral qu’elle entraîne. […] Oui, la guerre abaisse le niveau moral et débride les pas­sions. Et elle abaisse aus­si le niveau intel­lec­tuel. L’esprit cesse de tra­vailler sur des sujets dignes de lui ; l’intelligence, la force créa­trice, ne s’applique plus qu’à des œuvres de meurtre et de des­truc­tion : balle dum-dum, dread­nougts, sous-marins, super sous-marins, gaz asphyxiants, zep­pe­lins, super zep­pe­lins, tanks, gothas, etc. Je ne puis croire que ce soit pour cela que l’intelligence a été don­née à l’homme, mais je constate que le cou­rant actuel est là, rien que là. Et les jour­naux qui font l’o­pi­nion vul­gaire, couvrent de ridi­cule les savants qui osent pen­ser et par­ler d’autre chose3» Elle fut condam­née à trois ans de prison16avec sur­sis et révo­quée de l’en­sei­gne­ment (elle fut réin­té­grée en 1925) : le dic­tion­naire du mou­ve­ment ouvrier Le Maitron évo­que­ra un tri­bu­nal « presque séduit » par la jeune femme. À noter éga­le­ment que le petit-fils de Karl Marx, Jean Longuet — que Maurras qua­li­fiait de « quart-de-boche » —, prit sa défense et fit entendre qu’elle était une bonne Française.

Le sexe esclave

Le temps passe mais tient ses pri­vi­lèges : « fémi­nisme » est un mot qui fâche et conti­nue de frois­ser bien des oreilles. Le jour­nal Causeur — qui, fidèle à son nom, aime à par­ler pour ne rien dire — dénon­çait récem­ment « la ter­reur » qu’il répan­drait : on lui rap­pel­le­ra seule­ment qu’à l’heure où ses lignes s’é­crivent, on ne sache tou­jours pas que les mal­trai­tances phy­siques et les agres­sions sexuelles, pour s’en tenir aux mani­fes­ta­tions les plus criantes de la domi­na­tion mas­cu­line, soient le fait de femmes. Le fémi­nisme n’est pas un mono­lithe, tant s’en faut, mais on peut a mini­mamettre en évi­dence une ligne-force : lut­ter contre la pré­po­tence du mas­cu­lin sur le fémi­nin (la socio­logue alle­mande Ute Gerhard pro­pose, dans son article « Concepts et contro­verses », la défi­ni­tion qui suit : « Ensemble des ten­ta­tives menées par des femmes pour leur recon­nais­sance, leur auto­dé­ter­mi­na­tion, leur par­ti­ci­pa­tion poli­tique et le res­pect de leurs droits17 ».) Hélène Brion, de son propre aveu, fut avant tout une fémi­niste — c’est à par­tir de ce noyau, de ce prisme et de ce cadre d’a­na­lyse qu’elle appré­hen­dait le monde et arti­cu­lait les dif­fé­rents pans du vivant entre eux. Son socia­lisme et son paci­fisme étaient à ses yeux direc­te­ment cor­ré­lés à son com­bat pour l’é­man­ci­pa­tion des femmes.

« On l’ac­cu­sait de col­la­bo­ra­tion avec l’en­ne­mi ; elle répon­dait que la France devait d’a­bord la consi­dé­rer comme une Française comme les hommes. »

Celle dont Le Figaro railla le « bon sens fémi­nin » fut membre de plu­sieurs mou­ve­ments : le Suffrage des femmes, l’Union fra­ter­nelle des femmes, l’Union fran­çaise pour le suf­frage des femmes, la Ligue natio­nale du vote ou encore Femmes de la libé­ra­tion humaine. Esquissons en quelques traits le décor alen­tour : deux années avant la nais­sance d’Hélène Brion, les femmes purent, en France, accé­der à l’u­ni­ver­si­té ; le divorce fut réta­bli lors­qu’elle eut deux ans (mais seule­ment pour « fautes pré­cises ») ; le port du pan­ta­lon fut auto­ri­sé l’an­née de ses dix ans, à condi­tion que la femme qui l’ar­bo­rât tint, à la main, les rênes d’un che­val ou le gui­don d’une bicy­clette ; elle eut dix-huit ans lorsque les femmes obtinrent l’au­to­ri­sa­tion de plai­der en tant qu’a­vo­cate ; une loi per­mit que les femmes mariées pussent jouir de leur propre salaire lors­qu’elle fêta ses vingt-cinq ans ; deux ans plus tard, les salaires entre ins­ti­tu­teurs et ins­ti­tu­trices devinrent égaux. En 1912, en Chine, des femmes enva­hirent le Parlement pour récla­mer le droit de vote — que les Norvégiennes puis les Islandaises obtinrent (il fau­dra, on l’a dit, attendre 1944 pour la France). En 1917, Alexandra Kollontaï fut, sous le nou­veau pou­voir bol­che­vik, la pre­mière femme ministre de l’Histoire — rap­pe­lons que Lénine fut l’instaurateur de la Journée inter­na­tio­nale des femmes, le 8 mars.

En 1919, la native de Clermont-Ferrand créa le jour­nal La Lutte fémi­niste, qu’elle pré­sen­tait comme l’« organe unique et rigou­reu­se­ment indé­pen­dant du fémi­nisme inté­gral ». On décèle, par « inté­gral » (en plus, peut-être, d’un pied de nez à son contem­po­rain natio­nal Maurras), la volon­té de cohé­rence de son pro­pos : le fémi­nisme comme appa­reil glo­bal de décryp­tage. Elle esti­mait que les femmes n’é­taient pas, ou mal, repré­sen­tées dans la presse — y com­pris à gauche, où la parole res­tait l’a­pa­nage des seuls mâles. Brion fit état de la posi­tion des plus incon­for­tables qui se trou­vait être la sienne : la presse socia­liste la reje­tait du fait de son fémi­nisme et la presse fémi­nine la reje­tait du fait de son socia­lisme. Sa paru­tion don­na la part belle à deux cita­tions ; l’une de Félix Pécaut, répu­bli­cain laïc et drey­fu­sard (« Femme, ose être ! »), l’autre de Madeleine Pelletier18, fémi­niste anar­chiste dont elle fut, sinon l’a­mie, la cama­rade (« Quiconque est vrai­ment digne de la liber­té n’at­tend pas qu’on la lui donne, il la prend. »). La pré­sence d’un homme, en sous-titre, n’est sans doute pas à négli­ger — quand bien même elle poin­tait du doigt « la col­lec­tive et incons­ciente (?) mau­vaise volon­té mas­cu­line à notre endroit19 ». Le pério­dique comp­ta dix-huit numé­ros, jus­qu’en 1921.

Alexandra Kollontaï, à gauche (DR)

« Qui est plus oppri­mées que nous, les femmes, main­te­nues esclaves au sein même des peuples libres20», deman­dait Brion. Des décen­nies avant le célèbre slo­gan du MLF « Ne me libé­rez pas, je m’en charge », l’ins­ti­tu­trice cla­mait : « N’ayons pas d’illusion pour notre libé­ra­tion, comp­tons sur­tout sur nous-mêmes ! » Rebondissant sur la fameuse apos­trophe de Marx, jurant que l’é­man­ci­pa­tion serait l’œuvre des tra­vailleurs eux-mêmes, Brion louait l’au­to-éman­ci­pa­tion des femmes. Elle dis­pu­ta la légi­ti­mi­té de sa lutte au sein de sa propre famille poli­tique. Le socia­lisme est la réponse à tout, assu­raient ses cama­rades. Le fémi­nisme, comme éti­quette, détourne de la cen­tra­li­té de la lutte pro­lé­ta­rienne : dis­per­sion inutile, manœuvre mal­ha­bile ! Mais Brion n’en démor­dait pas : il faut être « fémi­niste », expli­ci­te­ment, noir sur le blanc d’un dra­peau qui ne vient pas, celui de la paix (enfin garan­tie par la jus­tice et l’é­ga­li­té) entre les sexes, puisque les socia­listes peuvent, en leur sein, sécré­ter du sexisme et ravi­tailler l’op­pres­sion — la preuve, mar­te­lait-elle, que la pen­sée révo­lu­tion­naire, si néces­saire soit-elle, ne suf­fit pas à garan­tir l’é­man­ci­pa­tion de tous (c’est-à-dire de toutes). Brion ajou­tait que la seule grille éco­no­mi­co-sociale (socia­liste, mar­xiste, anar­chiste) ne per­met­tait pas de prendre la pleine mesure des enjeux : « Les femmes sont plus exploi­tées encore par la col­lec­ti­vi­té mas­cu­line en tant que femmes qu’elles ne le sont par le capi­tal en tant que pro­duc­trices. » Autrement dit : le mode de pro­duc­tion capi­ta­liste, ren­du pos­sible par la supré­ma­tie bour­geoise, n’é­puise pas la tota­li­té des flux de la domi­na­tion — les hommes, en tant qu’ils sont hommes, c’est-à-dire col­lec­tif sexué et gen­ré (bio­lo­gi­que­ment, socia­le­ment, sym­bo­li­que­ment) recou­pant l’en­semble des strates sociales, assu­jet­tissent les femmes. Bien qu’ex­ploi­té par son patron, l’ou­vrier peut exploi­ter sa femme. Ce que la fémi­niste Flora Tristan — à l’en­droit de qui Brion nour­ris­sait force estime — avait résu­mé de la sorte : « L’homme le plus oppri­mé peut oppri­mer un être, qui est sa femme ; elle est la pro­lé­taire du pro­lé­taire même21. » Brion par­lait de « la femme plus vic­time encore parce que femme que parce que tra­vailleuse » : pour la même besogne ouvrière, la femme s’a­vé­rait moins payée — l’ap­par­te­nance de classe n’ex­pli­quait dès lors pas tout.

« Le mode de pro­duc­tion capi­ta­liste, ren­du pos­sible par la supré­ma­tie bour­geoise, n’é­puise pas la tota­li­té des flux de la domination. »

Brion éten­dit l’es­pace de l’ex­ploi­ta­tion : les usines et les ate­liers, soit, mais aus­si la famille. Elle évo­qua l’« escla­vage per­pé­tuel » qu’é­tait le tra­vail non rému­né­ré à la mai­son (ce que Christine Delphy, plus tard, iden­ti­fie­ra dans L’Ennemi prin­ci­pal sous le nom de mode de pro­duc­tion domes­tique, c’est-à-dire d’une « extor­sion d’un sur­tra­vail au sein de la famille22 »). Au tra­vail, la femme peut nouer des liens, mul­ti­plier les contacts, se syn­di­quer : elle peut contes­ter cet espace. Le foyer, « son » foyer, s’a­voue intou­chable : nul syn­di­cat n’y entre­ra pour la défendre. « L’homme peut se pas­sion­ner pour son métier, cher­cher à se per­fec­tion­ner, à amé­lio­rer les machines ou outils qui lui servent ; tout l’y convie, tout l’y invite, alors que tout repousse la femme vers ce qui est à l’heure actuelle à peu près le seul centre admis de son acti­vi­té : la famille. » Brion dénon­ça la men­ta­li­té prou­dho­nienne d’une frange du mou­ve­ment social (on se sou­vient de la franche miso­gy­nie de l’a­nar­chiste). Face au désar­roi, à la méfiance ou à l’ef­froi de ses cama­rades mas­cu­lins, Brion invo­quait, en guise d’ex­pli­ca­tion, « l’instinct mas­cu­lin habi­tué depuis des siècles à domes­ti­quer la femme et qui s’affole à l’idée de son affran­chis­se­ment pos­sible ; c’est l’instinct bru­tal de domi­na­tion du César romain ou du maître d’esclaves qui s’exaspère à l’idée que son bétail com­mence à lui échap­per. » Simone de Beauvoir par­le­ra du deuxième sexe ; Brion décri­vit le sexe esclave et se leva contre l’ar­ro­gance pater­na­liste du mili­tant (pour­tant absent dès lors qu’il s’a­gis­sait de lut­ter, sur le ter­rain, aux côtés des femmes) et « la série de lieux com­muns sur le rôle de la femme » que les bons socia­listes et com­mu­nistes se plai­saient à égre­ner. L’historienne Christine Bard assu­re­ra en 2013 : « Les voix des fémi­nistes comme Madeleine Pelletier ou Hélène Brion, qui étaient socia­listes, ont été étouf­fées par cette vision de l’exclusivité à don­ner au Parti23. » Même constat chez Cœuré : « L’itinéraire d’Hélène Brion s’inscrit ain­si dans l’échec plus géné­ral de la « ren­contre éphé­mère » entre com­mu­nisme et fémi­nisme radi­cal, avant la rapide mise au pas de l’autonomie d’un fémi­nisme dési­gné comme petit-bour­geois24 ».

Brion prê­tait-elle aux femmes cer­taines dis­po­si­tions intrin­sèques, onto­lo­giques ? Dans son ouvrage Les Femmes, actrices de l’Histoire, Yannick Ripa écrit qu’elle « met[tait] la vio­lence du côté du mas­cu­lin et la morale du côté du fémi­nisme25 » mais qu’il demeure déli­cat de se pro­non­cer plus en pro­fon­deur, faute de pré­ci­sions. Brion évo­qua pour­tant clai­re­ment la pré­dis­po­si­tion des femmes au « bon­heur du monde26 », se réfé­ra à la notion de « psy­chisme27 », fit état de grâces « natu­relles26 » et approu­vait les mots de l’é­co­no­miste fou­rié­riste Victor Considerant : « Le jour où les femmes seront ini­tiées aux ques­tions sociales, les révo­lu­tions ne se feront plus à coups de fusils ! » Une approche dif­fé­ren­tia­liste qui réfute le carac­tère seule­ment cultu­rel de cer­tains traits : on se rap­pelle de la fémi­niste Antoinette Fouque évo­quant, par après, le génie des femmes, celui « d’une éthique de la géné­ro­si­té28 ». Quoi qu’il en soit, ce fut, nous l’a­vons sou­li­gné, notam­ment au nom du fémi­nisme qu’elle s’é­le­va contre la guerre : « La guerre est le triomphe de la force bru­tale ; le fémi­nisme ne peut triom­pher que par la force morale et la valeur intel­lec­tuelle ; il y a anti­no­mie abso­lue entre les deux. Je ne pense pas que dans la socié­té pri­mi­tive, la force de la femme, ni sa valeur, étaient infé­rieures à celles de l’homme ; mais il est cer­tain que dans la socié­té actuelle, la pos­si­bi­li­té de la guerre a éta­bli une échelle de valeurs toutes fac­tices, au détri­ment de la femme. » Brion se mon­trait per­sua­dée qu’une révolte glo­bale des femmes eût mis terme à la guerre. Le 26 mars 1945, elle adres­sa un cour­rier à Eleanor Roosevelt, la femme du pré­sident, afin de l’in­ci­ter à œuvrer, au nom du com­bat héroïque mené par les résis­tantes fran­çaises, pour l’é­ga­li­té entre les sexes, en terme de repré­sen­ta­tion, au sein des assem­blées et des confé­rences poli­tiques tenues de par le monde. Brion n’en­ten­dait pas que l’on pût, au len­de­main d’une guerre atroce, la seconde qu’elle eut à connaître dans sa vie, dis­cu­ter d’un nou­vel ordre du monde en excluant les femmes des dis­cus­sions inter­na­tio­nales. Brion écri­vit dans sa mis­sive que le genre humain n’exis­tait pas, « il n’est encore que mas­cu­lin29».

considerant

Victor Considérant, par Jean Gigoux

Mais sa plus grande œuvre — inache­vée et non publiée — demeure son Encyclopédie fémi­niste. Travail colos­sal, qu’elle mena sa vie durant, visant à réper­to­rier, dans de mul­tiples domaines (poli­tiques, scien­ti­fiques, artis­tiques, spor­tifs, etc.), l’ap­port fémi­nin à l’hu­ma­ni­té — du fait divers aux plus grandes œuvres. Nous avons pu la consul­ter à la biblio­thèque Marguerite Durand : des volumes épais (le tome I de 299 pages, le second de 869), rem­plis de cou­pures de presse, cro­quis, cli­chés pho­to­gra­phiques, anno­ta­tions… Une pré­face signée de sa main : « L’œuvre, je le sais, n’est pas à la hau­teur de son titre. Mais si je vou­lais attendre qu’elle soit au point, ma vie entière pas­se­rait sans que ceci sorte d’un tiroir. Aussi mieux vaut ne pas attendre ! D’ailleurs je ne puis, seule, mener à bien une pareille tâche ; et le meilleur moyen de trou­ver de l’aide est de com­men­cer et de mon­trer ce que l’on peut faire sans autre mise de fonds que la bonne volon­té. » Brion pro­po­sait là une ébauche. Significatif adden­dum, à l’encre bleue, en 1950 (la pré­face fut rédi­gée en 1912) : l’au­teure — Brion par­lait d’ailleurs d’autrice — tint à pré­ci­ser qu’elle com­mit « une lourde faute » tout au long de son ency­clo­pé­die en clas­sant les femmes par leur nom de famille, c’est-à-dire, le plus sou­vent, celui de leur époux. Elle concluait l’a­jout ain­si : « L’esprit de ser­vi­li­té est encore grand chez les femmes. »

« Brion éten­dit l’es­pace de l’ex­ploi­ta­tion : les usines et les ate­liers, soit, mais aus­si la famille. »

L’essayiste Bérengère Kolly avance, avec jus­tesse, que « le fémi­nisme est néces­sai­re­ment sur un fil » : sur quelles bases fédé­rer ? com­ment tenir les deux bouts de la corde — recon­naître le carac­tère uni­ver­sel et spé­ci­fique de la lutte des femmes (du sous-pro­lé­ta­riat à la grande bour­geoi­sie — il n’est pas de classe sociale quand frappent la vio­lence et les pri­vi­lèges mas­cu­lins) tout en main­te­nant l’in­dis­pen­sable frac­ture — et le com­bat qu’elle induit — de classes (une star mon­diale du R’n’B et une pré­si­dente-direc­trice géné­rale d’une socié­té de trans­port res­tent et res­te­ront les enne­mies de classe d’une agente de pro­pre­té hos­pi­ta­lière en charge des par­ties com­munes) ? Hélène Brion prit en effet la défense des femmes for­tu­nées, qu’elle tenait, elles aus­si, pour des indi­vi­dua­li­tés domi­nées. Un fil à tenir, oui, entre, d’une main, la recon­nais­sance d’une oppres­sion com­mune et, de l’autre, l’ir­ré­duc­tible cli­vage éco­no­mique et social qui met à mal la seule soli­da­ri­té gen­rée — Virginia de la Siega rap­porte ain­si, dans les colonnes de L’Anticapitaliste, un échange entre une femme de mineur et une autre de la bour­geoi­sie : « Alors dites-moi, Madame : votre situa­tion a‑t-elle quelque chose à voir avec la mienne ? Ou la mienne avec la vôtre ? De quelle éga­li­té allons-nous par­ler entre nous, si vous et moi ne nous res­sem­blons pas et avons tant de dif­fé­rences ? Nous ne pou­vons en ce moment être égales, même en tant que femmes — ne trou­vez-vous pas30 ? »

*

L’ouvrage Les Femmes, sujets d’histoire, paru en 1999, pré­ten­dra qu’elle eut deux enfants d’un émi­gré russe. Faux !, contes­te­ra Colette Avrane, auteure d’une bio­gra­phie de la syn­di­ca­liste fémi­niste Berthe Fouchère. « Pas de trace, nulle part, d’enfants et de vie de famille31. » Brion fut homo­sexuelle, écri­ra-t-elle en 2003 — l’his­to­rienne Sophie Cœuré enté­ri­ne­ra, la même année (André Caroff, dans son article « Hélène Brion, l’in­sou­mise », évo­que­ra seule­ment des « ami­tiés fémi­nines »). Les infor­ma­tions font lar­ge­ment défaut quant à sa vie pri­vée et son homo­sexua­li­té, si on la tient pour avé­rée, n’in­ter­fé­ra pas expli­ci­te­ment dans sa vie publique. Il nous est impos­sible, à l’heure qu’il est, de recons­ti­tuer l’in­té­gra­li­té de son par­cours, de l’Occupation — qu’elle pas­sa dans les Vosges — à sa mort, le 31 août 1962, à la cli­nique dié­té­tique et géron­to­lo­gique d’Ennery, en Seine-et-Oise. Elle mou­rut dans la misère, rap­porte-t-on, à l’âge de quatre-vingts ans, et fut enter­rée dans une fosse com­mune avant que l’un de ses cou­sins ne lui payât un caveau. Ce der­nier existe encore : pas de croix ; une plaque à son nom, en lettres capi­tales dorées que le temps altère. Elle devien­dra, en 2011, per­son­nage de fic­tion — sous la plume de Martine Marie Muller, dans son roman La Belle cama­rade (consa­cré à Caroline Rémy — dite Séverine), et les crayons de Fabien Bedouel, avec la bande des­si­née, au demeu­rant peu his­to­rique, Un Long des­tin de sang.

L’écrivaine liber­taire Madeleine Vernet fit paraître en 1917 l’o­pus­cule Une Belle Conscience et une sombre affaire afin de prendre la défense de son amie Hélène Brion. Nous avions décou­vert ce texte, par hasard, en cher­chant des infor­ma­tions dans d’an­ciens docu­ments de police ayant trait à l’a­nar­chiste com­mu­niste Mohamed Saïl, dans les archives dépar­te­men­tales de Saint-Quentin-en-Yvelines — mais était-ce un hasard ? Les réfrac­taires, sans se connaître, savent se pas­ser le mot. Vernet y rap­por­tait cet échange, à valeur d’é­pi­logue : « Quelque temps avant son arres­ta­tion, elle me disait en me par­lant des pour­suites inten­tées contre elle : — Voyez-vous, Mad, il y a une chose qu’ils ne savent pas : c’est que quoi qu’ils fassent, ils ne peuvent pas m’empêcher d’être heu­reuse ! »


Illustration de vignette : Laurence Biberfield

image_pdf
  1. Voir le site Internet <8mars.info>.
  2. William Guéraiche, Les femmes et la République : essai sur la répar­ti­tion du pou­voir de 1943 à 1979, Éditions de l’Atelier, 1999.
  3. Hélène Brion, « Déclaration lue au Premier Conseil de Guerre, le 29 mars 1918 (Germinal, an 126) ».
  4. Cité par Colette Avrane, « Hélène Brion, une ins­ti­tu­trice fémi­niste », Bulletin Archives du fémi­nisme, n° 5, juin 2003.
  5. Marius Moutet, cir­cu­laire adres­sée aux gou­ver­neurs, citée dans le compte-ren­du de la Conférence natio­nale d’information pour le relè­ve­ment de la condi­tion humaine outre-mer, 3–4 mars 1951.
  6. Edwy Plenel, « Palestine : Monsieur le Président, vous éga­rez la France », Mediapart, 23 juillet 2014.
  7. Rosa Luxemburg, La Révolution russe, Éditions de l’Aube, 2013, p. 41.
  8. Karl Marx & Friedrich Engels, Le par­ti de classe — Questions d’organisation, Tome III, « Luttes de ten­dances et dis­so­lu­tion de l’Internationale », François Maspero, 1973, p. 56.
  9. Jean-Jacques Marie, Lénine — La révo­lu­tion per­ma­nente, Payot, 2011, p. 360.
  10. Sophie Cœuré, « Hélène Brion en Russie rouge (1920–1922) », Le Mouvement Social vol. 205, n° 4, 2003, p. 9–20.
  11. Ibid.
  12. Paroles de Poilus, Librio, 1998, pp. 87–88.
  13. Georges Hyvernaud, La Peau et les os, Pocket|Le Dilettante, 2014, p. 96.
  14. Cité par Colette Avrane, art. cit.
  15. Extrait du dos­sier « Brion Hélène », article « La pre­mière audience », biblio­thèque Marguerite Durand, à Paris.
  16. Florence Montreynaud avance, à tort, six mois de pri­son dans L’aventure des femmes XXe-XXIe siècle, Nathan, 2011. Catherine Valenti parle quant à elle de trois mois, dans son ouvrage Les grandes femmes de l’Histoire de France (EDI8, 2010).
  17. Ute Gerhard, « Concepts et contro­verses », Le siècle des fémi­nismes, Éditions de l’Atelier, 2004, p. 48.
  18. Pour ses liens avec Madeleine Pelletier, voir Madeleine Pelletier, une fémi­niste dans l’arène poli­tique, Claude Maignien et Charles Sowerwine, Éditions de l’Atelier, 1992.
  19. Cité par William Guéraiche, Les femmes et la République : essai sur la répar­ti­tion du pou­voir de 1943 à 1979, cor­res­pon­dance du 21 février 1945, à Marianne Verger, Éditions de l’Atelier, 1999, p. 69.
  20. Hélène Brion, Préface à la seconde édi­tion, « Les par­tis d’avant-garde et le fémi­nisme », La voie fémi­niste, 1er novembre 1918.
  21. Flora Tristan, Vie, œuvre mêlées, 10|18, 1973, p. 7.
  22. Christine Delphy, L’Ennemi prin­ci­pal, tome 2, Syllepses, 2013, p. 57.
  23. Christine Bard, « La lutte des femmes et celles pour l’égalité et la jus­tice ne font qu’une », L’Humanité, 8 mars 2013.
  24. Sophie Cœuré, art. cit.
  25. Yannick Ripa, Les femmes, actrices de l’Histoire : France, de 1789 à nos jours, Armand Colin, 2010.
  26. Voir son Encyclopédie fémi­niste, archives Brion, biblio­thèque Marguerite Durand, Paris.
  27. Lettre à M. Roosevelt, écrite en mars 1945, dis­po­nible dans les archives Brion, à la biblio­thèque Marguerite Durand, à Paris.
  28. Antoinette Fouque, Il y a deux sexes, Folio actuel|Gallimard, 2015, p. 132.
  29. Texte dis­po­nible dans les archives Brion, à la biblio­thèque Marguerite Durand, Paris.
  30. « À pro­pos des thèses de C. Delphy : L’oubli de la repro­duc­tion sociale », L’Anticapitaliste, n° 67 (juillet-août 2015).
  31. Colette Avrane, art.cit.
Émile Carme

Découvrir d'autres articles de



Nous sommes un collectif entièrement militant et bénévole, qui refuse la publicité. Vous pouvez nous soutenir (frais, matériel, reportages, etc.) par un don ponctuel ou régulier.