Frigga Haug : « La libération des femmes est indispensable à celle de l’humanité »


Entretien inédit pour le site de Ballast

Cofondatrice du Forum inter­na­tio­nal des fémi­nistes socia­listes, la phi­lo­sophe et socio­logue alle­mande est éga­le­ment membre d’ATTAC et proche du par­ti de gauche Die Linke. Ses écrits — introu­vables en langue fran­çaise — la situent dans le champ du fémi­nisme mar­xiste et maté­ria­liste. Féministe, car elle entend en finir avec le sys­tème poli­tique, éco­no­mique et cultu­rel qui, depuis tou­jours et sur tous les conti­nents, refuse aux femmes la stricte éga­li­té ; mar­xiste, car elle aspire à l’a­bo­li­tion des classes sociales qui com­posent nos socié­tés ; maté­ria­liste, car elle s’at­tache à sai­sir les rap­ports de force sociaux et les pra­tiques maté­rielles. Ou com­ment, d’un même élan, lut­ter pour l’é­man­ci­pa­tion des femmes, dans ce qu’elle a de spé­ci­fique, et le socia­lisme, pour l’en­semble des humains.


Vous rap­pe­lez que le mou­ve­ment révo­lu­tion­naire a sou­vent consi­dé­ré la cause des femmes comme un fac­teur de « troubles ». Elle détour­ne­rait du com­bat prin­ci­pal, à savoir la lutte contre la domi­na­tion du capi­tal. À quel moment de votre vie avez-vous tenu à mener les deux com­bats ensemble ?

La résis­tance qui a reje­té le fémi­nisme comme étant « petit-bour­geois » (au motif qu’il se détour­ne­rait du « prin­ci­pal »), pro­ve­nait des rangs des orga­ni­sa­tions et des organes du mou­ve­ment ouvrier — c’est-à-dire les com­mu­nistes, les syn­di­cats et les sociaux-démo­crates. Donc pas seule­ment le « mou­ve­ment révo­lu­tion­naire ». Le « nou­veau mou­ve­ment des femmes », qui a sur­gi avec le mou­ve­ment étu­diant, n’a pas été pris au sérieux en tant que mou­ve­ment social par les gens que je viens d’é­nu­mé­rer. Il a été com­bat­tu parce que ces fémi­nistes avaient des dési­rs spé­ci­fiques qui ne ren­traient pas dans le cadre de leur lutte. Moi non plus, d’ailleurs, je n’aurais sans doute pas pris ce mou­ve­ment fémi­niste au sérieux si j’avais été étu­diante à ce moment-là, dans les années 1960, et si le centre de ma vie avait été l’université. Mais, à cette époque, j’é­tais dans un vil­lage avec un enfant en bas âge, et j’es­sayais d’é­crire ma thèse. D’un point de vue social, j’étais prise au piège. La situa­tion m’a contrainte à réflé­chir sur le fait que j’avais rétro­gra­dé, pas­sant du sta­tut d’étudiante enthou­siaste devant les inté­rêts mul­tiples pré­sen­tés par l’assemblée des étu­diants, à celui de veuve cam­pa­gnarde accom­pa­gnée d’un bébé… Je suis reve­nue à l’université et j’ai rejoint le pre­mier Conseil d’action fémi­niste de Berlin, en cher­chant à y fon­der des groupes d’apprentissage et de recherche pour tra­vailler sur les ori­gines de la répres­sion des femmes. Cela m’a sem­blé être la condi­tion préa­lable au changement.

« La libé­ra­tion effec­tive des femmes se révèle être celle des humains en géné­ral ; elle ne sera, dès lors, tou­jours pas atteinte avant long­temps. »

On s’en sou­vient : le mou­ve­ment des femmes a atti­ré l’attention sur tout le tra­vail accom­pli par les femmes en dehors de leur pro­fes­sion — à la mai­son, dans l’é­du­ca­tion des enfants, dans les rela­tions humaines. Ce tra­vail récla­mait d’être recon­nu et inté­gré. Le dou­lou­reux sou­ve­nir de la len­teur avec laquelle les enfants gran­dissent me don­na l’impulsion pour par­ler d’une « logique des deux temps ».

C’est-à-dire ?

Je pro­po­sais d’articuler autre­ment les deux domaines, en cri­ti­quant l’exigence de rému­né­ra­tion du tra­vail domes­tique et édu­ca­tif — et donc d’in­té­gra­tion du tra­vail à la mai­son au sein du tra­vail sala­rié. J’ai écrit : « C’est une double divi­sion, la sépa­ra­tion des plai­sirs des sens et du sens de la vie par rap­port au tra­vail, d’une part, et, d’autre part, la dis­tinc­tion du tra­vail entre celui qui rap­porte un salaire et celui qui ne rap­porte rien, qui s’exprime dans la méta­phore Ne pas être chez soi dans le tra­vail (Karl Marx). Dans ce ren­ver­se­ment, les femmes occupent l’espace domes­tique, l’espace mar­gi­nal, qui est en quelque sorte un refuge, un lieu dévoyé de l’espoir. La suroc­cu­pa­tion oppres­sive des femmes devient néces­saire à la sur­vie des sala­riés mas­cu­lins. Elle se conforte dura­ble­ment dans la col­la­bo­ra­tion fami­liale entre les deux sexes. Ne serait-ce pas un acte révo­lu­tion­naire que d’introduire ici quelque bou­le­ver­se­ment pour sus­ci­ter un nou­vel ordre ? » On pour­ra lire la suite dans mon nou­veau livre, Der im Gehen erkun­dete Weg — Marxismus-Feminismus [Le Chemin décou­vert en mar­chant — Marxisme-fémi­nisme]. La per­cep­tion de la poli­tique fémi­niste s’est amé­lio­rée durant ces 40 der­nières années de luttes. La libé­ra­tion effec­tive des femmes se révèle être celle des humains en géné­ral ; elle ne sera, dès lors, tou­jours pas atteinte avant long­temps.

Vous écri­vez dans votre texte « Marx within femi­nism » que sa « métho­do­lo­gie et sa théo­rie ont rom­pu avec la méta­phy­sique », et que c’est son apport le plus fécond. Que le fémi­nisme serait, même, dif­fi­ci­le­ment conce­vable sans ceci !

Voyez les Thèses sur Feuerbach de Marx, publiées en 1888. On y lit dès le début : « Le défaut prin­ci­pal de tout maté­ria­lisme pas­sé (y com­pris celui de Feuerbach) est que l’objet concret, la réa­li­té effec­tive, le monde sen­sible, ne sont com­pris que sous la forme de l’objet ou de l’intuition, mais pas comme acti­vi­té humaine sen­sible, pas sub­jec­ti­ve­ment. » Cette posi­tion, qui cri­tique d’emblée un cer­tain maté­ria­lisme, s’opposant lui-même à l’idéa­lisme, com­plique la tâche qui incombe à la pen­sée et à la connais­sance. Il ne s’agit nul­le­ment de remettre en vigueur, dans une pers­pec­tive maté­ria­liste cri­tique, une quel­conque démarche idéa­liste, mais, pour le dire dans des termes actuels, de ren­for­cer les pro­cé­dures qui placent au pre­mier rang, comme objet de recherche, les condi­tions maté­rielles dans les­quelles vivent les hommes. De telle sorte que rien de social ne peut être com­pris s’il n’est pas appré­hen­dé aus­si comme acte sub­jec­tif accom­pli par les hommes. Les hommes ne créent pas leur his­toire à par­tir d’éléments libres mais la créent eux-mêmes — c’est ce que dira Marx plus tard (tout comme Lassalle et Rosa Luxemburg). La tâche com­pli­quée qui en résulte pour la recherche se pro­pose d’examiner les condi­tions de cette his­toire comme faites par les hommes, donc sus­cep­tibles d’être modi­fiées — et qu’il fau­dra recons­truire d’un point de vue his­to­rique. Elle se pro­pose d’appréhender d’un point de vue sub­jec­tif les hommes comme arti­sans de leur vie à par­tir de leurs pen­sées, de leurs sen­ti­ments et de leur volon­té (quand bien même cette struc­tu­ra­tion de la vie est-elle encore alié­née de mul­tiples manières et per­ver­tie par les condi­tions pro­duites par les hommes).

[DR]

Cet entre­mê­le­ment des démarches, aujourd’hui néces­saires, trans­gresse d’emblée les fron­tières dis­ci­pli­naires (soi­gneu­se­ment pré­ser­vées) entre psy­cho­lo­gie, socio­lo­gie, éco­no­mie, phi­lo­so­phie, bio­lo­gie, phy­sique, etc. Dans un pro­ces­sus concret de recherche, cette constel­la­tion néces­site donc, à chaque fois, des col­lec­tifs de cher­cheurs et, fon­da­men­ta­le­ment, un dépla­ce­ment des pro­blèmes par rap­port à la manière dont ils se pré­sentent ordi­nai­re­ment. La manière dont les pro­blèmes et les ques­tions se posent quo­ti­dien­ne­ment révèle quelque chose sur la constel­la­tion au sein de laquelle ces pro­blèmes sur­gissent. Mais, dans la mesure où ils appa­raissent au beau milieu d’un pro­ces­sus, ils dis­si­mulent le contexte pro­fond qu’un dépla­ce­ment des pro­blèmes requiert d’analyser — ce sera le point de départ comme le résul­tat du pro­ces­sus de recherche. Alors coïn­ci­de­ront « dans le pro­ces­sus révo­lu­tion­naire la trans­for­ma­tion des cir­cons­tances et la trans­for­ma­tion de soi », comme on peut le lire dans une autre thèse de Feuerbach. Entrer plus en détail nous mène­rait trop loin, mais on voit bien d’emblée qu’ainsi, la ques­tion de la trans­for­ma­tion de soi — l’autocritique — revêt une signi­fi­ca­tion spé­ciale et qu’elle ne peut plus être aus­si faci­le­ment écar­tée comme une ques­tion « stric­te­ment fémi­niste », et mise sur le compte de l’esprit petit-bour­geois et arrogant.

Vous évo­quez aus­si le Marx « patriarche ». Que n’a­vait-il pas compris ?

« Nous devons nous battre pour un pro­jet com­mun d’é­man­ci­pa­tion afin que nous, femmes, nous per­ce­vions comme per­son­nage historique. »

Comme tous les mar­xistes après lui, Marx n’a pris en compte, dans ses ana­lyses, le domaine de la repro­duc­tion indi­vi­duelle que tant qu’il s’agissait du salaire de celui qui nour­rit la famille. La repro­duc­tion de la classe ouvrière — c’est ce qu’il écrit — peut en confiance être lais­sée à l’instinct de repro­duc­tion des tra­vailleurs. Marx est com­plè­te­ment pas­sé à côté du sens de la relé­ga­tion dans la sphère pri­vée de la ques­tion de la repro­duc­tion des hommes, dans une socié­té capi­ta­liste, lui fai­sant de nou­veau perdre toute dimen­sion sociale.

Un texte publié par le Nouveau Parti anti­ca­pi­ta­liste, en France, assure qu’on ne peut oppo­ser la « classe » des hommes à celle des femmes car il est faux de pré­tendre « que l’épouse de Carlos Ghosn [grand indus­triel, ndlr] et celle d’un tra­vailleur de Renault appar­tien­draient à une même classe ». Quel regard por­tez-vous sur cette question ?

C’est là-des­sus que nous (c’est-à-dire l’Union des femmes socia­listes à Berlin-Ouest) avons dis­cu­té, dans les années 1970, en nous échauf­fant l’es­prit — et non sans une arro­gance un peu imbé­cile ! Nous n’étions pas assez sûres de nous pour nous deman­der si cette ques­tion pou­vait être posée de manière erro­née. Il est à ce point évident que les humains se dif­fé­ren­cient selon les classes et les sexes que c’est un jeu d’enfant pour les médias domi­nants de semer la ziza­nie, au point qu’aucune force com­mune ne peut s’en déga­ger. La ques­tion qui conduit plus loin est donc la sui­vante : Qu’est-ce qui est com­mun aux femmes dans le monde et qui peut être le fon­de­ment de leur oppres­sion — mais en même temps et inver­se­ment de leur libé­ra­tion — et com­ment leur com­mu­nau­té soli­daire pour­rait-elle être atta­quée ? On ver­ra que cette ques­tion sus­cite d’autres réponses, qui seront à leur tour le point de départ de nou­velles pro­blé­ma­tiques et de nou­velles poli­tiques. Dans ce contexte, je parle de « rap­ports de sépa­ra­tion » comme mot d’ordre de la recherche et de la politique.

Vous avez étu­dié le néo­li­bé­ra­lisme et assu­rez qu’il rend le fémi­nisme ô com­bien « brû­lant » !

Il s’a­git là encore d’un rap­port d’au­to­dé­ter­mi­na­tion : libé­rer la cheffe d’en­tre­prise en lui per­met­tant de sor­tir de son iso­le­ment per­son­nel pour s’ins­crire dans un col­lec­tif plu­riel. Comme le pro­pose Gramsci, nous devons nous battre pour un pro­jet com­mun d’é­man­ci­pa­tion afin que nous, femmes, nous per­ce­vions comme per­son­nage his­to­rique, sans pour autant en oublier notre propre per­son­na­li­té. 

[DR]

Dans son livre Le Féminisme en mou­ve­ments, Nancy Fraser écrit qu’il y a aujourd’­hui une « liai­son dan­ge­reuse » entre le fémi­nisme mon­dial hégé­mo­nique et le libé­ra­lisme, du fait de l’a­ban­don de la ques­tion sociale au pro­fit du seul champ cultu­rel. Partagez-vous son constat ?

Je connais Nancy Fraser depuis des dizaines d’an­nées. J’ai réagi à ses posi­tions dans une contri­bu­tion, « Du des­tin à l’Histoire, com­ment écrire l’his­toire des mou­ve­ments ? ». Ses pro­pos étaient natu­rel­le­ment pro­vo­ca­teurs et les médias se sont empres­sés de les qua­li­fier de « cri­tique du fémi­nisme ». Ils étaient néces­saires pour atti­rer à nou­veau l’at­ten­tion sur la situa­tion des femmes. L’opposition du cultu­rel et du social est pro­blé­ma­tique et induit en erreur. En effet où, si ce n’est dans le cultu­rel, ont lieu les cri­tiques et les chan­ge­ments, où sont-ils débat­tus et effec­tués ? Parallèlement, la sub­sti­tu­tion du social au cultu­rel est cri­ti­quable et le fon­de­ment dans le socio-éco­no­mique est à creu­ser. Ce fai­sant, peut-être trans­for­mons-nous la ques­tion fémi­niste en ques­tion por­tant sur la vie bonne pour tous.

En Espagne, l’a­vor­te­ment a refait débat ; en Irlande, des mobi­li­sa­tions ont eu lieu en 2015 pour abro­ger le 8e amen­de­ment de leur consti­tu­tion, ayant lui aus­si trait à l’IVG…

« Créer l’es­pace où les femmes de dif­fé­rentes cultures peuvent lut­ter pour elles-mêmes. »

Certaines ques­tions sus­citent tou­jours un élan com­mun. Rien de plus ennuyeux que de s’in­ter­ro­ger sur le socia­lisme de cha­cune d’entre elles et de se deman­der : « Devons-nous nous en sai­sir en tant que socia­listes ou s’a­git-il d’une ques­tion­ne­ment petit-bour­geois ? » Dans notre groupe de femmes, nous avons éga­le­ment com­mis l’er­reur de nous deman­der si l’a­vor­te­ment était un sujet socia­liste. À l’in­verse, se deman­der ce qui tour­mente et motive les humains, quelles expé­riences les incite à s’in­sur­ger et à résis­ter est une ques­tion socia­liste. La ques­tion de l’a­vor­te­ment a déclen­ché un mou­ve­ment des femmes inter­na­tio­nal. Elle contient de nom­breuses autres pro­blé­ma­tiques. Nous avons pu iden­ti­fier la struc­ture des socié­tés capi­ta­listes, par exemple : les béné­fices pour l’in­dus­trie phar­ma­ceu­tique, la compétence/l’incompétence du corps médi­cal, le sys­tème de san­té, l’é­du­ca­tion, l’é­cole, le rôle et la fonc­tion des femmes au sein de ces ins­ti­tu­tions : en résu­mé, toutes les pro­blé­ma­tiques d’une vie bonne… Aujourd’hui, la ques­tion des réfu­giés est au cœur des pré­oc­cu­pa­tions ; elle repré­sente un défi immé­diat. Elle englobe des ques­tions sur le déve­lop­pe­ment, le pro­grès, la richesse et la pau­vre­té, le loge­ment, la sécu­ri­té et la peur, l’autre et soi, la guerre et la paix, et inter­roge notre implication.

En France, et sans doute en Allemagne, une ques­tion clive assez vio­lem­ment le mou­ve­ment fémi­niste : l’é­mer­gence de l’is­lam dans des espaces plu­tôt sécu­la­ri­sés. Le fou­lard est par exemple la source de bru­tales polémiques…

J’ai écrit un livre entier à ce sujet, avec Katrin Reimer, en 2005. Les dif­fé­rents groupes en oppo­si­tion y sont ras­sem­blés. Une fois de plus, nous consta­tons que la ques­tion du port du voile à l’é­cole, des pro­fes­seures et des élèves est mal posée. Il ne s’a­git pas d’être pour ou contre le voile, de dire « Le voile : oui ou non ? », mais d’in­clure cette ques­tion dans celle de la place des femmes dans les cultures et pays concer­nés, les rôles du droit, de l’État, de l’Église et de la reli­gion. Les sujets, c’est-à-dire les femmes concer­nées, doivent être inter­ro­gées, et non repré­sen­tées. Par exemple, concer­nant le port du voile des migrantes, nous devons créer des espaces poli­tiques et ques­tion­ner de manière his­to­rique et cri­tique le rap­port entre les genres, le rôle de l’État dans une poli­tique d’é­man­ci­pa­tion, le racisme et, évi­dem­ment, les liens entre Église et État. Cependant, il ne s’a­git ni de « tolé­rance libé­rale » ni d’« auto­dé­ter­mi­na­tion indi­vi­duelle », au sens où cha­cun a le droit de dor­mir sous les ponts de Paris — nous serions là en pleine idéo­lo­gie bour­geoise ! Il s’a­git bien plus de « ren­ver­ser toutes les condi­tions sociales dans les­quelles l’homme est un être abais­sé, asser­vi, mépri­sable ». Cela ne signi­fie pas que tout·e un·e chacun·e peut som­brer en toute conscience (ce qui serait le mot d’ordre néo­li­bé­ral) mais que les condi­tions doivent être l’ob­jet de la lutte, c’est-à-dire créer l’es­pace où les femmes de dif­fé­rentes cultures peuvent lut­ter pour elles-mêmes.

[Marche des femmes à Washington (2017)]

Vous insis­tez en effet régu­liè­re­ment sur l’im­por­tance de l’Histoire pour appré­hen­der nos luttes pré­sentes. Comment pas­ser le relai ?

J’ai mis au point la méthode du tra­vail de mémoire col­lec­tif. Elle est depuis répan­due et uti­li­sée dans de nom­breuses régions du monde. Elle est le mieux pré­sen­tée dans Female Sexualization : A Collective Work of Memory, tra­duit en anglais chez Verso : c’est deve­nu un clas­sique. Elle per­met de faire bou­ger la pen­sée domi­nante, d’in­ter­ro­ger sa propre posi­tion, ses sen­ti­ments et sa com­pré­hen­sion ; de remettre en ques­tion sa construc­tion per­son­nelle — donc d’é­vo­luer, tout en fai­sant évo­luer le monde.

Les figures célé­brées de notre famille poli­tique sont majo­ri­tai­re­ment des hommes. Vous avez consa­cré un livre à l’une d’entre elles, une femme, Rosa Luxemburg, und die Kunst der Politik. Pourquoi elle en particulier ?

Rosa Luxemburg n’é­tait évi­dem­ment pas une fémi­niste, même si de nom­breuses images fortes, comme de nom­breux exemples, sont chez elle liés aux femmes. Mais, dans tous ses textes, elle avance que la poli­tique et la démo­cra­tie socia­liste doivent venir du bas. La poli­tique « par le bas » est l’es­sence même du socia­lisme pour lequel la lutte vaut la peine. Dans sa « Realpolitik révo­lu­tion­naire », elle fonde donc une poli­tique où les femmes sont évi­dem­ment inté­grées ; mais elle avance éga­le­ment que la libé­ra­tion des femmes est indis­pen­sable à celle de l’hu­ma­ni­té. C’est la rai­son qui m’a pous­sée à sup­po­ser que les fémi­nistes jouent un rôle déci­sif dans un mar­xisme vivant.


Traduit de l’al­le­mand, pour Ballast, par Maude Morrison et Jonathan Delaunay.
Photographie de ban­nière : Amplifier Foundation


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☰ Lire notre entre­tien avec Christine Delphy : « La honte doit chan­ger de bord », décembre 2015
☰ Lire notre entre­tien avec Bérangère Kolly : « La fra­ter­ni­té exclut les femmes », octobre 2015
☰ Lire notre tra­duc­tion « Quand les élites mon­diales récu­pèrent le fémi­nisme », Hester Eisenstein, sep­tembre 2015
☰ Lire notre entre­tien avec Angela Davis : « Nos luttes mûrissent, gran­dissent », mars 2015
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