Albert Camus et Miguel Benasayag : regards croisés


Texte inédit pour le site de Ballast

La librai­rie Folie d’encre, à Saint-Ouen, se rem­plit : le phi­lo­sophe et psy­cha­na­lyste Miguel Benasayag est invi­té à don­ner une confé­rence. Sculpture du cer­veau par l’éducation, enga­ge­ment poli­tique, actua­li­té de la pen­sée de gauche et rap­port à la vio­lence sous toutes ses formes — les sujets ne manquent pas. Un autre intel­lec­tuel était cou­tu­mier, dans les années 1950, de ce genre de petites confé­rences dans une librai­rie, dans une salle de syn­di­cat ou une mai­son de quar­tier ; il eut, lui aus­si, à se poser la ques­tion de la vio­lence, de ses pre­miers enga­ge­ments dans la résis­tance jusqu’à la déchi­rure de son pays natal dans une guerre qui ne disait pas encore son nom : cet autre pen­seur que l’au­teur du pré­sent texte entend faire dia­lo­guer avec Benasayag n’est autre qu’Albert Camus. ☰ Par Rémi Larue


À pre­mière vue, bien des choses éloignent ces deux grandes figures de la gauche du XXsiècle. La géné­ra­tion, d’abord. Albert Camus est né le 7 novembre 1913, au cœur d’une Algérie fran­çaise depuis des décen­nies déjà — elle n’allait pas tar­der à ne plus l’être, révolte contre le sys­tème colo­nial oblige. Miguel Benasayag est né quant à lui dans le Buenos Aires des années 1950. Un océan les sépare sur le plan géo­gra­phique autant qu’­his­to­rique. Camus s’engage dès l’entre-deux-guerres contre le fas­cisme et le colo­nia­lisme ; il obser­ve­ra de près la guerre civile espa­gnole et la défaite des répu­bli­cains qu’il sou­te­nait avec ardeur depuis Alger. Puis la Seconde Guerre mon­diale de le hap­per, l’entraînant dans une réflexion de plain-pied sur l’usage de la vio­lence et l’entrée dans la Résistance. Quelques mois suf­fisent — et quelques ren­contres déci­sives, à l’ins­tar du poète et résis­tant lyon­nais René Leynaud — pour com­prendre toute la néces­si­té de se joindre aux rangs des résis­tants déjà orga­ni­sés sur le sol fran­çais : c’est alors que s’a­morce le fil rouge de son œuvre pro­téi­forme, faite de théâtre, de récits, de fic­tions et d’es­sais… La Libération pas­sée, Camus conti­nue de le dérou­ler plus encore au cœur d’une nou­velle menace, d’un conflit latent que nombre d’é­tin­celles ne feront pour­tant pas tota­le­ment écla­ter : la Guerre froide. Et puis, bien sûr, vien­dra le temps de la guerre d’Algérie, d’un déchi­re­ment intime et poli­tique pour Camus, entre son sou­tien au peuple algé­rien indi­gène et son atta­che­ment à sa com­mu­nau­té d’origine, qu’il sait mena­cée par les actions menées par le Front de libé­ra­tion nationale.

« Ces deux-là ont plus à par­ta­ger qu’il n’y paraît peut-être. »

C’est une autre résis­tance qui alpague le jeune Miguel Benasayag. Plus récente, pre­nant les traits du mou­ve­ment gué­va­riste de gué­rilla en Argentine. Très tôt, il milite dans ces réseaux, d’abord comme sou­tien, puis, rapi­de­ment, comme com­bat­tant opé­ra­tion­nel avant de prendre la res­pon­sa­bi­li­té mili­taire d’une uni­té. Cet enga­ge­ment lui vaut quatre années de pri­son durant les­quelles il découvre le large éven­tail coer­ci­tif de la dic­ta­ture — tor­ture com­prise. Sa double natio­na­li­té, fran­çaise et argen­tine, le sauve puisqu’il se voit rapa­trié en France dans le cadre d’un échange diplo­ma­tique qui dépasse son cas propre. L’engagement se pour­suit, de l’Hexagone au Nicaragua ; Benasayag s’éloigne de la gué­rilla pour s’en aller vers d’autres luttes, celles de la recherche mili­tante et de la trans­mis­sion des savoirs, des mou­ve­ments pre­nant à contre-pied la poli­tique conven­tion­nelle. Mais demeure, tout au long de ce par­cours hybride, une ques­tion : celle de la vio­lence poli­tique et des dif­fé­rentes situa­tions où elle en vient à s’exercer.

Deux che­mins de vie, deux his­toires, deux contextes : nous ne pou­vons pour­tant nous empê­cher d’y voir se des­si­ner d’i­né­vi­tables proxi­mi­tés. De ces pistes qu’il faut creu­ser, de ces axes de recherches et de ques­tion­ne­ments qui, par-delà années et kilo­mètres, lient des hommes sans pour­tant nous for­cer à par­ler de filia­tion intel­lec­tuelle ni d’influence. Ces deux-là ont plus à par­ta­ger qu’il n’y paraît peut-être. Benasayag lui-même s’était éton­né du rap­pro­che­ment entre son tra­vail et L’Homme révol­té lors de la pré­sen­ta­tion effec­tuée en librai­rie : esquis­sons ici qu’il ne s’agissait pas que d’une simple intuition !

(DR)

De l’Histoire

Penser la vio­lence, c’est d’abord pen­ser le monde qui nous entoure, ques­tion­ner les rela­tions humaines, s’intéresser à la condi­tion de ces indi­vi­dus qui font socié­té. Chez Camus comme Benasayag, la vio­lence se noue à l’Histoire et à la condi­tion humaine. Le « dans et contre l’Histoire1 » du pre­mier trouve son pen­dant chez le second dans une réap­pro­pria­tion sin­gu­lière des notions de Progrès et d’Histoire, qui tient compte des mul­tiples expé­riences socialistes/marxistes et de leurs échecs patents.

« L’Histoire n’est pas une répé­ti­tion, pas plus qu’elle n’est pré­vi­sible ; elle n’a, en somme, pas mis­sion à abou­tir au socia­lisme ou au communisme. »

La condi­tion humaine dans l’œuvre de Camus est une condi­tion absurde ; elle prend la forme d’un déca­lage entre les aspi­ra­tions de cha­cun à don­ner quelque sens à la vie autant qu’au monde et le silence de ce der­nier quant à d’éventuels prin­cipes direc­teurs à même d’ap­pré­hen­der son fonc­tion­ne­ment. Ce déca­lage qu’est l’absurde se tra­duit sur le plan his­to­rique par une forme simple : la spi­rale. Camus n’adhère ni à une concep­tion linéaire et méca­niste de l’Histoire (reli­gieuse, pro­gres­siste ou mar­xiste), ni à une concep­tion cyclique : il se place en ten­sion, évo­lue à mi-che­min. Ni le Progrès, ni l’Éternel retour cher à Nietzsche ; l’être humain est empor­té sur les flots his­to­riques, condam­né à lut­ter pour se rendre où il veut sans jamais être sûr qu’il y par­vien­dra. La condi­tion humaine camu­sienne est incon­for­table en ce qu’elle ne résout rien. Elle creuse le doute et déploie des ques­tions volon­tiers avares en réponses.

Miguel Benasayag place pour sa part son ana­lyse au cœur de la « situa­tion2 ». Loin de croire à l’avènement d’une socié­té idéale, issue fatale du des­tin du monde, le pen­seur ancre l’individu dans son moment. L’Histoire n’est pas une répé­ti­tion, pas plus qu’elle n’est pré­vi­sible ; elle n’a, en somme, pas mis­sion à abou­tir au socia­lisme ou au com­mu­nisme. Pensée du pré­sent, d’un pré­sent com­plexe et divers, pré­sent de la situa­tion ner­vu­rée de rela­tions humaines, d’ac­teurs, de lieux. Benasayag reprend à son compte une expres­sion grecque d’Héraclite, pour qui la condi­tion humaine était une « lutte des contraires3 » en deve­nir. Tout l’en­jeu de son Éloge du conflit réside dans une démons­tra­tion simple : il importe de main­te­nir ladite lutte en tant que condi­tion d’exis­tence des êtres humains sans tou­te­fois faire de la vio­lence son seul moyen d’ex­pres­sion. N’est-ce pas, du reste, Héraclite qui ins­pi­ra à Camus les der­niers para­graphes de L’Homme révol­té ?

Albert Camus (DR)

De la violence

Penser l’Histoire et la condi­tion humaine ne se fait pas sans pro­blé­ma­ti­ser la vio­lence. Penser les strates poli­tiques et sociales, voire éco­no­miques, ne se fait pas sans réflé­chir à la manière dont elles font inter­ve­nir cer­taines de ses moda­li­tés. Toute occa­sion est bonne aux yeux de nos deux hommes pour renou­ve­ler les angles d’approche d’une pro­blé­ma­tique aus­si vaste qu’exi­geante. L’analyse de la vio­lence est avant tout celle de l’expérience, de l’itinéraire per­son­nel au cœur des tumultes du temps et du monde. Dans son Résister, c’est créer, co-écrit avec Florence Aubenas, Miguel Benasayag s’intéresse à ce qui fait qu’une vio­lence poli­tique s’a­vère plus légi­time qu’une autre. L’État est-il le seul à pou­voir dis­po­ser de la vio­lence légi­time comme l’affirmait le socio­logue Max Weber4 ? Le phi­lo­sophe argen­tin élar­git la focale pour poser la ques­tion de la légi­ti­mi­té de la vio­lence poli­tique : il pense en prise avec son époque, celle du ter­ro­risme deve­nu moyen d’émancipation et peut-être fin de cer­tains cou­rants poli­tiques. Une lutte, le sur­gis­se­ment d’une socié­té plus juste ou le retour à l’ordre public : ces ambi­tions auto­risent-elles l’u­ti­li­sa­tion plus ou moins illi­mi­tée de la vio­lence répres­sive ou ter­ro­riste ? « Quand la fin est abso­lue, c’est-à-dire, his­to­ri­que­ment par­lant, quand on la croit cer­taine, on peut aller jus­qu’à sacri­fier les autres. Quand elle ne l’est pas, on ne peut sacri­fier que soi-même, dans l’en­jeu d’une lutte pour la digni­té com­mune. La fin jus­ti­fie les moyens ? Cela est pos­sible. Mais qui jus­ti­fie­ra la fin ? À cette ques­tion, que la pen­sée his­to­rique laisse pen­dante, la révolte répond : les moyens5. » Ces quelques lignes tirées de L’Homme révol­té donnent à lire la paren­té et la proxi­mi­té des pré­oc­cu­pa­tions : Camus et Benasayag ren­voient dos-à-dos les chantres de la vio­lence légi­time, qu’elle soit réac­tion­naire ou révo­lu­tion­naire. S’il n’est pas pos­sible de l’éradiquer de la sur­face de la pla­nète, « la vio­lence est à la fois inévi­table et injus­ti­fiable6 », avance encore Camus : elle doit de ce fait « conser­ver, pour le révol­té, son carac­tère pro­vi­soire d’ef­frac­tion, être tou­jours liée, si elle ne peut être évi­tée, à une res­pon­sa­bi­li­té per­son­nelle, à un risque immé­diat7 ».

« Les mots de l’an­cien gué­rille­ro sud-amé­ri­cain résonnent avec l’entrée en résis­tance de Camus et le retour qu’il fait sur cette expérience. »

« Résister. Le terme revient tout seul, sans cesse. Difficile pour­tant de l’entendre sans y per­ce­voir d’écho : ce mot a un pas­sé. Il reste inti­me­ment lié à une situa­tion d’exception, à ces acci­dents de l’Histoire qu’on tente d’abolir, comme l’établissement bru­tal d’une dic­ta­ture ou l’occupation d’un pays par un autre. Ceux qui s’engagent alors dans la résis­tance n’ont géné­ra­le­ment qu’un sou­hait pour pro­gramme : que le monde rede­vienne comme avant cette catas­trophe. Alors, il s’agira tout sim­ple­ment d’être heu­reux », lancent Florence Aubenas et Miguel Benasayag dans un de leurs ouvrages8. Ces situa­tions de résis­tance sont pour Benasayag — qui jure, dans les pages de son Abécédaire de l’en­ga­ge­ment, que « Si je fais le mal, je suis le mal9 », autre­ment dit que l’op­po­si­tion entre la fin et les moyens n’a, comme chez Camus, aucun sens — des moments d’exception où la vio­lence inter­vient en der­nier recours, en ultime argu­ment de la révolte. Les mots de l’an­cien gué­rille­ro sud-amé­ri­cain résonnent avec l’entrée en résis­tance de Camus et le retour qu’il fait sur cette expé­rience : com­battre, oui, mais sans haine (cette haine décrite comme un « men­songe10 » par le père de L’Étranger et comme le signe de « l’im­puis­sance11 » par l’au­teur du mani­feste Du contre-pou­voir.)

Benasayag appa­raît cepen­dant plus tran­chant que Camus en la matière : c’est à chaque situa­tion, assure-t-il, de « détermine[r] s’il faut ou non assu­mer la vio­lence12 ». Jurer par prin­cipe de sa nature (bonne ou mau­vaise) revien­drait à ne pas fonc­tion­ner « cor­rec­te­ment13 », c’est-à-dire à s’é­loi­gner, par trop abs­trait, de la réa­li­té telle qu’elle se pré­sente à nos yeux : reven­di­quer la non-vio­lence devient impos­sible — et Benasayag d’es­ti­mer que condam­ner dans l’ab­so­lu les jets de pierres sur les CRS relève de « la conne­rie14 ». L’écrivain algé­rois déclare pour sa part qu’il n’a jamais plai­dé pour la non-vio­lence et qu’il ne milite pas en sa faveur15, mais recon­naît, ailleurs16, que celle-ci « repré­sente une véri­té digne d’être prê­chée par l’exemple » : il lui manque pour cela, estime le lec­teur de Gandhi qu’il était, la « gran­deur » (d’âme ?) néces­saire à pareille atti­tude. La non-vio­lence demeure donc inac­ces­sible au com­mun des mor­tels. Reste, par-delà ces nuances à ne pas ara­ser, que le roman­cier et le « mili­tant cher­cheur17 » tentent à leur manière de dépas­ser l’op­po­si­tion clas­sique et seri­née entre vio­lence bre­ve­tée et paci­fisme hors-sol.

Miguel Benasayag, par Maya Mihindou, pour Ballast

De la création comme troisième voie

C’est bien cela qu’il est néces­saire d’é­vi­ter : ce point de rup­ture où l’es­ca­lade de la vio­lence ne trouve plus d’is­sue, où les dif­fé­rents acteurs du conflit ne recon­naissent plus chez leurs enne­mis ce qu’il y a de com­mun avec leur propre iden­ti­té pour ne pen­ser qu’à leur anéan­tis­se­ment pur et simple. Mais les deux intel­lec­tuels ne s’arrêtent pas là. Si la vio­lence est l’ex­cep­tion, quelle est la règle en matière d’expression de la révolte ? Comment main­te­nir le conflit, dont on sait qu’il est inévi­table, sinon pro­fi­table, sans aller sur le ter­rain de la vio­lence phy­sique ? Là encore, les deux hommes semblent s’entendre sur ce qui pour­rait prendre la forme d’une troi­sième voie, en ten­sion entre vio­lence et non-vio­lence : la créa­tion et le dia­logue. Un cap dif­fi­cile à main­te­nir. Ce choix incon­for­table oblige à la remise en ques­tion per­ma­nente sans tou­te­fois empê­cher notre capa­ci­té d’ac­tion. Lorsqu’il évoque la créa­tion, Camus fait essen­tiel­le­ment réfé­rence à la créa­tion artis­tique, à la lit­té­ra­ture qu’il prit très jeune à bras le corps, à cette écri­ture qui le libère autant qu’elle l’emprisonne. La créa­tion artis­tique est le lieu de l’expression de la réa­li­té, mais une réa­li­té cor­ri­gée par le prisme de l’artiste. Dire le réel, pour Camus, ce n’est pas décrire le monde qui l’entoure mais le poser sous forme de ques­tions nou­velles, de sym­boles et de mythes qui ser­vi­ront aux lec­teurs à pen­ser. L’art doit être embar­qué plus qu’engagé ; l’artiste n’est pas un guide éclai­ré à suivre mais un poseur de ques­tions face au poseur de bombes qui, lui, ne sait qu’af­fir­mer. L’artiste camu­sien ne sur­plombe pas la socié­té depuis sa tour d’ivoire ; il se refuse d’être « assis », ain­si que le roman­cier le consigne dans Actuelles IIimmer­gé qu’il l’est en elle, s’en ins­pi­rant et lui ren­voyant son œuvre — des allers-retours inces­sants. La créa­tion est plei­ne­ment poli­tique et se tra­duit par des ini­tia­tives dans les sphères poli­tiques et sociales : par­ti­ci­pa­tions nom­breuses à des ras­sem­ble­ments, prises de parole publiques sur le plan natio­nal comme inter­na­tio­nal, orga­ni­sa­tions d’événements et de rencontres…

« Comment main­te­nir le conflit, dont on sait qu’il est inévi­table, sinon pro­fi­table, sans aller sur le ter­rain de la vio­lence physique ? »

Lorsque Camus pro­pose une table ronde au cœur de la guerre d’Algérie, avec la pré­sence de tous les acteurs du conflit, il sait bien qu’il y aura des désac­cords pro­fonds ; il espère seule­ment la mise en place d’un dia­logue afin d’é­vi­ter le reten­tis­se­ment des bombes et le cra­que­ment des écha­fauds. Lorsqu’il appelle à une trêve civile en 1956 aux abords de la Casbah d’Alger, il sait bien que la vio­lence bat déjà son plein, dehors, mais il tente de trou­ver une voie de sor­tie à même de pro­vo­quer le moins de vic­times pos­sibles. Il sait bien que le dia­logue avec les nazis n’avait pas abou­ti, avant la Seconde Guerre mon­diale, et que la Résistance n’eut d’autre choix que de recou­rir à la vio­lence18, mais il sait aus­si qu’avant d’en arri­ver là, d’autres solu­tions auraient pu être trou­vées. Fort de son pas­sé, Miguel Benasayag avance désor­mais que d’autres formes de créa­tion poli­tique et de résis­tance sont pos­sibles, et même néces­saires, après l’échec de la seule force armée. Le psy­cha­na­lyste s’intéresse et par­ti­cipe acti­ve­ment à toutes les ini­tia­tives situées en marge des modèles de socié­té pré­dé­fi­nis en amont, des appa­reils poli­tiques deve­nus machine à gagner — ou à perdre, d’ailleurs — et des élec­tions locales comme natio­nales : édu­ca­tion popu­laire, confé­rences, ate­liers… Petite librai­rie d’une ville de ban­lieue ou émis­sion radio à plus grande dif­fu­sion : l’important est le mes­sage cri­tique qu’il y délivre. N’est-ce pas déjà ce que fai­sait Camus — liber­taire, comme lui, mais moins rétif aux urnes — dans les années 1950, lors­qu’il écri­vait pour L’Express et se dépla­çait de grandes salles en mai­sons de quar­tier ou locaux syndicaux ?

Les pré­sentes lignes se veulent avant tout invi­ta­tion à lire. Lire, écou­ter, relire, ques­tion­ner les œuvres consé­quentes de ces deux pen­seurs. La réflexion de Camus trouve encore écho dans celles d’auteurs contem­po­rains, loin, bien loin du contexte his­to­rique et poli­tique du prix Nobel de 1957. Légitimité de la vio­lence poli­cière, effi­cience des vio­lences insur­rec­tion­nelles, posi­tion­ne­ment face aux conflits inter­na­tio­naux ? Ces ques­tions saturent notre temps. À nous de sai­sir les réflexions enga­gées par ces deux hommes pour les creu­ser plus encore : plus que des maîtres à pen­ser, des com­pa­gnons de dia­logue, des inter­lo­cu­teurs dans la lutte per­son­nelle et collective.


Photographies de minia­ture et de cou­ver­ture : Josef Koudelka.


image_pdf
  1. La cita­tion com­plète est la sui­vante : « À cette heure où cha­cun d’entre nous doit tendre l’arc pour refaire ses preuves, conqué­rir, dans et contre l’histoire, ce qu’il pos­sède déjà, la maigre mois­son de ses champs, le bref amour de cette terre, à l’heure où naît enfin un homme, il faut lais­ser l’époque et ses fureurs ado­les­centes. L’arc se tord, le bois crie. Au som­met de là plus haute ten­sion va jaillir l’élan d’une droite flèche, du trait le plus dur et le plus libre. » Albert Camus, Œuvres com­plètes, Tome III, 1949–1956, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2008, p. 318.[]
  2. Benasayag évoque cette « pen­sée de la situa­tion » au sujet de la guerre, en réfé­rence, notam­ment, à L’Art de la guerre de Sun Tzu, mais aus­si à la « situa­tion » telle qu’elle est décrite par Sartre ; voir Éloge du conflit, La Découverte, 2012, p. 69.[]
  3. Ibid., p. 26.[]
  4. Voir par exemple sa défi­ni­tion de l’État dans son recueil de confé­rences, Le Savant et le poli­tique, publié en 1919.[]
  5. Albert Camus, Œuvres com­plètes, Tome III, 1949–1956, op. cit., p. 312.[]
  6. Albert Camus, Œuvres com­plètes, Tome II, 1944–1948, Gallimard, 2006, p. 457.[]
  7. Albert Camus, L’Homme révol­té, Folio essais|Gallimard, 2008, p. 364.[]
  8. Résister, c’est créer, La Découverte, 2002, p. 69.[]
  9. Miguel Benasayag, Abécédaire de l’en­ga­ge­ment, Bayard, 2004, p. 256.[]
  10. Albert Camus, Actuelles II, Gallimard, 1953, p. 31.[]
  11. Miguel Benasayag, Parcours, Calmann-Lévy, 2001, p.90.[]
  12. Voir l’en­tre­tien qu’il a don­né à la pré­sente revue, dans le numé­ro cinq de son édi­tion papier, en 2016.[]
  13. Ibid.[]
  14. Ibid.[]
  15. Albert Camus, Œuvres com­plètes, Tome III, 1949–1956, op. cit., p. 457[]
  16. Dans une lettre à Étienne Benoist, en mars 1952.[]
  17. L’expression est de Benasayag, dans Parcours, op.cit.[]
  18. La lec­ture des Lettres à un ami alle­mand, sorte de mani­feste écrit par Camus au moment de son adhé­sion au mou­ve­ment Combat, per­met de sai­sir la com­plexi­té de ce rap­port à la vio­lence de la Résistance.[]

REBONDS

☰ Lire notre entre­tien avec Mathieu Rigouste : « Les vio­lences de la police n’ont rien d’accidentel », février 2017
☰ Lire notre article « Souvenirs sur Solano », Edgar Morin, octobre 2016
☰ Lire notre article « Thoreau, der­rière la légende », Émile Carme, novembre 2015
☰ Lire notre article « Gramsci et Pasolini : récit d’une fra­ter­ni­té », Émile Carme, novembre 2015
☰ Lire notre article « Blanqui et Bensaïd : l’his­toire ouverte », Émile Carme, mai 2015
☰ Lire notre article « Luther King : plus radi­cal qu’on ne le croit ? », Thomas J. Sugrue (tra­duc­tion), mars 2015
☰ Lire notre entre­tien avec Daniel Colson : « L’anarchisme est extrê­me­ment réa­liste », février 2015

Rémi Larue

Étudiant en dernière année de doctorat. Il place ses recherches au carrefour de la philosophie, de l'histoire et de la littérature. Il aime la révolte camusienne, le combat rugbystique et libertaire.

Découvrir d'autres articles de



Nous sommes un collectif entièrement militant et bénévole, qui refuse la publicité. Vous pouvez nous soutenir (frais, matériel, reportages, etc.) par un don ponctuel ou régulier.