Des hommes et des bagnes


Entretiens inédits pour le site de Ballast

Fin 2014, Nicolas Dupont-Aignan, du par­ti Debout la France, pro­po­sait « qu’on réta­blisse à Cayenne un centre de déten­tion ». Quelques mois plus tard parais­sait aux édi­tions Libertalia l’ou­vrage Des Hommes et des bagnes : un hasard, bien sûr, mais un hasard à même de bous­cu­ler nos caté­go­ries et nos clas­se­ments — une his­toire qui, par-delà le noir et le blanc dont elle se vêt, résonne au pré­sent ? Pour en par­ler, nous avons inter­ro­gé le coor­di­na­teur de ce pro­jet, Jean-Marc Delpech, par ailleurs auteur de deux ouvrages consa­crés à Alexandre Jacob (l’a­nar­chiste qui fut l’une des ins­pi­ra­tions du per­son­nage Arsène Lupin), ain­si que son éditeur.


bagn01 La genèse de cet ouvrage est assez éton­nante. Pouvez-vous nous la retracer ?

Avec les Éditions de La Pigne, que j’ai créées avec un col­lègue de tra­vail, nous avions en 2013 le pro­jet de réédi­ter Dix-huit ans de bagne, le poi­gnant livre de sou­ve­nirs de l’anarchiste Jacob Law, qui fut condam­né aux tra­vaux for­cés en 1907 pour avoir fait feu sur la troupe qui char­geait les mani­fes­tants pari­siens du 1er mai de cette année. Philippe Collin, qui réside autour de Lyon, nous a contac­tés par le biais du Jacoblog — le blog sur l’honnête cam­brio­leur Alexandre Jacob que j’anime depuis 2008. Il nous a dit que son grand-père, méde­cin, avait voya­gé sur le vapeur Le Loire (ou La Loire, c’est selon), où il soi­gnait les bagnards que l’on emme­nait en Guyane, et qu’il avait lais­sé des traces écrites et pho­to­gra­phiques de cette période (1907–1910). Lorsqu’il ne tra­vaillait pas, Léon Collin pre­nait des notes et des cli­chés de ce qu’il voyait lors de ses péré­gri­na­tions en terre de Grande Punition. De la sorte, il appor­tait un témoi­gnage et un por­trait tota­le­ment incon­nus sur Jacob Law, que nous avons inté­grés dans notre publi­ca­tion. Mais Léon Collin a aus­si visi­té la Nouvelle-Calédonie de 1910 à 1913. Là, il par­ti­ci­pait à des cam­pagnes de vac­ci­na­tion et en pro­fi­tait pour voir les bagnes du Caillou, où tout au moins ce qu’il en res­tait puisqu’on a arrê­té d’y envoyer des condam­nés à par­tir de 1897. Et, comme en Guyane, il avait avec lui le sty­lo et l’appareil photo.

« Il faut attendre la fin des années 1920 pour que l’opinion publique s’émeuve et que se mettent en place de véri­tables cam­pagnes deman­dant la sup­pres­sion du bagne. »

Cet extrait m’a for­cé­ment don­né envie d’en savoir plus, a for­cé­ment éveillé ma curio­si­té. Philippe avait depuis peu sor­ti du gre­nier de la mai­son fami­liale les archives de son aïeul et décou­vert l’ampleur du témoi­gnage lais­sé qu’il n’imaginait pas quand, gamin, il s’amusait à jouer les explo­ra­teurs en culotte courte. On a les îles au tré­sor qu’on peut et celui-là atten­dait pai­si­ble­ment son heure dans les combles d’une mai­son à Crêches sur Saône : des car­nets de notes et des plaques de verre en pagaille ! Léon Collin, très cer­tai­ne­ment dans les années 1950, avait com­pi­lé le tout dans deux tapus­crits : Quatre ans chez les for­çats et Fin de bagne en Nouvelle-Calédonie. Philippe a cher­ché et atten­du les conseils avi­sés d’historiens spé­cia­listes de la ques­tion (Michel Pierre, par exemple) qui ont signa­lé dans le n° 64 du maga­zine les Collections de L’Histoire (juillet-sep­tembre 2014) l’aspect excep­tion­nel de ce « rare » docu­ment. Rare parce qu’il est un des seuls à envi­sa­ger le bagne glo­ba­le­ment dans sa dimen­sion spa­tiale, puisqu’il pré­sente ces camps de la mort par le tra­vail en Guyane et en Nouvelle-Calédonie, alors que l’institution péni­ten­tiaire et colo­niale connaît une espèce d’âge d’or au début du XXe siècle. Il faut attendre la fin des années 1920, c’est-à-dire après le repor­tage d’Albert Londres, pour que l’opinion publique s’émeuve et que se mettent en place de véri­tables cam­pagnes deman­dant la sup­pres­sion du bagne. Philippe nous a aus­si pas­sé un exem­plaire pho­to­co­pié des écrits de son grand-père. Un véri­table choc en par­cou­rant le fac-simi­lé que nous avons trans­mis à Libertalia, à l’occasion d’un salon du livre liber­taire à Lyon. Le pro­jet était lancé.

Et de quelle façon inter­ve­nez-vous, dans cette aventure ?

Livrer telle quelle cette source majeure de l’histoire car­cé­rale fran­çaise aurait consti­tué une gageure. La plume de Léon Collin est fine, belle, lar­ge­ment acces­sible ; les images de l’enfer guya­nais et du Caillou qu’il nous donne à voir sont admi­rables et ter­ribles à la fois. Mais il y avait tout un tra­vail d’explication, de mise en lumière, de contex­tua­li­sa­tion à effec­tuer pour sai­sir l’importance de ce témoi­gnage qui par défi­ni­tion ne peut s’empêcher d’aborder cer­tains aspects tech­niques, géo­gra­phiques, sociaux ou encore poli­tiques. Lorsque le méde­cin Léon Collin décrit dans le détail le phy­sique de tel ou tel condam­né, il faut com­prendre qu’il est un homme de science de son temps, et qu’à ce titre ses consi­dé­ra­tions lom­bro­siennes qui mettent en valeur des têtes de cri­mi­nel n’ont rien de sur­pre­nant à l’époque. Elles peuvent en revanche aujourd’hui dérou­ter. Lorsque ce lec­teur des jour­naux de la Belle Epoque ren­contre Soleilland, Bérézowski, Viou, Taillefer, Antonetti, Cambrai et tant d’autres, il fal­lait bien évi­dem­ment expli­quer en quoi ces hommes punis avaient rete­nu son atten­tion, en quoi ils sor­taient de l’ordinaire, ce qu’ils avaient com­mis dans la vie libre pour endu­rer la guillo­tine sèche. Ici, le dan­ger était de tom­ber dans une facile para­phrase voyeu­riste en abor­dant la thé­ma­tique du fait divers. Léon Collin est un voya­geur et son guide donne des lieux, décrit des espaces, signale des évé­ne­ments, envi­sage des groupes humains qu’il fal­lait enfin retrou­ver et ana­ly­ser pour mettre en lumière son témoi­gnage. Le méde­cin semble encore se tenir au cou­rant des débats qui agitent le petit monde des juristes et des cri­mi­no­logues dont il a fal­lu retrou­ver le dis­cours. Au final, ce fut presque deux ans de recherche pour appor­ter un appa­reil cri­tique accep­table. Philippe s’est char­gé par exemple des innom­brables dos­siers de bagnards du fait de sa proxi­mi­té géo­gra­phique avec les Archives du bagne à Aix-en-Provence (les ANOM), tan­dis que je m’attaquais à l’exploration de la presse, des textes de loi, des ouvrages de cri­mi­no­lo­gie ou encore des comptes-ren­dus de débats par­le­men­taires, etc. L’aide de cer­tains his­to­riens, d’archivistes comme Jean-Lucien Sanchez, Franck Sénateur ou encore Louis José Barbançon nous a aus­si été par­ti­cu­liè­re­ment pré­cieuse ; ceux-ci ont été à l’écoute et ont répon­du à nos inter­ro­ga­tions. Qu’ils soient ici d’ailleurs remer­ciés. À la fin de ce jouis­sif labeur, l’avant-propos de Philippe et la pré­face que j’ai écrite nous ont sem­blé logiques pour intro­duire et cla­ri­fier le texte et le repla­cer dans son contexte, c’est-à-dire plon­ger le lec­teur dans le récit du doc­teur Collin.

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Sont évo­quées les polé­miques qui existent autour des ana­lo­gies qu’il serait pos­sible et pen­sable, ou non, d’ef­fec­tuer entre les camps de concen­tra­tion et le bagne. Dites-nous en plus. Et quid de votre posi­tion personnelle ?

Les bagnes sont-ils des camps de concen­tra­tion ? J’avoue que la ques­tion me taraude depuis que je tra­vaille sur Alexandre Jacob, dont le pre­mier bio­graphe, Alain Sergent, affir­mait en 1950 dans Un anar­chiste de la Belle Époque qu’ils cor­res­pon­daient – pré­fi­gu­raient plu­tôt, mais à un niveau net­te­ment moins indus­triel – aux camps de concen­tra­tion natio­naux-socia­listes et aux gou­lags sta­li­niens. L’honnête cam­brio­leur, voleur et anar­chiste, écri­vait en 1932 au dépu­té de la Loire Ernest Laffont que, dans son convoi de décembre 1905, ils étaient plus de 600 hommes punis et que six mois plus tard l’effectif avaient été « réduit » à 128 per­sonnes ! C’est une mor­ta­li­té effrayante qui dès le départ, c’est-à-dire le décret-loi impé­rial de 1854, jusqu’à l’arrêt de la trans­por­ta­tion en 1938, s’évalue annuel­le­ment à 10 % envi­ron. Il y a bien évi­dem­ment des pics de mor­ta­li­té, comme la grippe espa­gnole qui va faire des ravages en Guyane. En 1939, il n’y a plus guère qu’environ 3 000 condam­nés qui expient outre-Atlantique ; ils ne sont plus qu’à peine 1500 en 1945 et il n’y a pas eu, qua­si­ment pas eu, de libé­ra­tions et d’évasions. Le bagne a fon­du de 50 % ! Visitant régu­liè­re­ment le camp de concen­tra­tion du Struthof en Alsace avec mes élèves vos­giens, on y apprend que sur à peine plus de trois ans d’existence, 47 % des inter­nés ont tré­pas­sé dans ce lieu de tra­vail for­cé où l’on retrouve aus­si des bara­que­ments, des kapos, des pri­sons dans la pri­son… L’analogie est-elle facile et sim­pliste ? Aboutit-elle à « un amal­game dan­ge­reux » comme l’affirme Franck Sénateur, parce qu’elle « change la per­cep­tion de notre his­toire » ? Un an plus tôt, Jean-Lucien Sanchez, qui vient de publier une somme impres­sion­nante sur l’histoire de la relé­ga­tion en Guyane, réfu­tait lui aus­si la com­pa­rai­son en citant Hannah Arendt. Pour lui, le bagne « ne ban­nit que d’une par­tie du monde vers une autre par­tie du monde, éga­le­ment habi­tée par des êtres humains ; il n’exclut pas tota­le­ment du monde des hommes ». Mais il évoque un sys­tème bru­tal et arbi­traire qui conduit à la mort une majeure par­tie des condam­nés. Il admet encore que « ce qui néan­moins relie ces deux modèles, à mon sens, est le recours au tra­vail for­cé, mais la simi­li­tude s’arrête là ».

« Il n’y a pas besoin de bar­rières, de grilles et de tour de ronde en Guyane. La forêt ama­zo­nienne et un océan aux forts cou­rants, infes­tés de requins se chargent de sup­pléer les gardes-chiourme. »

Michel Pierre, quant à lui, refuse toute idée de pré­fi­gu­ra­tion — pré­fé­rant, à juste titre d’ailleurs, amal­ga­mer le bagne fran­çais et la colo­ni­sa­tion pénale anglaise en Australie. Pour autant, il parle de camp de concen­tra­tion pour les Boers en Afrique du Sud et pour les Arméniens de l’Empire otto­man. La ques­tion peut donc faire débat et sus­ci­ter des réac­tions pas­sion­nées et pas­sion­nantes en ce sens qu’elle implique un régime poli­tique par­ti­cu­lier, la démo­cra­tie libé­rale, dans un sys­tème éli­mi­na­toire. Certes, le bagne est une créa­tion du Second Empire, mais la machine a été per­fec­tion­née lar­ge­ment après 1870 ; elle connaît son âge d’or sous la IIIe République. Et c’est cette IIIe République qui ferme le « robi­net d’eau sale » en Nouvelle-Calédonie parce que l’opinion publique hexa­go­nale s’était émue de ce que les « vain­cus de guerre sociale » (l’expression est d’Alexandre Jacob) n’y mour­raient pas assez ! C’est encore cette IIIe République qui, en 1885, nour­rit l’ogre bagne avec l’envoi des mul­ti­ré­ci­di­vistes de la petite et moyenne délin­quance par la loi créant la relé­ga­tion. Le socio­logue et lin­guiste éta­su­nien Erving Goffman parle en 1961, dans son étude sur les asiles d’aliénés, d’ins­ti­tu­tions totales pour qua­li­fier ces lieux d’enfermement où l’individu ne devient qu’un rouage rem­pla­çable et cor­véable à mer­ci. Pour le bagne, c’est à peu de choses près le même type de fonc­tion­ne­ment. Est-il concen­tra­tion­naire ? Il n’y a pas besoin de bar­rières, de grilles et de tour de ronde en Guyane. La forêt ama­zo­nienne et un océan aux forts cou­rants, infes­tés de requins se chargent de sup­pléer les gardes-chiourme dont les témoi­gnages et autres récits nous disent com­bien ils furent féroces, pré­va­ri­ca­teurs, vio­lents, etc. Le doc­teur Louis Rousseau, dans l’introduction de son Médecin au bagne, écrit en 1930 que « char­gé pen­dant deux ans du ser­vice médi­cal d’un péni­ten­cier guya­nais, j’ai eu sous les yeux le triste spec­tacle de la pra­tique péni­ten­tiaire colo­niale. J’ai été pro­fon­dé­ment dégoû­té. Ayant pour tâche pro­fes­sion­nelle de défendre la vie dans la modeste mesure où je le peux, je n’ai pu assis­ter à cette œuvre de mort sans me deman­der à quelle louche besogne j’avais été convié et ce que j’étais venu faire dans cette galère. Je n’ai pu qu’observer, abso­lu­ment impuis­sant. » Une œuvre de mort que l’on retrouve dans les écrits et les pho­to­gra­phies du Dr Collin. Prenez, par exemple, la pho­to­gra­phie extrê­me­ment célèbre du camp dis­ci­pli­naire de Charvein, où l’on voit des hommes nus, sque­let­tiques, ané­miés, pas­ser une visite médi­cale. On sait désor­mais que c’est Léon Collin qui a pris ce cli­ché que l’on retrouve dans nombre d’études sur le sujet. Mais le tou­bib indique que l’homme allon­gé en bas à droite sur l’image, le genou levé, meurt cinq minutes après le clic de l’appareil pho­to­gra­phique ! Changez main­te­nant le décor de cette sinistre image et vous vous retrou­ve­rez dans n’importe quel espace his­to­rique où l’on a vou­lu éli­mi­ner un groupe humain pour X ou Y rai­sons… Éliminer ne signi­fie pas tuer, exter­mi­ner. Cela peut induire l’éloignement : la Guyane est à 7 000 kilo­mètres de la métro­pole, la Nouvelle-Calédonie à presque 17 000 kilo­mètres de là ! Combien sont reve­nus ? S’il ne m’appartient pas de tran­cher la ques­tion de l’amalgame avec les gou­lags sta­li­niens ou les camps de concen­tra­tion natio­naux-socia­listes — avec tout autre mou­roir d’État, fina­le­ment (et ce, quelle que soit la nature du régime poli­tique créa­teur de cette hor­reur) —, si je ne peux décem­ment pas appor­ter de réponses claires et tran­chées, j’aime à croire que je puisse m’interroger sur ce point pour ouvrir le débat et le géné­ra­li­ser sur la ges­tion de l’enfermement.

La revue Archéopage publie dans son n° 25, en avril 2009, un article de Marie-Pascal Mallé, « Urbanisme de ségré­ga­tion, archi­tec­ture d’enfermement : les bagnes de Guyane ». L’auteure y ana­lyse la poli­tique pénale et colo­niale à tra­vers l’architecture des bâti­ments du bagne. Le papier rejoint quelque peu notre pro­pos en concluant : « En presque cent ans d’existence, le bagne de Guyane n’a atteint qu’un seul des trois buts qu’il s’était fixés : l’élimination des cri­mi­nels. La réha­bi­li­ta­tion par le tra­vail et la mise en valeur des colo­nies furent des échecs com­plets. » En visi­tant la Nouvelle-Calédonie, Léon Collin annonce le fias­co de la poli­tique pénale en Guyane et, dans ses deux voyages une ving­taine d’années avant la fla­grante démons­tra­tion de Louis Rousseau, c’est bien une « œuvre de mort » qu’il nous donne à obser­ver. Les bagnes fran­çais ont-ils été pré­cur­seurs des camps de concen­tra­tion ? Ce furent des mou­roirs, à n’en point douter.

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Restituer « l’hu­ma­ni­té volée » semble être l’un des enjeux du livre : vous écri­vez qu’un tel sujet est déli­cat, puisque l’on a tôt fait de vous accu­ser de défendre les cri­mi­nels et de faire l’a­po­lo­gie du meurtre. On songe par exemple à l’a­vo­cat Thierry Lévy, dans son essai Nos têtes sont plus dures que les murs des pri­sons, expli­quant la « sym­pa­thie [qu’il] éprouve pour les cri­mi­nels dès lors qu’ils sont déte­nus. » Comment avez-vous appré­hen­dé ces enjeux phi­lo­so­phiques et moraux ?

Tout sim­ple­ment. Avec le regard et les méthodes de l’historien qui tra­vaille sur son sujet de pré­di­lec­tion. L’histoire de la marge d’une manière géné­rale, et celle de la répres­sion de la marge en par­ti­cu­lier, per­met d’envisager les fon­de­ments même d’une socié­té. Ici celle de cette si Belle Époque qui ne l’était pas vrai­ment. Le terme est d’ailleurs lui-même un ana­chro­nisme puisqu’on envi­sage de la sorte la fin du XIXe siècle après coup, c’est-à-dire après la fin de la Grande Boucherie Mondiale. On a alors réel­le­ment le sen­ti­ment d’une époque révo­lue dont on peut légi­ti­me­ment se poser la ques­tion de la beau­té sup­po­sée ou non. Pour reprendre l’expression de Dominique Kalifa dans son der­nier ouvrage, le bagne, c’est le bas-fond des bas-fonds, et comme tout espace de mar­gi­na­li­té, l’on y ren­contre une « faune » par­ti­cu­lière que l’on cherche à éloi­gner, à ne plus voir pour se ras­su­rer dans un contexte de pau­pé­ri­sa­tion, dans une époque où le terme de lutte des classes sem­blait plus âpre, plus pré­gnant média­ti­que­ment par­lant qu’aujourd’hui. C’est l’époque où les « sans-dents » peuvent encore se per­mettre de « watri­ni­ser » le patron trop gras… alors qu’aujourd’hui, pour une che­mise blanche légè­re­ment déchi­rée (sic), c’est un véri­table concert de condam­na­tions poli­tiques et média­tiques en tout genre ! Travailler sur le bagne, c’est aus­si se pen­cher sur la vio­lence des rap­ports sociaux. Or, et c’est ce que j’ai écrit au début de la pré­face du livre du Dr Collin, les bas-fonds – et par voie de consé­quence la sur­veillance et la répres­sion des bas-fonds – ont leur uti­li­té. Ils par­ti­cipent au main­tien de la paix sociale par la peur de la marge. Dans ce cadre, il faut alors repla­cer le phé­no­mène de la cri­mi­na­li­té et la ques­tion pénale, donc le bagne, dans le contexte his­to­rique d’une insé­cu­ri­té, hypo­thé­tique mais savam­ment entre­te­nue dans les feuilles à cinq sous de ce temps qui font leurs choux gras sur le thème du fait divers. Et là, c’est une explo­sion d’affaires sor­dides, d’histoires glauques et dégueu­lasses que l’on per­çoit aisé­ment dans Des hommes et des bagnes. 

« Aujourd’hui, pour une che­mise blanche légè­re­ment déchi­rée, c’est un véri­table concert de condam­na­tions poli­tiques et média­tiques en tout genre ! »

L’ouvrage couvre une période qui va de 1906 à 1913. Or, en 1907, il existe une véri­table cam­pagne de presse contre la poli­tique du pré­sident Fallières qui gra­cie­rait à tout va. Le Petit Parisien orga­nise même un son­dage pour deman­der à ses lec­teurs de se posi­tion­ner vis-à-vis du pro­jet de loi sur l’abolition de la peine de mort. Résultats publiés le 5 novembre de cette année qui, comme par hasard, voit écla­ter l’affaire de l’auberge rouge de Langon, l’affaire Soleilland ou encore l’affaire de la malle san­glante de Monte-Carlo : 75 % de bons citoyens lec­teurs avides de faits divers se déclarent contre la sup­pres­sion de la Veuve. Le 8 décembre 1908, l’Aquarium rejette par 330 voix contre 201 le pro­jet de loi dépo­sé par le garde des Sceaux Guyot-Dessaigne. Léon Collin est un homme de son temps et il ne peut s’empêcher d’aller voir ceux qui ont à un moment don­né de leur vie défrayé la chro­nique judi­ciaire. Et, à tra­vers les cli­chés qu’il nous donne à voir, à tra­vers son récit de voyage en Guyane et en Nouvelle-Calédonie, la vie faite aux hommes punis a de quoi nous inter­pel­ler. Faut-il y voir une apo­lo­gie du crime parce que le regard his­to­rique se porte sur ce groupe social ? Je lais­se­rai bien sûr la ques­tion et la réponse aux sec­ta­teurs d’une poli­tique répres­sive dure, à ce genre de triste sire comme Dupont-Aignant, par exemple, qui, pour faire du buzz poli­tique, récla­mait il y a peu la réou­ver­ture des bagnes. Mais pour légè­re­ment pro­vo­ca­trice qu’elle soit, la ques­tion sup­pose fina­le­ment celle des a prio­ri de l’historien sur son sujet. Prenons le cas de l’illégalisme anar­chiste et donc par défi­ni­tion celle de l’atteinte aux biens. Jean Maitron, dans sa monu­men­tale Histoire du mou­ve­ment anar­chiste, porte un regard bien par­ti­cu­lier sur la bande à Bonnot dont il nous dit que cer­tains de leurs prin­cipes de vie n’étaient pas à pro­pre­ment par­ler mau­vais. Et l’historien com­mu­niste de men­tion­ner pour exemples le végé­ta­risme et la sobrié­té d’un Garnier, d’un Soudy ou encore d’un Clément. Par exten­sion, nous devons alors com­prendre que c’étaient des déviants, que le vol poli­tique et l’illégalisme qu’il qua­li­fie d’anarchie dans l’anarchie sont des erreurs condam­nables. Mais l’historien n’a pas à se situer sur ce ter­rain du juge­ment qui for­cé­ment obère l’importance de l’anarchisme sur les mou­ve­ments sociaux de la fin du XIXe siècle. Ce qui est ahu­ris­sant, c’est que plus de soixante ans après Maitron, on peut lire ce même genre de pro­cé­dé dans des publi­ca­tions comme celles de la Sorbonne — qui sort en 2014 un néan­moins très inté­res­sant Au voleur !, dans lequel l’historien Vivien Bouhey ana­lyse le regard de la presse anar­chiste fran­çaise sur le vol poli­tique, en oubliant volon­tai­re­ment (ou non) de men­tion­ner des jour­naux par­ti­sans de la reprise indi­vi­duelle (comme Germinal) ou en éli­mi­nant de son pro­pos le cas Jacob, que Maitron consi­dé­rait pour­tant comme témoin de cette branche par­ti­cu­lière de l’anarchie. On ima­gine ain­si dans quel sens va le dis­cours de cet auteur. Mais, pour reprendre le fil de votre ques­tion, res­ti­tuer des huma­ni­tés volées, c’est mon­trer la réa­li­té d’un espace mor­ti­fère, mais c’est en fin de compte sor­tir de l’oubli des hommes quoiqu’ils aient pu faire. Car, si je peux tom­ber dans la para­phrase, ils furent d’abord des hommes.

Léon Collin évo­lue, au fil des pages : quelles sont les prin­ci­pales phases de sa réflexion, diriez-vous ?

Léon Collin écrit for­mi­da­ble­ment bien. C’est une plume facile et sou­te­nue à la fois. C’est tout d’abord un jeune méde­cin de 36 ans qui s’embarque à bord de la Loire et qui était préa­la­ble­ment pas­sé par l’Afrique et l’Asie. Un brin réac­tion­naire, il prend le spec­tacle bagne de plein fouet et sa vision change radi­ca­le­ment ; le spec­tacle voyeu­riste se mue en une dénon­cia­tion des pra­tiques péni­ten­tiaires. Il va par­ler du front « assez déve­lop­pé » et du crâne « en arrière » du ner­vi mar­seillais Borelli ou encore de « la forme bizarre en cuvette » du pédo­phile Cambrai ; il va s’extasier sur la beau­té des pay­sages guya­nais et calé­do­niens puis, petit à petit, s’immiscent l’horreur et le dégout. Il crie son effroi devant les têtes tran­chées par la guillo­tine de deux condam­nés dont nous n’avons pas réus­si d’ailleurs à retrou­ver les noms. Il s’insurge lit­té­ra­le­ment contre la vio­lence assas­sine des sur­veillants mili­taires. On sent son désar­roi lorsque, visi­tant des infir­me­ries en Nouvelle-Calédonie, il men­tionne des odeurs insup­por­tables de phé­nol. Le vieux bagnard pue la pisse et la mort. C’est la même impres­sion lorsqu’il entend des « voci­fé­ra­tions » dans l’asile des fous sur le Caillou ou quand il pho­to­gra­phie les lépreux et les impo­tents à Numbo sur la presqu’île Ducos : « Mais c’est une trappe hor­rible que cet asile de Numbo. Rien n’égale en hor­reur cette visite. […] N’est-ce pas là le comble de l’infortune ? » Léon Collin s’émerveille des poèmes que lui confie le condam­né Lespes et découvre une huma­ni­té chez ce réprou­vé. On pour­rait être sur­pris encore par l’homophobie latente et le pro­pos raciste mais, encore une fois, Léon Collin est un homme de son temps qui a du mal à sai­sir les pra­tiques sexuelles en milieu car­cé­ral. L’utilisation du vocable « nègre » ne gêne pas parce qu’elle est cou­rante à l’époque. Clément Duval, le bagnard anar­chiste fait la même chose dans ses sou­ve­nirs. Il est inté­res­sant de rele­ver que le doc­teur Louis Rousseau subit le même pro­ces­sus et livre en 1930 dans Un méde­cin au bagne un témoi­gnage et une ana­lyse qui consti­tuent aujourd’hui encore une réfé­rence his­to­rique majeure. Léon Collin a fait pas­ser cer­tains extraits de ses notes dans la presse de son temps sous cou­vert d’un pseu­do­nyme. Mais il n’avait cer­tai­ne­ment pas, comme Rousseau, l’intention de publier ce qu’il n’imaginait pas au départ comme un dou­lou­reux sou­ve­nir de voyage. Dans les deux cas, le bagne a mar­qué à vie.

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Il y a les pri­son­niers de droit com­mun, mais pas seule­ment : les bagnes « accueillirent » aus­si des pri­son­niers poli­tiques. À com­men­cer, pour les plus connus, par les com­mu­nards. A‑t-on des chiffres pré­cis ? Comment s’effectuait la coha­bi­ta­tion, sur place ? Collin, dans l’une des pages, évoque la « pro­mis­cui­té » du bagne…

Les pri­son­niers poli­tiques consti­tuent au bagne une infime mino­ri­té. Le dépor­té n’a pas le même sta­tut que le condam­né aux tra­vaux for­cés ou que le relé­gué. Ils sont can­ton­nés en Guyane sur l’île du Diable depuis l’affaire Dreyfus et n’ont donc en théo­rie aucun contact avec le reste de la popu­la­tion pénale. Mais ils béné­fi­cient d’une cer­taine liber­té de mou­ve­ment sur ce bout de terre… de 14 hec­tares ! La notion de déte­nu poli­tique dépend de la légis­la­tion de l’état qui entend se débar­ras­ser de ses oppo­sants. Dans ce cadre, les anar­chistes sont sou­mis aux lois dites « scé­lé­rates » de 1893–1894 cen­sées répri­mer ce mou­ve­ment à la suite de la pro­pa­gande par le fait (les bombes de Ravachol, Henry, Vaillant… pour faire court). Ils sont alors consi­dé­rés comme déte­nus de droit com­mun. Là, on aura for­cé­ment un contact, empreint de conflits mais aus­si de soli­da­ri­té, comme l’a révé­lé l’excellent mémoire de maî­trise de Valérie Portet en 1995 : Les anar­chistes dans les bagnes de Guyane de 1887 à 1914. Ils sont ain­si vic­times d’une double peine et doivent subir une vin­dicte car­cé­rale car la peur sus­ci­tée en métro­pole par la vague d’attentats s’est trans­por­tée en Guyane. Dans ces condi­tions, la mythique révolte des 21–22 octobre 1894, dont la trace « est encore vive dans toutes les mémoires des condam­nés » nous dit Léon Collin, donne lieu à un véri­table mas­sacre. Parmi les 16 vic­times, 4 sur­veillants et 12 for­çats dont 10 sont des mili­tants anar­chistes tirés comme des lapins. C’est le cas notam­ment pour Simon, dit Biscuit, com­plice de Ravachol, réfu­gié sur un arbre et à qui ses meur­triers asser­men­tés n’ont pas lais­sé le choix de la des­cente. Lorsque Léon Collin est en Guyane, il ne ren­contre fina­le­ment que très peu de condam­nés poli­ti­sés. Il ne men­tionne pas les membres des Travailleurs de la Nuit, qui, pour­tant, arrivent en terre de grande puni­tion qua­si­ment en même temps que lui — et en par­ti­cu­lier Alexandre Jacob, inter­né à ce moment dans les cachots de la réclu­sion sur l’île Saint-Joseph, pour avoir fait pas­ser de vie à tré­pas le for­çat Capeletti qui avait ten­té de l’empoisonner. Il ne faut pas non plus oublier en Guyane le camp de Crique Anguille, où furent par­qués des indé­pen­dan­tistes indo­chi­nois au début des années 1930. À cette époque, Léon Collin n’est plus au bagne depuis fort long­temps. C’est alors en Nouvelle-Calédonie que l’on pour­ra sen­tir une forte com­mu­nau­té poli­tique — le mot com­mu­nau­té n’est pas for­cé­ment appro­prié… Mais Léon Collin n’a pu ren­con­trer les quelque 4 000 com­mu­nards dépor­tés en une ving­taine de convois puisque la plus grande par­tie d’entre eux, si ce n’est la tota­li­té de ceux qui ne sont pas morts là-bas, est ren­trée en métro­pole à la suite de l’amnistie de 1880.

« Il ne faut pas non plus oublier en Guyane le camp de Crique Anguille, où furent par­qués des indé­pen­dan­tistes indo­chi­nois au début des années 1930. »

Cependant, le méde­cin remarque les traces lais­sées, parle de l’évasion de Rochefort ou évoque encore Louise Michel, « prin­cesse de l’anarchie ». Mais il ne parle pas de la grande révolte kanak de 1878 à laquelle un grand nombre de com­mu­nards ont pris part du côté de la répres­sion. Charles Amouroux, inter­na­tio­na­liste et secré­taire de la Commune, com­mande par exemple un bataillon de 31 for­çats pour chas­ser l’indigène récal­ci­trant ! On ne trouve guère que Jean Allemane, Louise Michel ou Malato père appor­tant un sou­tien et un regard ami aux insur­gés îliens. Les 200 Kabyles de la révolte des Mokrani en jan­vier 1871 sont en revanche res­tés en Nouvelle-Calédonie et se mélangent aux mil­liers d’Algériens qui font souche et s’enracinent sur des conces­sions rurales de l’Administration péni­ten­tiaire. La socié­té calé­do­nienne compte aujourd’hui un grand nombre de leurs des­cen­dants. En visi­tant les péni­ten­ciers du bagne finis­sant, Collin ren­contre enfin quelques indi­vi­dua­li­tés remar­quables et condam­nées pour des faits poli­tiques. Si le méde­cin n’éprouve guère d’empathie pour l’anarchiste Gallo, condam­né en 1886 pour avoir le 5 mars de cette année jeté une bou­teille d’acide à la bourse de Paris, et réprouve son inver­sion sexuelle, ses notes tra­hissent en revanche une cer­taine affec­tion pour le vieux Berezowsky dont « le coup de pis­to­let d’ailleurs inof­fen­sif » a raté le 6 juin 1867 le tsar Alexandre II à Paris !

Collin est, dites-vous, « un homme d’ordre », un bour­geois. On décèle pour­tant des nuances dans votre regard, une appré­cia­tion en clair-obs­cur. Qu’est-ce qui a tou­ché le liber­taire que vous êtes dans ce parcours ?

Rien ne pré­dis­po­sait Léon Collin à ouvrir un regard presque com­pa­tis­sant sur les hommes punis, à les consi­dé­rer comme des hommes, à condam­ner le sort qui leur fut réser­vé sans que cela n’émeuve en métro­pole. Silence, on tue en Guyane et on crève en Nouvelle-Calédonie ? Certes, à la dif­fé­rence d’un doc­teur Rousseau, son récit n’est pas public mais le pro­pos outra­gé sur les sur­veillants a de quoi nous inter­pel­ler sur les rap­ports de domi­na­tion don­nant qua­si­ment un droit de vie et de mort à une cohorte de brutes asser­men­tées, avi­nées et pour une grande part d’entre eux illet­trée. Bien sûr, il s’agit pour ma part d’une sim­pli­fi­ca­tion extrême et par­ti­sane, mais nous retrou­vons dans les dos­siers de ces chaouchs la confir­ma­tion de cette vio­lence décrite par Léon Collin et qui résonne aujourd’hui encore d’une ter­rible actua­li­té. Est-ce un lieu com­mun de dire que l’on « meure » encore en pri­son ? Que le pro­ces­sus de nor­ma­tion inhé­rent à toute ins­ti­tu­tion totale réduit l’individu à une fonc­tion de machine sou­mise ? Or, là où Collin aurait pu se conten­ter de ne voir que des condam­nés qui expient leur crime, il nous montre à voir souf­france et pour­ris­se­ment, il livre une véri­table cri­tique de la ges­tion bureau­cra­tique de la ques­tion cri­mi­nelle de son temps. Autrement dit, construire des pri­sons pour lut­ter contre l’insécurité, c’est déjà à son époque comme construire des cime­tières pour enrayer la mala­die. Et Léon Collin a prê­té le ser­ment d’Hippocrate. Les bagnes une fois encore sont des tom­beaux à ciel ouvert. Derrière l’homme d’ordre, un brin réac­tion­naire, qui ne réclame pas comme Louis Rousseau la sup­pres­sion de l’institution péni­ten­tiaire colo­niale, il y avait fina­le­ment une véri­table sen­si­bi­li­té huma­niste qui ne deman­dait qu’à s’exprimer et que l’on découvre en lisant Des hommes et des bagnes.

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Trois années de son récit se déroulent en Nouvelle-Calédonie. Un pays que l’on connaît fort peu, de « la métro­pole » – mal­gré la récente ten­ta­tive de Mathieu Kassowitz d’at­ti­rer l’at­ten­tion sur cette « col­lec­ti­vi­té sui gene­ris ». Cet ouvrage est aus­si une plon­gée dans le monde colo­nial. Qu’en dit-il, en creux ou en clair, que nous igno­rons encore trop ?

Comme pour le périple guya­nais, le récit néo­ca­lé­do­nien de Léon Collin se concentre sur les bagnes. De fait, même si le méde­cin décrit des pay­sages, on n’aperçoit pas ou très peu les socié­tés colo­niales. Néanmoins, il est inté­res­sant de rele­ver que, cette année, « Les empires » est le thème des Rendez-Vous de l’Histoire de Blois. En consul­tant le pro­gramme tou­jours aus­si four­ni des confé­rences don­nées, on pour­ra être éton­né de ne rien y trou­ver sur la ques­tion péni­ten­tiaire en France ou ailleurs. Faut-il pour autant consi­dé­rer les bagnes comme des non-lieux de mémoire ? Je ne répon­drais pas par l’affirmative, mais je n’oublie pas non plus que la loi du 23 février 2005 ten­tait d’introduire la recon­nais­sance dans les pro­grammes sco­laires du « rôle posi­tif de la pré­sence fran­çaise en outre-mer ». C’était il y a dix ans. Or les bagnes ont par­ti­ci­pé plei­ne­ment à la construc­tion de cet empire fran­çais sur lequel le soleil ne cou­chait jamais. Il faut alors dire l’intérêt qu’a pu sus­ci­ter la décou­verte des car­nets de Léon Collin, tant à Saint-Laurent-du-Maroni où une expo­si­tion des pho­to­gra­phies du méde­cin a pu être orga­ni­sée grâce aux bons soins de Philippe, son petit-fils, qu’en Nouvelle Calédonie, qui est en train de redé­cou­vrir son his­toire. Et cette his­toire, elle passe for­cé­ment par ces camps de tra­vail où sont venus s’échouer quelque 25 000 hommes punis.


Éditions Libertalia

lib Votre mai­son d’édition entend « armer les esprits et les pré­pa­rer à des len­de­mains soli­daires et liber­taires » : de quelle façon Des hommes et des bagnes par­vient-il à nour­rir cet ambi­tieux projet ?

Des Hommes et des bagnes est, d’abord et avant tout, un édi­fiant témoi­gnage et une source de pre­mière main sur l’enfer colo­nial et car­cé­ral. Nous l’avons publié à ce titre-là, parce qu’il est à nos yeux un élé­ment (par­mi bien d’autres) d’une contre-his­toire glo­bale. Ce n’est pas le plus mili­tant de nos livres. Mais il fait sens.

C’est un livre-objet à part dans votre cata­logue. Le for­mat, la pho­to… Un livre, sans doute, que l’on sait par avance dif­fi­cile à faire connaître : avez-vous hési­té avant de le publier ? Quel fut le déclic ?

Ce livre nous a été pro­po­sé par Jean-Marc Delpech, avec lequel nous avions déjà tra­vaillé sur le bagne à plu­sieurs reprises. Nous avons rapi­de­ment regar­dé le conte­nu et avons don­né notre accord pour publi­ca­tion. Si Jean-Marc le recom­man­dait, c’était for­cé­ment bien. Et de fait, aidé par Philippe Collin, il a abat­tu l’essentiel du tra­vail, en par­ti­cu­lier cet impo­sant appa­reil cri­tique. Le for­mat, la cou­ver­ture en toile du Marais, la pho­to… on s’est en effet un peu éloi­gné de notre charte gra­phique. Convaincus que ce livre avait en outre un inté­rêt patri­mo­nial, nous n’avons pas hési­té à sol­li­ci­ter (et à obte­nir) le concours du Centre natio­nal du livre et de la mai­rie de Saint-Laurent-du-Maroni.

Le sujet paraît vous tenir à cœur, puisque vous avez déjà publié L’Enfer du bagne et La Vie des for­çats. Les débats autour la réforme pénale avan­cée par Christiane Taubira furent vio­lents : par­ler du bagne, serait-ce aus­si, même sans le dire, ouvrir une réflexion sur la condi­tion car­cé­rale telle qu’elle existe à l’heure qu’il est ?

En effet, le sujet nous tient à cœur, nous avons même réédi­té le pre­mier volume (Les Cages flot­tantes) des aven­tures de Chéri-Bibi. La Vie des for­çats était notre qua­trième titre (on en a publié 70). Il com­prend une pré­face de Jean-Marc Rouillan, alors embas­tillé, qui dresse un paral­lèle entre les bagnes d’hier et les cen­trales d’aujourd’hui, et s’interroge notam­ment sur la guillo­tine sèche : la peine de mort n’existe plus, mais on meurt encore dans les culs-de-basse-fosse du sys­tème. Nous n’en avons pas fini avec cette thé­ma­tique puisque nous pro­po­se­rons dans quelques mois un ouvrage abo­li­tion­niste. Pour le dire de façon péremp­toire, Libertalia est le pro­lon­ge­ment intel­lec­tuel et contem­pla­tif de nos colères et de nos révoltes, de nos aspi­ra­tions et de nos uto­pies. Nous haïs­sons la pri­son et la socié­té d’enfermement. Pour celle-ci et celle-là, nous ne rêvons que de brasiers.


Toutes les pho­to­gra­phies sont extraites de l’ouvrage.

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Ballast

« Tenir tête, fédérer, amorcer »

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